Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
L’assassin entre les griffes du journaliste
Récit. Avec Le journaliste et l’assassin, Janet Malcolm propose une réflexion pleine d’acuité autour des relations qui unissent l’auteur d’un livre et son sujet. Une réédition bienvenue.
Aux origines du livre Le journaliste et l’assassin, initialement paru en 1989, des morts atroces survenues le 17 février 1970. Celles de Colette MacDonald, enceinte, et de ses filles de 2 et 5 ans, massacrées dans leur maison de Fort Bragg, une base militaire de Caroline du Nord. Des assassinats pour lesquels le mari et père, Jeffrey MacDonald, devait être blanchi puis condamné, sans jamais avoir cessé de clamer son innocence.
Ce ne sont pourtant pas ces meurtres au sens strict qui ont suscité l’intérêt de Janet Malcolm, célèbre journaliste du New Yorker. Ce sont les incroyables circonvolutions de l’affaire. Alors qu’il n’a pas encore été jugé, Jeffrey MacDonald embauche un journaliste- écrivain afin qu’il suive le procès et écrive un livre en sa faveur. Ce dernier, Joe McGinniss, devient un ami proche du mis en cause. Mais au lendemain du procès, le ciel tombe sur la tête de MacDonald
et de ses défenseurs. Fatal Vision dresse un portrait accablant du condamné et enfonce le clou de sa culpabilité.
Duperies et mensonges
MacDonald poursuit alors McGinniss, jugé coupable de tromperie et trahison. C’est là que Janet Malcolm entre en scène. Elle rencontre les deux parties, les avocats, les jurés. Avec obstination, elle creuse l’étonnante relation entre le cynique écri
vain et son sujet, faite de manipulations, de duperies, de mensonges.
Au- delà du cas des deux hommes, l’enquêtrice (décédée en 2021) s’interroge avec acuité sur les raisons, le masochisme parfois, qui poussent des anonymes à se laisser portraiturer. Elle plonge dans la psyché de l’auteur qui cède à la tentation de caricaturer et embellir une personnalité falote afin de la rendre digne d’intérêt. Elle s’interroge sur la dose d’empathie qu’il convient de
déployer envers son sujet, digresse vers le plaisir narcissique que procure un procès en diffamation. Avec sévérité : « Le journaliste qui n’est ni trop bête ni trop imbu de lui- même pour regarder les choses en face le sait bien : ce qu’il fait est moralement indéfendable. Il est tel l’escroc qui se nourrit de la vanité des autres. »
Le journaliste et l’assassin, Éditions du sous-sol, 240 pages, 11 €.