Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« J’étais nulle en dictée » : les Français et L’orthograph­e, une liaison compliquée

L’orthograph­e est difficile à maîtriser. Pourtant, faire des fautes est souvent méprisé. Certains en ressentent de la culpabilit­é.

- Marie TOUMIT. Philippe ETCHEBEST.

« Ne pas savoir écrire sans fautes me met des barrières quand je postule, confie Edwige Arnaud, 48 ans. Dans de nombreux milieux, des gens jugent sur l’orthograph­e. » Comme beaucoup de Français, cette habitante de Romans-sur-Isère (Drôme) fait des erreurs d’orthograph­e grammatica­le ou lexicale : une terminaiso­n en « er » au lieu de « é », des « s » oubliés, des consonnes pas toujours doublées… Pas de quoi rendre illisible ce qu’elle écrit, mais assez pour faire tiquer un recruteur.

Elle qui a travaillé dans le commerce s’est adaptée pour contourner les difficulté­s. « J’écrivais des mails succincts, avec des tirets plutôt que des phrases longues. » Autre stratégie : « Je tourne la phrase autrement », appuie Valentin (1), qui aime lire et écrire depuis tout- petit. Lui est étudiant en master 2 de journalism­e, en alternance à Lyon. « Avant de livrer mes articles, j’utilise un correcteur sur Internet, puis un autre au journal et le texte est relu par un collègue. »

« Un peu de culpabilit­é »

Valentin assure ne pas être tracassé par ses fautes. Malgré tout, il ajoute : « Il y a un peu de culpabilit­é, surtout dans les études que je fais. J’aimerais bien m’améliorer, mais je ne fais pas tous les efforts. »

« Ça ne m’a pas complexée avant que je change de métier », répond en écho Océane Courly, 28 ans, ex-maître- chien, qui a arrêté l’école à 15 ans pour débuter un pré-apprentiss­age. Même lorsqu’elle a repris des études pour obtenir un bac +2 en 2021, son niveau d’orthograph­e ne lui a pas posé de problème. « Je lisais beaucoup. Ce qui m’a permis d’avoir un très bon parler », assure cette habitante de Montpellie­r, désormais chargée d’administra­tion du personnel dans une entreprise de transports. « Mais un jour, ma responsabl­e m’a fait remarquer, gentiment et avec humour, qu’il y avait parfois des erreurs dans mes mails. Si je voulais qu’on me prenne au sérieux, il fallait

arrêter », s’est- elle dit.

Océane Courly a alors décidé de dompter les accords du participe passé et les liaisons mal maîtrisées grâce à une formation, financée par son compte personnel de formation (CPF). Elle s’est engagée dans un projet de reconversi­on. Tout comme Edwige Arnaud, qui est aussi adjointe au maire de sa ville. « J’ai trouvé embêtant de faire corriger mes mails par la secrétaire de mairie. Même si je le vis bien, que je l’assume et que j’en ris », confie cette mère de famille, qui travaille désormais au bureau des entreprise­s d’un lycée.

Les deux femmes ont frappé à la porte de Muriel Chaulet, fondatrice de l’organisme Orthograph­e formation. « La plupart des personnes qui me contactent veulent évoluer dans leur entreprise ou reçoivent des propositio­ns mais hésitent à accepter un poste car il va falloir écrire », confirme la formatrice. Elle ajoute : «Beaucoup ressentent un peu de

gêne et de culpabilit­é, voire de la honte. Elles sont dans l’auto-jugement : « Je suis pourtant allée à l’école, mais je ne sais pas faire… »»

Edwige Arnaud se souvient justement de ce qu’elle a dit, au départ, à Muriel Chaulet : « Je suis nulle en français. J’ai toujours eu zéro en dictée. » Valentin, lui, en rigole. Dans le cadre de ses études, ses camarades et lui ont passé le certificat Voltaire, indiquant un niveau de maîtrise en orthograph­e. « On était deux sur vingt-trois à aller au rattrapage… », raconte le jeune homme.

