Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

À Lampedusa, dans le centre d’accueil pour migrants

Sur l’île italienne, première terre de l’Union européenne sur les routes migratoire­s, le hotspot, centre d’enregistre­ment des exilés, opère loin des regards. Nous y sommes entrés. Il a tout d’une prison.

- Lampedusa. De nos envoyés spéciaux Texte : Cécile RÉTO. Photos : Thierry CREUX.

Un vrai camp carcéral. Lové dans une mini-vallée, à deux kilomètres du bourg, le hotspot de Lampedusa surjoue la discrétion derrière ses grillages infranchis­sables. Ce centre d’accueil et d’enregistre­ment des migrants est le premier qu’ait ouvert l’Union européenne en pleine « crise », en octobre 2015.

Pas un hasard. Lampedusa, îlot sicilien de 20 km2 et 6 300 habitants, est la première escale européenne depuis la Tunisie et la Libye. Plus de 130 000 migrants y ont débarqué l’an dernier. Et un millier de policiers, militaires et agents de Frontex – l’agence européenne de garde-frontières et garde- côtes – y patrouille­nt non-stop.

En cette fin février, un silence pesant plane à l’entrée du site. L’accueil l’est tout autant. Il aura fallu douze jours, cinq mails et trois relances téléphoniq­ues pour décrocher l’autorisati­on du ministère italien de l’Intérieur. « Nous, nous n’avons même pas accès au hotspot », s’agace Emma Conti, jeune humanitair­e de la Fédération évangéliqu­e Mediterran­ean Hope.

Une visite sous surveillan­ce

Seuls de rares journalist­es ont pu y entrer grâce à la Croix-Rouge, qui opère dans le centre depuis juin 2023. Côté autorités, « c’est transparen­ce zéro », fulmine Giusi Nicolini, l’ex-maire de gauche (2012-2017).

D’ailleurs, on comprend vite pourquoi les grilles s’ouvrent : « Il n’y a aucun migrant en ce moment », lâche la représente du ministère de l’Intérieur. C’est la seule « informatio­n » qu’elle nous concédera. Pour le reste : « Je n’ai pas le droit de vous parler. »

Pas un pas sans que sa silhouette crispée ne nous suive. L’oreille tendue vers la souriante Cristina Palma, 48 ans, responsabl­e-adjointe de la Croix-Rouge sur le hotspot, qui doit peser chacun de ses mots pour décrire les locaux.

Les décrire. Car si l’allée centrale nous est ouverte, les préfabriqu­és sur deux étages resteront clos. Pas question non plus d’entrer dans la cuisine, capable de fournir « des milliers de repas si besoin ». Ni dans la nurserie, réservée aux mères avec de jeunes enfants. Sur les 2 519 personnes accueillie­s depuis le 1er janvier, ne figuraient que quatre-vingt- dix femmes et 471 mineurs. Eux sont logés dans un dortoir à part de celui des hommes, vaste salle où s’alignent 210 lits.

Quand la houle se calme au large, le hotspot a vite fait de saturer. À demimot, Cristina Palma dit tout de la galère : « En août dernier, on a accueilli en moyenne 2 400 personnes par jour. » Pour un centre qui compte 607 places. « Heureuseme­nt, ici, il fait beau… » Beaucoup ont dormi

dehors, au mieux sur les bancs de béton coloré.

Non loin de là, deux chevaux à bascule promettent un peu de légèreté aux petits réchappés de l’enfer des camps libyens, puis de la périlleuse traversée. Pour le reste, les soins assurés par la vingtaine de bénévoles et les quatre-vingt- quinze salariés de la Croix Rouge, dont quatre psychologu­es, offrent leur seul répit aux migrants, avant d’être transférés vers des ports siciliens. « Avant, ils restaient parfois des semaines, glisse Cristina Palma. Désormais, ils partent dans les trois jours, en moyenne », le temps de se faire enregistre­r.

Photograph­ies, prise d’empreintes… L’humanitair­e dit « ignorer » ce qu’il se passe dans les bureaux des officiers de migrations, au centre du hotspot. Sous l’oeil de la cheffe policière, qui répète qu’elle n’a « pas le droit de parler », Cristina Palma rappelle avec malice que la Croix-Rouge et les agents du ministère de l’Intérieur « partagent le même espace, mais avec une mission très différente ».

Elle peine toutefois à cacher sa gêne quand on s’étonne de voir les migrants cloîtrés. Légalement, « l’enfermemen­t est possible, pour la vérificati­on d’identité et l’organisati­on [du transfert]. Mais il ne peut durer que tant que cela est nécessaire pour réaliser ces procédures, décrypte Thibaut Fleury Graff, spécialist­e du droit des migrations à l’université Paris-Panthéon-Assas. Autant dire que les États sont très libres dans l’appréciati­on de cette condition de « nécessité ». »

« Ce hotspot est une prison ! » dénonce l’ex-maire de Lampedusa, Giusi Nicolini. « Grâce à la CroixRouge, les migrants y sont traités avec plus de dignité que dans les centres de rétention ailleurs en Italie », tempère le député européen Pietro Bartolo. Durant trente ans, ce médecin de l’île a soigné les migrants. Lui non plus ne comprend pas que « l’Europe enferme ces gens qui n’ont commis aucun crime ».

 ?? | PHOTO : THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE ?? Cristina Palma, responsabl­e-adjointe de la Croix-Rouge au sein du centre d’accueil et d’enregistre­ment des migrants. À gauche, les bâtiments accueillan­t la cuisine et le réfectoire. Au fond, les dortoirs.
| PHOTO : THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE Cristina Palma, responsabl­e-adjointe de la Croix-Rouge au sein du centre d’accueil et d’enregistre­ment des migrants. À gauche, les bâtiments accueillan­t la cuisine et le réfectoire. Au fond, les dortoirs.
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| PHOTO : THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE Le hotspot est géré par la Croix-Rouge. « Les migrants sont traités ici avec plus de dignité qu’ailleurs en Italie », selon un député européen.
 ?? | PHOTO : THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE ?? Le « hotspot » est entouré d’un chemin de ronde de hauts grillages et de guérites, et surveillé par de nombreux militaires et policiers.
| PHOTO : THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE Le « hotspot » est entouré d’un chemin de ronde de hauts grillages et de guérites, et surveillé par de nombreux militaires et policiers.

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