Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

De Cannes aux César, anatomie d’une ascension

Après la Palme d’or, le film de Justine Triet, Anatomie d’une chute, a raflé six César vendredi soir. Retour sur cette formidable aventure au féminin avec la productric­e Marie-Ange Luciani.

- Philippe LEMOINE.

Elle a le sourire, Marie-Ange Luciani, et deux César dans les mains. Vendredi soir, au restaurant Le Fouquet’s sur les Champs- Élysées, après la cérémonie des récompense­s du cinéma français, le champagne coule à flots. Certains y consolent leur déception, d’autres fêtent la victoire dans cette soirée très glamour où la blondeur de Virginie Efira côtoie la barbe noire de Romain Duris. Un casting de rêve.

Les robes de soirée virevolten­t, les smokings défilent dans une parade noire et blanche et toute l’équipe d’Anatomie d’une chute est sur un petit nuage. Depuis la Palme d’or à Cannes, le film de la réalisatri­ce Justine Triet, 45 ans, file de récompense­s en prix, en France et à l’étranger.

Difficile d’approcher la team victorieus­e tant les félicitati­ons, les embrassade­s et les poignées de mains se succèdent dans une parade étourdissa­nte. Pensez donc, six César ! Meilleur film, meilleure actrice (Sandra Hüller), meilleur acteur dans un second rôle ( Swann Arlaud), meilleur scénario original, meilleur montage, meilleure réalisatio­n ! Un palmarès qui laisse les autres un peu bredouille­s et sonnés.

« Nous partons pour Los Angeles »

Ce film qui raconte la dislocatio­n d’un couple, la mort mystérieus­e du mari, le procès de sa femme et les doutes de leur fils aveugle est un bijou d’écriture, de mise en scène et d’interpréta­tion.

Il est 1 h du matin, Marie-Ange Luciani, 44 ans, fille de « l’île de Beauté » et productric­e passionnée – on lui doit notamment 120 Battements par minute (Grand prix à Cannes en 2017, six César) – doit rejoindre sa table pour ce tardif souper. Mais : « Promis, on s’appelle demain matin. Je dois prendre l’avion à 10 h, nous partons à Los Angeles pour préparer les Oscars ! »

Parole tenue ! Fatiguée d’une nuit

sans sommeil, Marie-Ange Luciani s’installe dans l’avion à côté de son complice David Thion, des Films Pelléas, coproducte­ur heureux d’Anatomie d’une chute. Ce dernier n’a pas quitté son costard de la veille, les cernes confinent aux valises, mais quelle vie ! Ce n’est pas tous les jours qu’un film vous emmène aussi loin.

« Nous sommes vraiment heureux de ce palmarès incroyable, se réjouit Marie-Ange Luciani. Nous sortons d’une période où nous avons beaucoup voyagé pour le film, aux ÉtatsUnis et en Angleterre mais c’était très important pour nous que la

France ne nous oublie pas après Cannes. Le film a été écrit, filmé, financé en France, on avait vraiment envie de cette reconnaiss­ance. »

Et depuis Tonie Marshall en 2000, première femme à remporter le César de la meilleure réalisatio­n avec Venus Beauté institut, aucune femme n’avait décroché le précieux trophée.

« Être la deuxième femme de l’histoire à recevoir le César, c’est un peu flippant et génial à la fois, a déclaré Justine Triet vendredi soir, ça donne de l’espoir pour la suite. On l’espère très fort en tout cas. » Une productric­e avisée, une réalisatri­ce engagée, une interprète brillante dans un rôle de femme forte, le cinéma français a-t-il opéré sa mutation ? « La soirée des César a bien montré qu’une nouvelle génération est en train d’émerger. C’est beau de voir ça. »

Entre Marie-Ange et Justine, il y a d’abord une histoire d’amitié. La productric­e se souvient : « Nous nous connaissio­ns dans la vie, mais nous n’avions jamais travaillé ensemble. Elle est venue nous voir, David Thion et moi, avec un pitch encore très simple : une femme, un chalet, du sang dans la neige… J’ai une telle admiration pour son travail que j’ai dit oui tout de suite. »

Défenseure acharnée de l’exception culturelle française, Marie-Ange Luciani, qui dirige la société Les films de Pierre, se réjouit d’avoir trouvé les financemen­ts pour monter ce projet de près de six millions d’euros. « Tout le monde était au rendez-vous. On a bénéficié du soutien de France Télévision­s, de Canal +, des régions, du CNC… Ce n’est pas toujours le cas. »

« Pas de recettes miracles »

Pour ce film, les planètes se sont alignées comme rarement. Cette dissection d’une chute tutoie les sommets, de la critique mais aussi du public. « Nous avons dépassé 1,6 million de spectateur­s, se réjouissen­t les deux producteur­s. Et le film est ressorti mercredi dernier avec 400 copies ! Plus qu’à sa sortie initiale. »

De quoi regarder l’avenir plus sereinemen­t ? « Il n’y a pas de recettes miracles. Chaque film est une nouvelle aventure, il faut convaincre et séduire les commission­s qui décident du financemen­t. C’est ce qui est flippant et excitant. »

Il faut stopper la discussion : l’avion va décoller vers de nouveaux espoirs. Pour les Oscars, qui se dérouleron­t le 10 mars, le film est nommé dans cinq catégories reines (meilleur film, scénario, réalisatri­ce, actrice, montage…). À côté des César, la mythique statuette aurait de la gueule.

 ?? | PHOTO : GEOFFROY VAN DER HASSELT, AFP ?? La réalisatri­ce Justine Triet (à gauche) et la productric­e Marie-Ange Luciani, aux anges après les César.
| PHOTO : GEOFFROY VAN DER HASSELT, AFP La réalisatri­ce Justine Triet (à gauche) et la productric­e Marie-Ange Luciani, aux anges après les César.

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