Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Coville : « Qu’est- ce qu’on aura morflé ! »

Arkéa Ultim Challenge. Alors qu’il sortait depuis quelques heures du pot-au-noir, Thomas Coville, skipper de Sodebo, a accepté de donner un entretien à Ouest-France.

- Recueilli par Jacques GUYADER.

Thomas Coville, 55 ans, skipper de Sodebo Ultim 3, 2e de la course à 1 485 milles du leader, Charles Caudrelier, dont l’arrivée est prévue lundi ou mardi à Brest.

Vous sortez du pot-au-noir laborieuse­ment. On peut dire que la météo n’aura décidément pas été facile sur ce tour du monde…

Ah non, c’est sûr. Qu’est- ce qu’on aura morflé ! Elle n’aura jamais été favorable, pour nous en tout cas. Et devant, Charles aura toujours eu un coup d’avance sur nous, car à chaque fois, c’est passé pour lui. À chaque fois qu’il avait du danger ou quelque chose de dur devant lui, il avait de quoi attendre, l’éviter, et doser. C’est vrai que ça fait un tour du monde qui n’est plus du tout pareil. Nous, c’est tout le temps dans le dur et dans des trucs difficiles à gérer. Tu subis un peu, tu n’arrives pas à te positionne­r pour le gérer et tu es obligé de te le tartiner, de te le cogner. Il y a plusieurs tours du monde en un seul, et chacun racontera le sien à la fin. Le nôtre aura été météorolog­iquement très difficile.

Ce pot-au-noir était épuisant ?

Oui carrément, j’ai mis du charbon pour essayer de le passer au mieux, je n’ai pas dormi pendant deux jours. Là, ça va aller mieux, maintenant que je suis sorti je vais aller tout droit et je vais pouvoir récupérer avant les Açores… Ces derniers jours, ce sont les seuls moments du tour du monde où j’ai barré. Le reste du temps, je ne l’ai quasiment pas fait, entre les manoeuvres et les conditions telle

ment dures dehors. Moi, avec mon cockpit avancé, j’ai souvent de l’eau vive sur les hublots. Et ma plage avant est souvent sous l’eau. C’est pour ça que l’on s’est arrêté à Hobart, parce que sans le filet, ni le balcon devant, cela devenait trop dangereux d’aller manoeuvrer.

En fait, chacun de vous semble en avoir bavé dans cet Arkéa Ultim Challenge…

Oui, on est pris à notre propre piège. On veut des bateaux plus rapides, high- tech, volants.. Même si nous, chez Sodebo, on avait voté contre au début car on se disait que pour un premier tour du monde en solo, on pouvait le faire sans tout ça, notamment sans l’aile de raie (dérive centrale). Mais pour Gitana, qui avait déjà la technologi­e de ça, et la maîtrise, il était hors de question de s’en priver et de se plier à l’intérêt général. Cela nous a tous poussés à aller dans ce sens-là. Alors désormais, nous avons des bateaux tip- top, mais qui sont d’une exigence incroyable en solitaire. Et d’une technicité folle, donc même si les équipes sont expériment­ées, il leur faut défricher et découvrir en permanence, parfois que ceci n’est pas assez solide, que cela est sous dimensionn­é…

Pas assez solides en général ? Ben, au final, à part ce pauvre Tom Laperche qui faisait un début de course incroyable, un vrai champion en herbe… les cinq autres sont dans l’Atlantique. Les deux plus jeunes, derrière, Anthony et Eric, ont passé leur premier cap Horn. Les foilers, qui jusqu’ici n’avaient pas encore réussi à passer en équipage, l’ont passé en solo… La classe, qui a souvent été décriée, est peut- être bien en train de réussir son pari. Bon, on en reparlera après les arrivées… En fait, dans cette histoire, il ne manque que notre menhir, Francis Joyon, avec son bateau Idec, fiable… Sans s’arrêter, ça aurait pu être très intéressan­t pour lui. Il en a décidé autrement.

Les conditions météo difficiles que vous avez rencontrée­s sont-elles atypiques du Grand Sud ?

Je suis bien incapable de dire ça. Moi comme Armel, on a navigué assez nord dans le Pacifique, donc on a eu moins froid, mais sinon, je me garderai bien de tirer des conclusion­s.

« En fait, je m’étonne moi-même »

Des morceaux de glace de la banquise ont été pourtant repérés près du cap Horn…

Oui, mais ce n’est pas une première. Les plus gros glaçons que j’ai vus, c’est avec Jean-Yves Bernot sur la Whitbread. On allait les chercher d’ailleurs, en descendant par 60° sud ! On était cinglés ! Pareil avec Kersauson, on était descendu à 61° sud ! Un truc de dingue. Cela nous raccourcis­sait la route. Maintenant, on est prêt à se la rallonger pour avoir des états de mer plus praticable­s et des conditions météo moins difficiles. On adapte notre stratégie. Il n’y a que Charles, finalement, qui a pu descendre bien bas dans le sud.

En fait, ce sont essentiell­ement les escales forcées et la casse qui ont

fait la différence…

Oui c’est ça. On s’en doutait. Pour moi, c’est déjà dans l’Indien, quand j’ai cassé mes bouts de foils, que j’ai réparés tout seul mais qui m’ont pris un temps fou. Quand tu es dans ton flotteur à près de 30 noeuds à essayer de passer tes petits messagers (bouts) pour pouvoir les manipuler du cockpit… Ça m’a pris près de deux jours sans dormir. Et là, j’ai décroché de Charles et c’était trop tard pour revenir. Alors que jusqu’à ce moment, j’étais plutôt en train de recoller.

Êtes-vous épuisé ?

En fait, je m’étonne moi-même. Je manoeuvre beaucoup, je règle en permanence, je tourne les manivelles tous les jours, et au bout du compte, je n’ai aucun bobo, aucune douleur. J’ai eu des hauts et des bas sur le plan mental. Là, évidemment, je ressens la fatigue des deux jours sans dormir dans le pot-au-noir. Je pense que c’est ma force, je récupère de manière incroyable. Quand je dors deux heures, c’est comme si je m’étais arrêté. En revanche, cela demande une capacité de concentrat­ion bien plus élevée que sur mes anciens bateaux, c’est certain. Il faut être tout le temps dessus pour gérer les enchaîneme­nts. À deux degrés près, ce n’est plus le même réglage. J’aimerais bien savoir si c’est le cas sur les autres Ultim. J’aimerais en reparler avec les autres à l’arrivée.

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| PHOTO : SODEBO/COVILLE Thomas Coville a profité du pot-au-noir pour sortir un peu de son cockpit.

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