Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Le court- circuit démocratique
Entre les discours politiques et les actes, un fossé de lassitude, voire d’indifférence s’est installé dans la population. L’usure de la parole politique croise une défiance galopante. Un phénomène pas si nouveau mais la période de la pandémie a accentué des fractures et le sentiment de décalage entre les responsables politiques et les couches populaires, entre Paris et les territoires.
Les refrains de l’inflation, de la campagne abandonnée, du mal-logement, de la fermeture de services publics installent la musique lancinante d’une France qui se dégrade. « Dans la campagne aujourd’hui, il est plus facile de trouver un dealer qu’un médecin », observait récemment un gendarme. Si l’on doit prendre garde à l’impact populiste de formules chocs, mettre du discernement dans le défaitisme national et savoir regarder nos chances, minorer les réalités ne préserve pas la santé de la démocratie. 68 % des Français estiment qu’elle ne fonctionne pas bien (1). De là à finir par renverser la table…
La solution ? Le dynamisme de la société civile et l’efficacité de l’action publique. Elle peut être à rapprocher d’un constat : en France, les collectivités locales ont peu de pouvoir. Leurs dépenses pèsent 12 % de la richesse du pays là où la moyenne européenne est à plus de 17 %. La France est peu décentralisée et le peu qu’elle fait est à bout de souffle, assénait, l’an passé, la Cour des comptes. Notre décentralisation est compliquée, floue pour les citoyens, inégalitaire pour les territoires. 80 % des élus locaux estiment que la complexité des normes s’est aggravée et qu’elle augmente le coût des projets. 68 % subissent des normes contradictoires (2). L’énergie des nouveaux élus se dilue vite dans la machine administrative d’où ils sortent essorés et leurs électeurs déçus.
L’enchevêtrement des compétences croisées entre communes, communautés de communes ou métropoles, Départements, Régions en lien avec l’État, voire avec l’Europe est un casse-tête pour concrétiser l’intention politique. Il a éloigné les habitants de la poignée de main des élus de terrain et de l’action qui vous font remercier les noms sur les bulletins de vote.
La mission décentralisation confiée au député Renaissance Éric Woerth est une essentielle occasion à transformer. La demande du président Macron ? Réfléchir à la « clarification de l’organisation territoriale », à « la simplification des normes », à « la consolidation des moyens » et à « la valorisation des fonctions électives ». Dans les semaines à venir, on attend l’ordonnance du docteur Woerth dont beaucoup anticipent qu’il s’y cassera les dents. Peut-on encore se le permettre ? Vu d’un média de proximité comme Ouest-France, il est évident que les solutions d’efficacité de l’action publique doivent reprendre pied dans les territoires. L’État doit fortement remettre la politique à hauteur des réalités et spécificités du terrain et des Régions. Simplifier, donner les capacités d’agir aux acteurs locaux, avec marges de fiscalité. Savoir faire confiance, c’est réengager dans la vie publique. On en a besoin pour retrouver des candidats aux prochaines élections. Le faire sur les grands enjeux comme le logement ou l’environnement serait un signe fort. Installer le circuit court de l’action, c’est réarmer la politique et éviter le court- circuit démocratique.
(1) Étude 2024 Opinionway pour Science Po.
(2) Étude de la délégation des collectivités territoriales du Sénat.