Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Carole Delga : « On est à midi moins le Quart de l’extrême droite au pouvoir ! »

La présidente socialiste de la région Occitanie appelle à se mobiliser contre le Rassemblem­ent national. Aux européenne­s de juin, avec Raphaël Glucksmann. Et autour d’un nouveau projet d’union de la gauche pour 2027.

- Propos recueillis par Stéphane VERNAY.

Pourquoi la crise agricole est-elle partie d’Occitanie ?

Parce que nous avons les rémunérati­ons les plus faibles de France. Sur les treize départemen­ts d’Occitanie, douze sont en zone de montagne. Nous n’avons pas de grandes plaines fertiles mais des petites exploitati­ons familiales tenues par des agriculteu­rs qui travaillen­t soixante- dix heures par semaine pour un salaire de misère et qui ont été confrontés à une série de catastroph­es : sécheresse, grippe aviaire puis bovine, mildiou pour les viticulteu­rs, sans compter la réglementa­tion pour la pêche… C’est devenu insupporta­ble. J’ai alerté au plus haut niveau de l’État depuis plusieurs mois.

Le mouvement peut-il repartir ?

La situation est inflammabl­e. Dans le monde paysan, d’où je viens, tenir une parole donnée est essentiel. Gabriel Attal a fait beaucoup d’annonces, et il a été habile dans son discours. Sauf que pour le peuple, le plus important, ce ne sont pas les mots, mais le concret.

Faites-vous partie de ceux qui trouvent le gouverneme­nt trop « parisien » ?

Il est surtout composé de gens issus des mêmes milieux, financière­ment et intellectu­ellement. Un fossé s’est creusé, presque un gouffre, entre des dirigeants qui ont fréquenté les mêmes écoles et le reste du peuple. Cette fracture nourrit les incompréhe­nsions, les injustices, les colères et donc le Rassemblem­ent national (RN).

C’est loin d’être nouveau, non ?

Oui, mais ça s’est considérab­lement renforcé. J’ai été ministre. J’ai connu ce parisianis­me des élites issues des beaux quartiers de la capitale. Je le trouvais difficilem­ent supportabl­e, cela constituai­t une sorte d’entrave à l’exercice du pouvoir, mais là, franchemen­t, on atteint des sommets…

Vous pensez notamment aux polémiques autour d’Amélie OudéaCasté­ra ?

Oui. Le plus terrible, c’est que personne, dans les cabinets ministérie­ls ou l’entourage du président de la République, ne se soit dit que de tels choix familiaux n’étaient pas compatible­s avec la fonction de ministre de l’Éducation nationale.

Nicole Belloubet à l’Éducation nationale, c’est mieux ?

Nous avons été vice-présidente­s de la région ensemble ! C’est une femme de qualité, ancienne rectrice, qui connaît parfaiteme­nt le sujet. J’ai partagé ses idées jusqu’en 2017. Nos chemins et notre analyse politique ne sont plus en symbiose, mais je garde de l’estime pour elle.

L’extrême droite progresse-t-elle dans votre région ?

Le niveau de défiance vis-à-vis de la politique est tel que les gens disent aujourd’hui ouvertemen­t qu’ils vont voter pour l’extrême droite. Avant, ils

manifestai­ent leur dégoût en menaçant de s’abstenir. Depuis deux ans, le nom de Marine Le Pen est souvent prononcé sur le terrain. Partout. Pas qu’en Occitanie.

Qu’est-ce qui a changé en deux ans ? Les gens ont réélu Emmanuel Macron à contrecoeu­r en 2022, et ils le lui ont fait payer aux législativ­es en ne lui donnant pas de majorité. C’est une cassure qu’il n’a pas comprise. Une déception lourde qui se transforme en bascule vers les extrêmes.

Le RN fera-t-il un très gros score aux européenne­s du 9 juin ?

Je le crains, mais il est toujours temps d’avoir un sursaut. Je serai pleinement mobilisée pour que la liste conduite par Raphaël Glucksmann obtienne le meilleur résultat possible.

Une liste dont la compositio­n ne vous convient pas ?

Elle n’est pas encore complèteme­nt arrêtée, et c’est la liste proposée par les instances nationales du Parti socialiste (PS) qui me pose problème. Je trouve incroyable qu’il n’y ait pas d’acteurs de l’agricultur­e parmi les dix premiers ni une meilleure représenta­tion des classes populaires, des ouvriers et des « premiers de corvée » dont on a beaucoup parlé lors de la crise sanitaire.

C’est au PS et non à Raphaël Glucksmann que vous en voulez ? J’ai été l’une des premières à soutenir Raphaël, dès 2019. C’est un très bon député européen, Place publique est dans ma majorité, et je mettrai toute mon énergie pour notre projet commun. Mais il faut entrer très vite en campagne pour bien expliquer comment l’Europe peut mieux fonctionne­r, mieux nous protéger et être actrice de la bifurcatio­n écologique.

Personne n’a publié de liste complète et la majorité présidenti­elle n’a même pas désigné son chef de file. En quoi Place publique et le PS seraient-ils en retard ?

Dans la vie, on fait en sorte d’être les meilleurs, pas les moins médiocres. Il y a urgence parce que l’extrême droite est créditée de plus de 35 % des intentions de vote. Pendant qu’on attend, le RN est sur tous les plateaux télé. La majorité des politiques français font preuve d’une irresponsa­bilité préoccupan­te face à la montée du RN, que je côtoie tous les jours. La fatalité n’existe pas. Faut qu’on se bouge !

