Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Corset, jupe, pantalon… Les vêtements
Le vêtement accompagne l’évolution de la place des femmes dans la société française. Son histoire dit beaucoup des codes d’aujourd’hui. Explications avec Yvane Jacob, autrice de l’essai Parées.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi sur les portes des sanitaires, le symbole de la femme était la jupe, celui de l’homme le pantalon ? La réponse, plus complexe qu’il n’y paraît, se trouve dans le passé. « Nos habits ont été tissés par notre histoire commune, analyse Yvane Jacob, journaliste et autrice d’un essai sur ce sujet (1). Il se cache dans chacune de leurs pliures des leçons, des symboles, des paradoxes… » Entre émancipation et enfermement, le vêtement féminin d’hier en dit long sur celui d’aujourd’hui. Alors remontons le fil.
La culotte, « lutte de pouvoir »
Notre voyage dans le temps débute au Moyen Âge, « siècle de l’apparition du phénomène de mode », explique Yvane Jacob. À l’époque, la norme est le pouvoir masculin à tous les étages. La Française, dont la vocation est de procréer, est bloquée entre l’image biblique d’Ève la pécheresse et celle de Marie la vierge.
Avant cette période, les habits avaient une coupe en forme de T, comme les kimonos. « Autrement dit, tout le monde était en robe. » Mais avec l’invention du bouton et de la manche montée, « le vêtement se complexifie ». Et une tendance vient bouleverser l’ordre des choses : les damoiseaux se mettent à arborer le pourpoint, une veste courte et matelassée, avec des chausses en bas, sorte de collant. Aux hommes la liberté du vêtement « bifide », celui qui libère les jambes, aux femmes les couches de jupons qui entravent et dissimulent leurs parties basses, honteuses. « Elles sont désormais condamnées au système ouvert, qui ne protège pas le sexe, tandis que les garçons, eux, s’approprient le système fermé, détaille la journaliste. Le thème de la dispute de la culotte existe déjà pour désigner la lutte de pouvoir entre les sexes. »
La Renaissance vient creuser ces différences physiques entre les genres. « L’habit est une traduction visuelle de la place de chacun dans la socié
té », insiste Yvane Jacob. L’heure est à la rigueur, au maintien, car « la droiture physique reflète la droiture morale ». L’ancêtre du corset, le corps piqué, voit le jour, accompagné de la vertugale, bourrelet qui donne du volume aux jupes.
On accentue artificiellement les symboles de féminité (taille de guêpe pour la délicatesse, ampleur des hanches pour la fécondité) mais aussi les symboles de masculinité (la carrure pour la force). Engoncé, tout le monde souffre, notamment le « sexe faible » : « Joli buste sur un socle solide, la femme est incitée à se contenir, à réduire ses mouvements au maximum, analyse l’experte. Elle prend la forme d’un vase et se transforme en un élément du décor. »
Progressivement, la beauté et l’apparence deviennent l’unique terrain d’expression pour ces dames. Elles
intériorisent les contraintes « car ne pas se conformer revient à tout perdre, vivre à la marge ». Certaines, en revanche, se jouent du système. « Des modistes en profitent pour lancer leur propre business. C’est un formidable moyen émancipateur qui n’existe pas dans d’autres domaines. »
La bicyclette, amie du pantalon
Au XIXe siècle, tandis que le costume noir triomphe chez les hommes, un nouvel accessoire débarque dans le vestiaire féminin : la crinoline, sorte de cage en métal qui se fixe à la taille. « D’apparence contraignante, elle est vue comme un progrès par les femmes, pointe la journaliste. Elle crée autour d’elles un espace infranchissable. » Utile, peut- être, mais toujours pas pratique contrairement au pantalon, « synonyme de pouvoir et
d’action », privilège jusque-là réservé aux messieurs jusque dans la loi.
Fin du siècle, la nécessité d’un habit plus simple est renforcée par l’apparition de… la bicyclette ! « Petit à petit, les tenues de sport habituent à voir la femme en pantalon. » Les frontières se brouillent. La réforme du vêtement est en marche.
Spectaculaire dans l’évolution des droits des femmes, le XXe siècle l’est aussi dans l’évolution de la silhouette féminine. « La femme sort du décor pour passer à l’action. » La lutte féministe se structure, le monde du travail devient accessible, les classes populaires gagnent en visibilité. La mode ne vient plus d’en haut, mais de créateurs qui partagent leur vision du monde. Chanel lance sa petite robe noire, puis son tailleur avec la volonté « d’habiller les femmes actives, modernes ». Yves Saint Laurent casse les codes avec son célèbre smoking, Courrèges popularise la minijupe. « Le développement du prêt-à-porter bouleverse tout. La clientèle moins fortunée, plus jeune, est plus ouverte à l’audace. » Le blue-jean, qui connaît son heure de gloire dans les années 1970, est le symbole d’un dressing unisexe. Une révolution.
Au XXIe siècle, « les Françaises ont acquis une liberté, celle de porter ce qu’elles veulent, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays, objective Yvane Jacob. Mais il reste de gros progrès à faire. Par exemple, les stéréotypes demeurent omniprésents dans nos vêtements. » En témoignent les pictogrammes sur les portes de nos sanitaires. (1) Parées, éditions Hugo Publishing, 19,95 €.