Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« J’adorais les steaks tartares » : ils
Les moins de 35 ans sont les plus nombreux à devenir végétariens. Ils ne sont pas les seuls : des hommes et des femmes de plus de 50 ans changent plusieurs décennies d’habitudes alimentaires.
« On nous disait que la viande était importante pour la santé. Chez moi, en Normandie, on en mangeait tous les jours », se souvient Isabelle, 59 ans, secrétaire à Rennes (Ille- et-Vilaine). Depuis quelques années, elle n’en consomme que lorsqu’elle est invitée. Cette jeune grand-mère aime pourtant « la bonne viande ».
Candice Magdeleine, elle, avait… le steak tartare pour péché mignon depuis qu’un jour son père avait commandé ce plat au resto sous ses yeux émerveillés. « Ça me faisait saliver, souligne cette assistante de gestion de 50 ans, qui vit près de Vannes (Morbihan). Mes grands-parents paternels étaient bouchers. Avec mon père, on avait de la viande à tous les repas. »
Longtemps réservée aux tables des nobles puis des riches, la viande est aujourd’hui davantage consommée par les classes populaires. « Je suis fils d’ouvriers, raconte Olivier Lemort, 52 ans, habitant d’Arras (Pasde- Calais) et végétarien depuis un peu plus d’un an. Mes parents étaient fiers de pouvoir nous donner de la viande. »
La cause animale
Le poisson ou la viande occupe une place de choix dans la cuisine (et la culture !) française, elle-même synonyme de partage et de convivialité. « Quand je faisais mes courses, je me disais que j’allais préparer du veau tel jour, du poulet tel autre jour, et seulement ensuite se posait la question de l’accompagnement, décrit Candice Magdeleine. Aujourd’hui, je salive devant un caviar d’aubergines comme je le faisais devant un steak. »
Ces hommes et ces femmes ont choisi de profondément changer leur alimentation, malgré des décennies d’habitudes. Leurs motivations ? Elles s’imbriquent mais une partie d’entre eux évoque avant tout la défense de la cause animale. Comme Étel, 70 ans, qui vit près d’Orléans (Loiret). « Je prenais conscience de l’incohérence qu’il y avait à adorer les animaux et à les manger. » Difficile d’arrêter malgré tout : « Il me fallait un déclic. J’avais 56 ans. J’ai eu ma première petite-fille. Elle arrivait au monde sur une planète bien abîmée, que faire de marquant et de symbolique pour l’accueillir ? » Elle a cessé de manger de la viande. Progressivement.
« Les conditions d’abattage me font horreur », poursuit Étel, qui cajole sa chienne. D’autres mentionnent aussi le choc des vidéos de l’association militante L214, qui dénonce les conditions d’élevage et d’abattage des animaux.
Certains mettent en avant leur désir de lutter contre le changement climatique. David Rudloff, informaticien de 53 ans qui vit à Strasbourg (BasRhin), se dit « proche des mouvements écolos et militants depuis des années ». Son cheminement a été progressif : « Au départ, j’ai modifié mon alimentation en raison de son impact en matière de pollution et de gaz à effet de serre. »
David s’est alors approvisionné chez des producteurs locaux. « Malgré tout, cela entretient le lien gustatif et la dépendance à la viande. » Alors il s’est décidé « à réussir à maîtriser des plats végétariens sans être en déséquilibre de plaisir et de santé ». D’autant que sa fille aînée est devenue végane.
Parfois, les enfants sont effectivement à l’origine d’une modification des habitudes de leurs parents. « Mon second fils est végétarien. C’est lui qui a impulsé ça », raconte Anne-Marie Cozanet, 55 ans, assistante de direction à Rennes.
« C’est ma fille de 23 ans, végétarienne, qui m’a motivée », explique en écho Danielle Étoubleau, 54 ans. Auparavant, son fils a aussi joué un rôle : « Lors d’un séjour au pair à Londres, il vivait dans une famille qui mangeait hyper sainement, raconte cette habitante d’Hendaye (PyrénéesAtlantiques), qui travaille dans la formation pour adultes. À son retour, il s’est mis à manger des légumes, délaissant un peu les pâtes, les pommes de terre et la viande ! Il a aussi appris à cuisiner avec des sauces variées et à faire des plats indiens. »
À l’inverse, Isabelle Franchomme, 63 ans, habitant près de Lille (Nord), a distillé ses nouvelles habitudes auprès de ses enfants : « Ils étaient omnivores et mangeaient peu de viande, mais mon fils a épousé une viandarde. Malgré tout, lui, ma bellefille et ma fille sont devenus végétariens. » Ou presque. Ils ne mangent de la viande que lorsqu’ils sont invités.
D’autres végétariens, ou flexitariens, parlent d’un choix dicté par le souci de leur santé. L’Organisation mondiale de la santé, tout comme les autorités françaises, recommandent de ne pas dépasser 500 g de viande (hors volaille) par semaine.
Apprendre à cuisiner autrement
« Pas facile, au début, de remettre en question des dizaines d’années d’habitudes », relève Anne- Marie Cozanet. Ces plus de 50 ans ont dû réapprendre à cuisiner autrement. « Je me suis rendu compte qu’il était compliqué de faire une assiette végétarienne, complète au niveau nutrition, qui me plaise à l’oeil et me donne envie », note Candice Magdelaine.
Pour une grande partie d’entre eux, les plaisirs de la bouche et de la table restent importants. « Ça m’embêtait
d’abandonner tout un patrimoine, confie David Rudloff. On a souvent un lien affectif et nostalgique avec certains plats de viande, car ils sont liés à l’enfance. Mais j’ai transmis ce patrimoine. Et on peut aussi changer de patrimoine ! » Lors d’un repas de Noël, il a ainsi cuisiné un civet de cerf pour les membres de sa famille non végétariens et un autre au seitan, un aliment riche en protéines végétales. « Même sauce, mêmes légumes, mêmes spaetzle maison [pâtes alsaciennes]. »
Même s’ils mangent des oeufs et des laitages, beaucoup redonnent