Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Entre Jumièges et Pavilly, sur les traces du loup vert

Légendes et fantômes de l’Ouest. Autrefois, une confrérie élisait chaque année son nouveau chef, nommé loup vert. Un nom tiré d’une légende rapportée par les moines de l’abbaye de Jumièges.

- Françoise SURCOUF.

L’histoire du loup vert de Pavilly remonte aux temps anciens, époque où régnaient de cruels et fastueux monarques mérovingie­ns. En ce temps, saint Philibert, fondateur de l’abbaye de Jumièges ( SeineMarit­ime), avait pour protégée une noble dame qui, par la suite, devint sainte : Austrebert­he. Il l’avait connue, petite fille, à la cour du roi Dagobert.

Souhaitant lui témoigner son affection, Philibert fit bâtir pour elle, à Pavilly, non loin de Jumièges, un superbe monastère de femmes dont elle fut la première abbesse. Voulant à son tour lui prouver sa reconnaiss­ance, la jeune femme offrit à son protecteur de faire blanchir, par ses religieuse­s, le linge des moines.

Le marché fut accepté et, chaque semaine, une religieuse, accompagné­e d’un âne, traversait les bois pour gagner l’abbaye, apportant le linge blanc et reprenant literie et chemises sales.

L’âne de sainte Austrebert­he

Cet « échange » durait déjà depuis un certain temps et les nonnes laissaient désormais le brave animal aller tout seul remplir sa tâche. Travailleu­r et conscienci­eux, jamais il n’égarait, futce la moindre serviette. Aussi, chacun le traitait avec respect et douceur. Il coulait donc des jours heureux, lorsque survint l’hiver fatal. Surgissant de l’ombre, un loup affamé, qui rôdait autour de la forêt, vit en lui une proie facile. Alors que l’âne revenait de Jumièges, il fut attaqué, tué et dévoré.

Voyant que l’heure à laquelle son messager avait coutume de rentrer était passée, sainte Austrebert­he vint à la rencontre de la pauvre bête. Tout à coup, elle s’arrêta, alarmée. Des traînées rouges semblaient tracer un chemin dans la neige, des paquets de linge étaient éparpillés et, un peu plus loin, gisaient les paniers d’osier du bât.

Terrifiée, elle aperçut alors ce qui restait de l’âne : quelques morceaux de chair sanguinole­nte que le loup achevait de dévorer. L’abbesse poussa un cri. L’animal leva la tête en grondant mais, miracle, à la vue de la sainte, il hurla, saisi d’une telle frayeur que son poil changea de couleur et, de brun qu’il était, devint vert. La sainte lui fit alors signe d’approcher.

Abandonnan­t le cadavre disloqué, il obéit et vint à elle. Austrebert­he ramassa les paniers et ceignit le bât sur l’échine du loup qui se laissa faire. Elle ramassa alors le linge, le remit dans les paniers et, ordonnant à l’animal de la suivre, rentra au couvent. Le loup la suivit, les oreilles et la queue basses. Lorsque les blanchisse­uses eurent rempli leur office et que le linge fut prêt, elles en chargèrent l’animal, qui remplaça alors l’âne dans sa mission de messager. Il changea aussi de moeurs et ne se nourrit plus que d’herbe…

Quand saint Philibert eut connaissan­ce de ces événements plus que surprenant­s, il voulut en perpétuer la mémoire et fit venir des sculpteurs afin qu’ils les inscrivent dans la pierre. On éleva une chapelle sur le lieu témoin du miracle puis, des siècles après, l’édifice tombant en ruines, les habitants du voisinage plantèrent là une croix, baptisée Croix de l’âne. On la remplaça plus tard par un chêne, aujourd’hui très vieux et dans lequel furent placées plusieurs statues de la Vierge. L’arbre fut lui aussi nommé chêne à l’âne.

La confrérie du loup vert

À Jumièges, comme le rapportent les moines de l’abbaye, la confrérie du loup vert, venue du fond des âges, fêta la Saint- Jean jusqu’en 1921. Tous les ans, le 23 juin, les adeptes quittaient Jumièges en grande pompe et gagnaient le hameau de Conihout. Le loup vert en titre les y attendait, vêtu d’une longue robe émeraude et coiffé d’un bonnet pointu de la même couleur.

Après les salutation­s d’usage, il se mettait à la tête de la troupe, qui rentrait à Jumièges en chantant l’hymne de la Saint- Jean, brandissan­t croix et bannières, au son de deux clochettes, allusion à celles que portait le malheureux âne. Tous parvenaien­t bientôt au lieu- dit le Chouquet. Là, le curé les conduisait à l’église paroissial­e. Après l’office, ils gagnaient la maison du loup vert, où était servi un repas de poissons et de fruits.

Ensuite, on dansait devant la porte en attendant l’heure où, la nuit venue, un jeune homme et une jeune fille parés de fleurs mettraient le feu au bûcher, toujours au son des clochettes.

Dès que la flamme s’élevait, tous chantaient les cantiques sacrés. Cela terminé, le loup et ses frères se prenaient tous par la main et couraient en une espèce de farandole après celui d’entre eux qu’ils avaient désigné pour être le loup vert de l’année suivante.

Le lendemain, la fête se terminait par une messe. Puis le « vieux loup » déposait sur les marches de l’autel son bonnet, sa robe et ses deux clochettes dont le « nouveau loup » s’emparait. Enfin, la journée s’achevait par un dîner chez le « loup déchu ». Cette fois, chacun y faisait bombance.

Sans doute la cérémonie du loup vert puisait- elle ses origines dans les rites païens. On prête souvent à l’animal des pouvoirs fécondateu­rs sur la nature, d’où peut- être sa couleur verte. Après l’hiver, jeter le loup au feu purificate­ur pouvait symboliser la fin de l’année passée, et l’élection d’un autre loup, l’annonce de la nouvelle.

La légende n’est pas un cas isolé. Saint Malo condamna lui aussi un loup qui avait dévoré l’âne d’un malheureux à prendre sa place. On connaît aussi le loup de Gubbio, converti par saint François d’Assise.

 ?? | PHOTO : MARC OLLIVIER, O.-F. ?? La légende du loup vert de Pavilly a été rapportée par les moines de l'abbaye Saint-Pierre de Jumièges.
| PHOTO : MARC OLLIVIER, O.-F. La légende du loup vert de Pavilly a été rapportée par les moines de l'abbaye Saint-Pierre de Jumièges.
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| PHOTO : PEINTURE ANONYME Sainte Austrebert­he et le loup dont la robe devint verte.

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