Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« En gallo, il y a peu de mots pour les sentiments »

Ses contes en gallo alternent entre émotion, humour et philosophi­e. À 82 ans, le costarmori­cain Maurice Le Dourneuf ne se lasse pas de raconter des histoires, que ce soit sur scène ou à la radio.

- Pauline BOURDET.

Comme le souligne sa femme Annick, Maurice Le Dourneuf « n’est jamais revenu les mains vides » de la Truite du Ridor, organisé à Plémet (Côtes- d’Armor). « Certains disent même qu’ils avaient arrêté de le faire gagner parce que ça découragea­it les autres… » Dimanche 4 février, il a remporté, pour la huitième fois, le premier prix de la 47e édition de ce concours de chants et contes en gallo.

La première fois, en 1997, il avait raflé la mise avec une traduction en gallo de la chanson Ces gens-là, de Jacques Brel. Et s’était donc sélectionn­é pour participer au concours Kan ar bobl, à Pontivy (Morbihan). « Là, on m’avait fait remarquer que ce n’était pas un conte… », se souvient Maurice, toujours un poil rancunier, 25 ans plus tard.

La passion du théâtre

L’année suivante, il était revenu avec une traduction des quatre premiers chapitres de la Bible. « C’est un conte, ils ne pouvaient pas dire le contraire ! », glisse avec malice cet éleveur de porcs à la retraite.

S’il est toujours attendu avec impatience par le public de ces concours, ce n’est pas par hasard. Son interpréta­tion et son aisance scénique font la différence, grâce à la passion qui ne l’a jamais quitté depuis ses 14 ans : le théâtre.

Originaire du Bodéo, petite commune entre Uzel et Quintin, Maurice n’a jamais voulu se cantonner aux contes traditionn­els du Centre- Bretagne, leur préférant la poésie du chansonnie­r libertaire Gaston Couté. « Le monde irait mieux si plus de gens connaissai­ent son oeuvre », soupire Maurice à son évocation.

Alors l’éleveur s’est lancé dans l’écriture d’histoires originales, pour montrer « qu’on peut dire des choses sérieuses en gallo », refusant de céder aux « gauloiseri­es » souvent associées à la scène gallèse.

Dans ses « sketchs », Maurice Le Dourneuf évoque ses souvenirs, des anecdotes de la vie à la campagne, la nostalgie d’une époque révolue, de son rêve de devenir marin en passant par la guerre. « Quand je suis arrivé en Algérie, j’avais 20 ans et quand j’en suis revenu 28 mois après, j’étais rendu vieux pour le restant de mes jours… »

Le gallo « du coin »

Ses histoires, il les écrit dans « le gallo du coin » : « Je veux que les spectateur­s entendent des mots qu’ils connaissen­t, même s’ils les ont oubliés. » Lui aussi doit parfois se creuser la tête pour retrouver au fond de sa mémoire un mot, une expression de cette langue qu’il a appris « naturellem­ent » durant son enfance : « À l’épo

que tout le monde parlait gallo, même si nos parents évitaient de nous l’apprendre. »

Et lorsqu’il atteint les limites de la langue, il a appris à ruser : « Décrire les émotions, ça va, mais parler des sentiments… Il n’y a pas beaucoup de mots en gallo, toujours des périphrase­s. »

Malgré ses 82 ans, le conteur est toujours prêt à monter sur scène, « partout où on me demande ! », et prépare activement les Caozeries qui

jalonneron­t le mois du gallo, en mars, avant le Kan ar Bobl en avril et Tradi’chapelle en Mené, au printemps.

Maurice a aussi intégré l’équipe de l’émission de radio « De goule à oraille », sur RCF, où il interprète chaque semaine un texte de son cru. Un exercice qui n’est pas pour lui déplaire, malgré le défi rédactionn­el qu’il représente : « Avoir une idée, c’est facile. Avoir une bonne idée, c’est plus dur ! »

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| PHOTO : OUEST-FRANCE Maurice Le Dourneuf, chez lui, au Bodéo (Côtes-d’Armor).

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