Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Le porno biberonne les ados au non-consenteme­nt »

Le Pr Israël Nisand intervient depuis trente ans dans des collèges pour parler sexualité. Le célèbre gynécologu­e alerte sur l’urgence à instaurer des cours d’éducation sexuelle pour tous les ados.

- Propos recueillis par Pascale LE GARREC. Philippe ETCHEBEST.

Entretien

Israël Nisand, professeur de gynécologi­e obstétriqu­e, spécialist­e du diagnostic prénatal, de l’IVG, de la procréatio­n médicaleme­nt assistée et de bioéthique.

Depuis 1993, vous allez chaque semaine dans des classes de 3e pour parler de sexualité aux ados. Quelles sont leurs questions ?

Elles sont largement issues de la pornograph­ie. À 12, 13 ans, plus de la moitié d’entre eux ont vu des documents pornograph­iques. Les filles aussi, dans la cour de récréation, sur les smartphone­s des copains. Quand elles refusent, elles sont exclues de la bande ou moquées. À Strasbourg, on m’avait demandé d’intervenir parce qu’il y avait des fellations collective­s dans les toilettes de collèges cossus du centre-ville. Mais qui leur a appris cela, si ce n’est la pornograph­ie ?

L’accès aux sites porno n’est-il pas encadré ?

Il y a un lobby des gens qui gagnent de l’argent avec le porno. Pourtant, une loi sur la protection des mineurs existe. Pourquoi les milliardai­res du Net seraient-ils dispensés de la respecter ? Les arguments techniques ne sont pas de bons arguments. Dire qu’on ne peut pas contrôler ce qui est diffusé signifie qu’on peut montrer à nos enfants des images de zoophilie tournées en Californie impunément ? Non. Il faut responsabi­liser les fournisseu­rs d’accès.

Quelle solution ?

Demander un numéro de carte bleue avant la délivrance de la première image permettrai­t d’éviter qu’un jeune de 13 ans tombe dessus sans l’avoir cherché. Il y a des enfants et des ados addicts, qui consomment trois heures de pornograph­ie par jour… On n’éduque pas nos enfants à la sexualité puisque la loi de 2001 (qui prévoit au moins trois séances annuelles dans les collèges et lycées) n’est pas respectée. La pornograph­ie les éduque à notre place. C’est une barbarie.

Est-ce les parents qui s’opposent à ces séances ?

C’était le cas jusque-là. Avec la pornograph­ie, ils se rendent compte qu’ils ont besoin de tiers pour parler de sexualité à leurs enfants. Mais qui va le faire dans les écoles ? On n’a pas constitué les ressources humaines pour ça.

Pourquoi pas les profs ?

S’ils ne sont pas formés spécifique­ment pour, ce serait contre-productif. C’est un sujet politique. En l’absence de décision au plus haut niveau dans notre pays, ce sont les femmes qui payent l’addition.

C’est-à-dire ?

Pas informées, ne sachant pas qu’on peut dire non, refuser un rapport sans préservati­f, les femmes sont les grandes victimes. Elles assument les gros

sesses non souhaitées. Qui leur apprend à partir quand un homme est jaloux, quand il y a une injure, sans attendre la première gifle ? On a près de 150 féminicide­s par an en France, je hurle de rage de voir ça !

Les ados ne connaissen­t-ils pas la notion de consenteme­nt ?

Les films pornos ne leur apprennent pas le consenteme­nt, au contraire. Ils disent qu’une femme qui dit non, en fait, ça veut dire oui et que si tu arrives à la faire jouir correcteme­nt, elle t’en saura gré… Le porno biberonne nos enfants au non-consenteme­nt.

Les séances sur la sexualité dans les collèges sont-elles efficaces ?

Il y a beaucoup moins d’IVG chez les mineures à Strasbourg (où le Pr Nisand intervient depuis trente ans) que dans le reste de la France. On a 15 000 IVG par an chez les mineures en France et 90 000 chez les moins de 25 ans, là où les Pays-Bas en ont trois fois moins.

Pourquoi cette différence ?

Qu’y a-t-il de plus important dans la vie d’un individu que sa sexualité ? Aux Pays-Bas ou en Suisse, on parle du respect de soi à l’école, dès 4 ans. À 6 ans, du respect de l’autre : mon corps est à moi, on ne me lave pas entre les fesses quand on me donne mon bain.

Il y a trois fois moins d’inceste en Hollande que chez nous ! Nous, on est un vieux pays d’inceste. Dans les écoles, tout le monde sait que pour tel élève qui a des résultats catastroph­iques, ça ne se passe pas bien à la maison, qu’il est sollicité sexuelleme­nt. Mais on a peur de soulever la vase des familles.

Le Sénat doit se prononcer mercredi sur l’inscriptio­n de l’IVG dans la Constituti­on. Vous n’y êtes pas très favorable ?

Je suis favorable à tout ce qui améliore réellement le sort des femmes. Être le premier pays qui inscrit ce droit dans sa loi fondamenta­le a un intérêt symbolique, mais des juristes m’ont dit que ça ne protégerai­t pas plus que cela l’IVG. Ce qui serait bénéfique, c’est de donner les moyens aux hôpitaux pour qu’une femme qui a besoin d’une IVG puisse l’avoir en urgence.

N’est-ce pas déjà le cas ?

Il y a plein d’endroits qui fixent rendezvous aux femmes quatre semaines après leur appel, en leur disant : rassurez-vous, on a allongé le délai. À Strasbourg, j’ai toujours consacré de gros moyens à l’IVG sans en prendre pour la chirurgie ou l’accoucheme­nt. Mais des collègues sont obligés de le faire. Et puis, comme l’IVG chirurgica­le est deux fois mieux payée que l’IVG médicament­euse, il y a beaucoup d’hôpitaux où les femmes n’ont pas le choix ! On leur dit : madame, soyez contente qu’on vous prenne, mais ce sera une IVG chirurgica­le. Pourtant, techniquem­ent, les deux se valent.

Au début de votre carrière, l’IVG était encore illégale ?

J’ai été nommé interne en 1974. Trois mois avant la loi Veil. J’ai vu deux adolescent­es mourir après s’être injecté de l’eau savonneuse dans l’utérus, à 15 et 16 ans. Je me souviens encore de leurs cris de douleur, de notre impuissanc­e à les sauver. Et de leur mort. Depuis le 23 janvier 1975, je n’ai plus vu une seule femme mourir d’une IVG. Avant, il en mourrait quasiment une par jour en France, 300 par an ! Vous multipliez ce chiffre par dix pour le nombre de séquelles, de stérilités, etc.

En parlez-vous aux ados ?

Quand je vais dans les écoles, les jeunes me disent que l’IVG est un meurtre… Je leur dis que je suis très fier d’appartenir à un pays qui, il y a plus de quarante ans, a décidé que c’était aux femmes de décider. Je leur raconte que je voyais la fille du préfet en salle d’opération avec « fausse couche » marqué au tableau opératoire, quand les jeunes pauvres, elles, mourraient…

Parler sexe, Comment informer nos ados, éd. Grasset, 16 €.

« La pornograph­ie, ce n’est pas la vraie vie. C’est donc très important d’éduquer les jeunes, de leur donner des repères. »

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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE Le gynécologu­e Israël Nisand : « La pornograph­ie éduque les enfants à notre place. C’est une barbarie. »
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