Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Tout ce qui pèse sur les agriculteurs »
Avez-vous déjà quelques pistes ? L’un des sujets de tension porte sur le rôle des centrales d’achat européennes. Après plusieurs recours au niveau européen, la cour d’appel de Versailles a confirmé que la France et sa justice sont bien compétentes pour juger de l’amende de 117 millions d’euros qui avait été prononcée en 2019, par mes soins, contre Leclerc. C’est un signal clair. La partie adverse a fait feu de tout bois. Je ne sais pas si l’agriculture est gagnante, mais en tout cas les cabinets d’avocats le sont. Le tribunal va pouvoir maintenant juger sur le fond.
Le gaspillage alimentaire, c’est aussi des émissions de CO2. Comment faire mieux ?
L’éducation joue un rôle. Une initiative locale a obtenu de très bons résultats en faisant, par exemple, peser aux élèves ce qu’ils jettent à la poubelle en fin de repas, afin de les inciter à moins se servir, quitte à en reprendre plus tard s’ils ont encore faim. Il y a un travail à mener avec la restauration collective. Il y a quatre ans, j’avais abordé ce sujet avec Sodexo (multinationale française spécialisée dans les services de restauration collective). Réduire le gaspillage, cela permet aussi de dégager des moyens pour faire de la meilleure qualité, pour augmenter la part de bio. C’est un chantier de longue haleine.
Comment mieux valoriser les produits fabriqués en France ? J’appelle les distributeurs à continuer à s’engager sur ce sujet. Et aussi à respecter la loi sur l’affichage de l’origine. Il y a eu beaucoup d’avancées en cinq ans. J’ai participé à un contrôle DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), mercredi, dans une grande enseigne. Certaines non- conformités relèvent de la négligence, mais il ne faut pas les laisser passer. Et il faut être implacable avec les tromperies induisant le consommateur en erreur et pénalisant nos agriculteurs.
À quoi pensez-vous ?
Il y a quatre ans, nous avions démonté un réseau de francisation des kiwis. Des kiwis importés d’Italie étaient vendus comme français. Nous étions face à une fraude organisée dont l’objectif était de tromper sciemment le consommateur. Et puis, vous avez des tromperies plus insidieuses. Le grand classique, c’est la bouteille de vin ou le pot de miel sur lesquels vous trouvez les codes paysagers et culturels français. Cela s’appelle une allégation trompeuse. Le consommateur ne devrait pas avoir à se poser la question. Il y a ce qui est obligatoire, comme l’affichage de l’origine géographique pour les fruits et légumes ou la viande, et ce qui ne l’est pas encore.
« Montrer plus clairement ce qui est fait à partir de produits français »
C’est-à-dire ?
J’avais un problème quand j’étais au ministère de l’Industrie : le « fabriqué en France », c’est la partie industrielle. Donc vous pouvez avoir des produits dont la matière de base est importée, mais le produit qui sort de l’usine est bien fabriqué en France. Je prends l’exemple du coulis de tomate : la tomate est importée en Italie depuis la Chine, mais la cuisson et la mise en boîte sont réalisées en Italie. L’industriel affiche donc que c’est fabriqué en Italie. C’est sur ça qu’il faut progresser : montrer plus clairement ce qui est fait à partir de produits français ou non.
Il faudrait un étiquetage qui détaille d’où vient la matière première utilisée ?
Les Français souhaitent plus de transparence sur ce qu’on retrouve dans les plats. Cela suppose de modifier les règles du marché intérieur européen. Avec une complexité à résoudre : est- ce que vous étiquetez selon la valeur du produit, selon le poids ? Dans le nectar d’orange, le principal élément de composition, c’est de l’eau. Mais ce qui intéresse tout le monde, c’est l’orange. Il y a tout un travail à faire. Pour aller plus loin. Je sais que c’est un combat de ma collègue Olivia Grégoire à Bercy.
Vous n’avez pas peur que le Rassemblement national capte la colère agricole ?
Que le Rassemblement national instrumentalise la colère des agriculteurs, ça ne nous a pas échappé. Ils votent les règles de la Pac (politique agricole commune) les jours pairs, et s’opposent au budget les jours impairs. Je ne sais toujours pas quelles sont leurs propositions, quelle est leur ligne. Soit ils répètent des choses pour lesquelles nous ne les avons pas attendus : les clauses miroir, les simplifications, etc. Soit ils ne portent aucune idée. La somme des colères n’a jamais constitué un programme politique. « Je suis évidemment touché par la crise agricole. Il faut être attentif à nos agriculteurs, les aider, les soutenir et les préserver. Ce sont eux qui nous nourrissent, ils sont à l’origine de tout. Pendant la période Covid, ils ont été d’une grande aide, mais ensuite, ils ont été délaissés. Ce n’est pas normal qu’aujourd’hui, en France, en bossant sept jours sur sept, beaucoup d’entre eux ne puissent pas vivre de leur travail. »