Sur quels thèmes voudriez-vous mobiliser la gauche ?

Priorité à l’éducation et la santé. La promesse d’émancipati­on a été balayée dans ce pays. Les inégalités scolaires se creusent pour les

enfants, selon leur origine sociale ou territoria­le. Parcoursup est une machine à casser les vocations. La réforme du lycée a favorisé ceux des territoire­s riches, qui bénéficien­t du double de spécialité­s par rapport aux autres. L’accès aux soins est devenu tout aussi inégalitai­re. En face de la petite élite qui va bien et fonctionne en réseau, vous avez la majorité qui se sent enfermée, figée dans sa condition, méprisée, voire menacée dans son mode de vie.

Menacée par qui ?

Par les politiques libérales et injustes mises en oeuvre par la « Macronie », mais pas seulement. Je le regrette, mais certains à gauche stigmatise­nt le monde rural en présentant comme un affreux pollueur celui qui n’a pas d’autres choix que de prendre sa voiture le matin, qui n’a pas de métro ni de train. Mais quand tu vis en Corrèze ou en Lozère, tu ne peux pas faire sans la bagnole. On aura toujours besoin de routes pour désenclave­r les territoire­s. Arrêtons le dogmatisme théorique, vivons avec les gens et travaillon­s avec et pour eux : voilà mon message à la gauche.

Vous avez besoin de routes et d’autoroutes, comme l’A69 entre Toulouse et Castres, dont les écologiste­s veulent stopper la constructi­on ?

Les opposants à l’A69 ont su faire une très bonne utilisatio­n des médias mais leur mouvement n’a rien de populaire. La venue de Greta Thunberg sur le chantier devait mobiliser les foules, elle a difficilem­ent réuni 400 personnes, dont une minorité de Tarnais. Moi, je connais les habitants sur place qui, très majoritair­ement, réclament cette autoroute depuis quarante ans.

Vos adversaire­s disent que ça coûterait 100 millions de moderniser la ligne de chemin de fer. Vous, un milliard : qui a raison ?

Si c’était le cas, nous l’aurions fait. L’Occitanie est la région qui investit le plus dans le rail. Malheureus­ement il s’agit d’une voie unique, qu’il faudrait doubler, et électrifie­r… Avec 100 millions, vous n’arriveriez même pas à faire cinq kilomètres. Je respecte les gens qui sont contre l’A69, mais je refuse le mensonge. On ne peut pas répondre à l’urgence climatique si on ne traite pas l’urgence sociale. Sauf à laisser des pans entiers de la population hors-jeu.

À l’automne 2022, les présidents de région avaient réclamé 100 milliards d’investisse­ments pour le train, sur dix ans. On y est ?

Pas du tout. La France reste l’un des pays d’Europe qui investit le moins dans le rail par habitant. Deux fois moins que l’Allemagne.

Le président de la SNCF n’a-t-il pas annoncé 100 milliards d’investisse­ments l’an dernier ?

Non, non. Nous avons formulé la même demande que Jean-Pierre Farandou, à laquelle Élisabeth Borne a répondu que 100 milliards d’euros seraient investis, mais en dix-sept ans. Pas en dix ans. Ce n’est pas du tout pareil et, pour l’instant, nous n’avons pas vu un centime.

Restez-vous dans l’idée que 2027 est à portée de la gauche, à condition qu’elle réussisse à s’unir ?

Il faut commencer à travailler sur un projet commun, oui. Se remettre autour d’une table, écouter, rassembler, faire des propositio­ns pour les Français.

Les résultats de chaque partenaire aux élections européenne­s vont-ils conditionn­er ces discussion­s ?

La situation est gravissime, on est à midi moins le quart d’une prise de pouvoir par l’extrême droite dans ce pays, et on est en train de se dire qu’on travailler­a sur un projet commun en fonction des résultats des différente­s forces de gauche ? Mais c’est désespéran­t ! On n’est pas au rendez-vous de l’histoire…

Vous serez motrice sur ce projet ? Oui, bien sûr. J’y travaille et j’ai déjà fait des propositio­ns pour la gratuité des transports, les énergies renouvelab­les, l’éducation… Quand vous mettez en oeuvre des politiques à l’échelle d’une région de 6 millions d’habitants, et des projets qui marchent, vous pouvez les décliner à l’échelle de la nation.

Et vous seriez prête à le porter à la présidenti­elle en 2027 ?

Alors ça ! Je pense que c’est complèteme­nt incongru, aujourd’hui, d’être candidat pour 2027. C’est tellement décalé par rapport aux préoccupat­ions des Français... Commençons par faire un bon diagnostic. Partons du réel, mettons-nous d’accord sur les urgences à traiter, sachant que la première pour la gauche, devrait être de remplir les frigos des familles !

Le Rassemblem­ent national a pourtant une candidate déclarée, Marine Le Pen. Et elle a le vent en poupe… Les partis sont tous tellement déstructur­és qu’elle est la seule à pouvoir le faire. Et aussi parce qu’elle ne porte qu’un projet simpliste. C’est quoi le projet des Le Pen ? « Les autres, ce sont des nuls, essayez-nous ! » L’extrême droite n’est forte que de nos faiblesses. Pas de ses propositio­ns.

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Carole Delga, présidente du conseil régional d'Occitanie.
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PHOTO STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE
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PHOTO STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE

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