Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« On est contre toutes les formes de business »
Alors que la multipropriété de clubs est aujourd’hui très répandue, Lorient et Strasbourg ont vu des Américains investir dans ces deux clubs, en 2023. Les supporters Ultras sont contre ces méthodes.
Florian Le Bihan, président des Merlus Ultras, et Maxime M., vice-président des Ultra Boys 90 (Strasbourg)
En janvier 2023, le FC Lorient a vu l’entrée dans son capital (à hauteur de 40 %) du milliardaire américain Bill Foley, propriétaire notamment de Bournemouth, et le RC Strasbourg a été racheté à 100 % par le consortium américain BlueCo, propriétaire de Chelsea, en juin 2023. Une multipropriété de clubs qui ne passe pas chez les Ultras.
Comment avez-vous réagi suite à l’arrivée des investisseurs américains dans vos clubs ?
Florian Le Bihan : On l’a très mal vécu parce qu’on a immédiatement pensé à la perte d’identité. À court terme, on se dit qu’il nous reste deux – trois ans puisque Loïc Féry (le président lorientais) a toujours visé l’objectif des 100 ans du club (en 2026). Mais nous savons pertinemment que ce qui nous attend ensuite sera beaucoup plus incertain, avec la très probable reprise majoritaire par Foley. Celle- ci mettra en péril des décennies de construction de notre club. Son arrivée a forcément provoqué de l’inquiétude dans les rangs des supporters lorientais.
Maxime M. : On a eu de la méfiance. On n’a pas réagi de façon virulente, on s’est laissé un temps d’attente. La multipropriété dans son ensemble est quelque chose que l’on condamne. Le football européen voire mondial est en péril pour des raisons d’équités sportives.
Vous parliez de l’identité de vos clubs. Craignez-vous qu’elle disparaisse à Lorient et Strasbourg ? FLB : Totalement. Cela fait peur. On n’est pas à l’abri que Bill Foley, 79 ans, prenne la majorité du club et installe l’un de ses collaborateurs au poste de directeur général, sans connaître le FCL, le territoire. On repartirait donc de zéro, parce que Loïc Féry est quand même là depuis plus de 14 ans, même si on était aussi méfiant à son égard au début. Mais il a fait son trou. Il y a toujours des choses qu’on peut lui reprocher, mais je pense qu’il a appris de ses erreurs, et il a aussi appris à aimer ce club. Il faut aussi penser à l’aspect formation, qui est capital pour notre club.
Tout cela nous fait forcément craindre une perte d’identité lorientaise. Pour en revenir à Bill Foley, il faut savoir aussi qu’il a soumis l’idée à Loïc Féry d’acheter Bournemouth avec lui. Loïc Féry a refusé et lui a ensuite pro
posé d’entrer dans le capital du FCL. MM : L’un des risques est cette perte d’identité, d’indépendance. Être revendu est quelque chose dont on avait conscience. Nous ne reprochons pas à la direction du Racing d’avoir vendu le club, ni d’être passé sous pavillon étranger, bien que nous aurions préféré conserver un ancrage territorial. En revanche, nous ne pouvons pas accepter le fait d’être dans un modèle de multipropriété, avec une entité supérieure qui gère tout.
Craignez-vous plus globalement pour l’avenir de votre club ?
FLB : Forcément. Certaines choses nous laissent perplexes dans ce que dit Loïc Féry, comme le fait qu’il restera à la tête du club jusqu’en 2026. Ce n’est pas sûr. Donc le flou règne sachant que Bill Foley aura la priorité pour racheter le club. Il y a un an, Foley entrait dans le capital, tout allait bien. Et tout va très vite, on a vendu un joueur à Bournemouth (Ouattara), comme par hasard… Il y a eu le prêt de Faivre, acheté par Bournemouth. Et quand on voit comment a terminé cette histoire (le prêt a été cassé, Faivre est reparti), on a clairement la preuve que le système d’achat puis de prêt derrière est un échec, puisque le joueur ne s’investit pas.
MM : À Strasbourg, on a connu plusieurs propriétaires de clubs. Aujourd’hui, à la tête, on a un fonds d’investissement qui n’a pas de problème d’argent. Mais l’avenir du club est l’une des craintes, parce que cela peut vite basculer. Notre intérêt envers le Racing va bien plus loin que les résultats sportifs, qui ne nous aveuglent pas sur ce qu’est en train
de devenir notre club.
Que vous ont dit les présidents de vos clubs (Loïc Féry et Marc Keller) à propos de cette multipropriété ?
FLB : Il faut préciser qu’à l’heure actuelle, le FC Lorient n’est pas (encore) en multipropriété. C’est un sujet qui revient souvent lors des réunions. Loïc Féry se montre toujours rassurant à notre égard à propos de l’arrivée de Bill Foley. Mais au final, nous n’avons aucun recul, et il ne faut jamais faire confiance sur la base de simples déclarations. On aime trop notre club et notre ville pour signer le moindre chèque en blanc. Si nous sommes ouverts au dialogue avec le président, nous serons absolument vigilants quant aux prochaines décisions qu’il prendra et les perspectives que cela augurera.
MM : On est en contact régulier avec la direction qui, comme à Lorient, est
là pour nous rassurer, nous expliquer comment elle se positionne par rapport à cette multipropriété.
Allez-vous poursuivre vos actions contre cette multipropriété ?
FLB : Oui. Mais il faut se remettre en questions pour savoir ce qu’on peut amener. Cela peut passer par le terrain politique. On verra si on contacte les députés morbihannais, c’est sur la table. On espère qu’une loi soit promulguée.
MM : On continuera de la combattre et de la contester. Face aux risques, la sensibilisation est importante. Les supporters « standards » sont moins au fait de cette multipropriété, parce que ce qui les intéresse, c’est d’être qualifié en Coupe d’Europe. Mais un club de foot, ce n’est pas ça. C’est un territoire, une région, une ville, des salariés, des valeurs, un logo, etc.
Recueilli par Baptiste COGNÉ.
« Avec Foley majoritaire, on repartirait de zéro »