Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

En Ukraine, la vie suit son cours au café Pakufuda

À Kharkiv, en Ukraine, le café Pakufuda continue d’accueillir les clients, malgré la guerre et les tirs de missile. Un lieu branché où l’on tente de mener sa vie avec un semblant de normalité.

- Kharkiv, de notre correspond­ante Emmanuelle CHAZE.

Un soldat entre s’acheter un café, alors qu’en fond sonore on entend Do I Wanna Know, du groupe rock britanniqu­e Artic Monkeys. La machine à café siffle, tandis qu’une vendeuse emballe un croissant et une miche de pain de campagne pour une autre cliente. Dans le coin salon de thé, un homme et son chien sont attablés. Plus loin, un jeune homme travaille sur son ordinateur.

« Il faut vivre au jour le jour »

Des hipsters, des couples amoureux, un corgi et son maître… On se croirait dans n’importe quelle grande ville, ne serait- ce l’indice déprimant et très visible : les panneaux en bois sur toutes les fenêtres de Pakufuda, ce petit café du centre-ville de Kharkiv.

C’est le refuge gourmand imaginé par trois amis, Anton, Lili et Tanya, qui ont ouvert ce lieu juste avant la pandémie. Anton, 35 ans, est un toucheà- tout. Informatic­ien, traducteur, et entreprene­ur, il a rouvert les lieux en mai 2022, après quelques mois d’interrupti­on : « Je suis revenu après quelques mois à Vinnytsia (centre). Beaucoup de gens avaient quitté Kharkiv, mais beaucoup y sont revenus : les résidents mais aussi des milliers de déplacés de l’Est qui sont venus y trouver refuge. C’est pour ça que c’était important de rouvrir, à un moment où il n’y avait plus beaucoup de cafés dans la ville. »

La ville de Kharkiv en 2022 n’a rien à voir avec celle de 2024 : les rues sont désertes, les rares passants y défilent, telles des ombres. Deux ans

après, la vie est revenue, et avec elle, l’espoir des natifs de la ville, comme Anton : « Je suis chez moi ici, et ce, grâce à ceux qui se battent pour notre pays, même si on est à 30 km de la frontière russe. OK, on a des frappes de missiles, mais on n’a pas de tirs d’artillerie, et toutes les forces du bien sont de notre côté, donc je ne m’inquiète pas… »

Lili, la trentaine, cofondatri­ce, raconte les difficulté­s du retour : « On ne peut rien prévoir avec cette situation, il faut vivre au jour le jour. Lorsque nous sommes revenus à Kharkiv, nous avons passé deux mois à remettre les lieux en état, car beaucoup de gens y avaient trouvé refuge et vécu dans le sous- sol, à l’abri des bombes. Financière­ment, on ne savait pas si on allait pouvoir tenir, et l’explosion, le 2 janvier, a touché cet immeuble, où je vis aussi. Ça m’a beaucoup affectée psychologi­quement : ça m’a touchée directemen­t, là où j’aurais dû être le plus en sécurité, chez moi ».

Malgré ces revers, le café continue de tourner, et se double même depuis quelques mois d’une boulangeri­e, fruit du travail de Tanya, 30 ans, la troisième associée de l’affaire : « Au début, c’était une toute petite boulangeri­e, avec quelques croissants. Ensuite, on s’est lancé dans le pain. Je ne suis pas très fan de gâteaux mais j’adore les viennoiser­ies. Elles ne font pas forcément partie de la culture ukrainienn­e, alors j’ai décidé de les produire moi-même. Il y a des pastels de natas (pâtisserie portugaise), des pains au chocolat, des croissants… ».

Que feraient Anton, Lili et Tanya, si l’armée russe arrivait à nouveau aux portes de la ville ? Anton confie : « Je penserai peut- être à transférer notre business, mais pas pour le moment. Je suis peut- être trop optimiste, mais je ne pense pas qu’on se retrouvera dans une telle situation. »

Les haut- parleurs jouent maintenant Let It Happen ( « Laisse faire », du groupe pop-psychédéli­que Tame Impala). Une belle analogie pour ces milliers de jeunes adultes ukrainiens qui tentent de mener leur vie avec un semblant de normalité, ne serait- ce que le temps d’un bon café.

 ?? | PHOTO : EMMANUELLE CHAZE ?? Anton, 35 ans, a rouvert les lieux en mai 2022, après quelques mois d’interrupti­on.
| PHOTO : EMMANUELLE CHAZE Anton, 35 ans, a rouvert les lieux en mai 2022, après quelques mois d’interrupti­on.
 ?? | PHOTO : EMMANUELLE CHAZE ?? Tanya, 30 ans, gère la boulangeri­e du café.
| PHOTO : EMMANUELLE CHAZE Tanya, 30 ans, gère la boulangeri­e du café.

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