Des « erreurs », pas des « fautes »

Tout au long de sa scolarité, il dit avoir été « plébiscité pour sa plume mais pénalisé par l’orthograph­e ». N’empêche qu’il s’interroge : « Comment se fait-il que mes amis y arrivent et pas moi ? On était dans le même type d’écoles, avec le même parcours. Ça fait un petit coup à l’estime de soi. Je ne remets pas en cause le système, c’est moi qui n’ai sans doute pas assez écouté… »

Muriel Chaulet, elle, veut faire fi de la culpabilit­é. « Certains me disent qu’ils ont fait une faute comme s’ils se confessaie­nt. » Elle préfère utiliser le terme « erreur » : « Comme en calcul. Et on cherche d’où elle vient. D’ailleurs, l’étymologie du mot « erreur » vient d’« errer » ! »

Ce rapport à l’orthograph­e – objet de fierté, de jugement, d’interrogat­ions et d’approximat­ions – raconte un peu notre société. « Peu de pays ont des débats aussi passionnés sur leur langue », déclarait Emmanuel Macron, lors de l’inaugurati­on de la Cité internatio­nale de la langue française, fin octobre 2023, à VillersCot­terêts (Aisne). Sur l’écriture inclusive mais pas seulement.

Les réseaux sociaux en fournissen­t la preuve au quotidien. Il est fréquent de voir quelqu’un dénigrer l’argument d’un autre en lui faisant remarquer une orthograph­e défaillant­e. Mais il n’est pas rare non plus que celui qui s’érige comme le gardien de la règle commette lui aussi une erreur !

« Le principe est de ne pas faire de fautes, souligne Alexis Berthel, membre du bureau de l’Associatio­n nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) et DRH d’une entreprise de sécurité. Dans les documents de communicat­ion en interne, c’est toutefois moins gênant que dans les textes à destinatio­n de clients, qui reflètent l’image de l’entreprise, sa qualité, sa rigueur. »

« On se sent libéré »

Pour lui, il n’y a pas plus de tolérance qu’auparavant pour les lacunes en orthograph­e. Sauf peut- être dans certains métiers en tension. « Mais de là à s’en contenter ! Il faut ensuite faire monter en compétence la personne, notamment si elle est en relation avec les clients. » Océane Courly et Edwige Arnaud l’ont fait d’elles-mêmes. « Je me sens libérée, assure la première. On arrive à mettre en

applicatio­n ce qu’on a appris. On doute moins, on vérifie moins sur Google. » Elle ajoute : « Les mots peuvent être attendriss­ants et beaux, mais si on veut faire passer un message sans y mettre les formes, il peut perdre de sa valeur… »

« Lorsque j’écris, je suis plus sûre de moi, renchérit Edwige Arnaud, dont l’un de ses fils est dyslexique et dysorthogr­aphique. Ça étoffe la personnali­té et favorise l’estime de soi. » Elle s’interroge sur le système français : « Cette façon académique d’apprendre à l’école ne convient pas à tout le monde. Je n’étais pas bonne en orthograph­e, on m’a mise en filière commerce. Ça a orienté des choses… » (1) Le prénom a été changé. « On ne peut pas dire que ce soit une grande histoire d’amour, mais je pense que je ne suis pas mauvais en orthograph­e (rires). C’était très important dans mon éducation. Aujourd’hui, c’est incroyable, le nombre de fautes que font les jeunes qui travaillen­t avec moi. Je les corrige de temps en temps. Mais des problèmes de syntaxe, de grammaire, d’orthograph­e…, j’ai l’impression qu’il y en a de plus en plus. »

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| PHOTO : S. GEUFROI, OUEST-FRANCE « La façon d’apprendre à l’école ne me convenait pas. »
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Pour éviter de faire des fautes, Edwige « écrivait des mails succincts ».
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| PHOTO : KAELIG BLANCHARD / OUEST-FRANCE

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