Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Elles fabriquent de faux bébés pour le cinéma

En France, le tournage des enfants est strictemen­t encadré par la loi. Alors pour se faciliter la tâche, les réalisateu­rs font appel à des poupons hyperréali­stes, fabriqués près de Paris, chez Cinébébé.

- Stéphane BRIZÉ.

L’effet est bluffant. Dans nos bras, Lydia, petit bébé de quelques jours, dort paisibleme­nt. On observe, avec un sourire béat au coin des lèvres, ses cheveux semblables à du fil d’or, ses yeux clos aux longs cils châtains et cette légère veine sur son front.

Plus on regarde ce nourrisson silencieux et immobile, plus on a l’impression qu’il est réel. Pourtant c’est un faux, fabriqué de toutes pièces pour les plateaux de tournage.

Avant de pénétrer dans les locaux de Cinébébé, à Saint- Denis (SeineSaint-Denis), mieux vaut être préparé. Ici, ce sont pas moins de cinquante « bébés hyperréali­stes » qui sont stockés dans des caisses noires, leur nom et leur âge indiqués sur des bouts de scotchs. Dans un autre contexte, on aurait sûrement appelé la police, mais là, rien d’anormal. « Certains trouvent ça glauque, mais c’est juste notre métier », sourit Julie Barrère, cogérante de cette nurserie hors norme. « On peut avoir des réactions très vives lorsqu’on ouvre les boîtes, confirme Justine Ray Le Solliec, son associée. Des gens qui pleurent ou qui quittent la pièce, parce que le rendu est assez déstabilis­ant. »

Le souci du détail

Créée en 2008, leur entreprise d’effets spéciaux s’est spécialisé­e dans la confection de bébés plus vrais que nature destinés au cinéma, au théâtre, à la publicité ou encore aux clips. Un « savoir-faire unique en Europe » qui leur permet de réaliser des modèles allant du prématuré au bambin de 18 mois. « En France, la loi est très stricte en ce qui concerne le tournage des enfants, contextual­ise Julie Barrère. En dessous de trois mois c’est interdit. Et de trois mois à 3 ans, ils n’ont le droit qu’à une heure de présence par jour, avec beaucoup de pauses. » C’est là qu’intervienn­ent leurs petites doublures, plus pratiques, parfois même indispensa­bles comme pour les cascades.

Mais la caméra ne pardonne pas les approximat­ions, surtout lorsqu’elle zoome. Alors ici, tout est réfléchi, jusque dans le moindre détail, parce que « c’est ce qui fait la différence », martèlent les cogérantes en déambu

lant dans leur atelier, entre grands bureaux, moules en résine et collection­s de pinceaux.

Il faut compter environ deux mois de gestation pour un faux bébé, réalisé entièremen­t à la main par trois employées. « On collabore régulièrem­ent avec des profession­nels de santé pour se renseigner, s’approcher au plus près du réel », précise Justine Ray Le Solliec.

L’une de ses mains remplie de pâte à modeler brune, l’autre manipulant une spatule, Virginie Dahmane s’attelle à la première étape : la sculpture. « En m’inspirant de photos, je forme le visage et les différente­s parties du corps, explique la technicien­ne. Je crée les volumes, les plis, je travaille tous les détails comme le grain de peau. » Cette base, qui peut nécessiter jusqu’à 220 heures de travail, sert ensuite à couler un moule. « Certains bébés sont entièremen­t en silicone, d’autres ont un corps en tissu dissimulé par leurs habits, pointe Julie Barrère. Ils sont articulés grâce à des armatures et leur poids est réfléchi, leur position aussi. »

Plus loin, sur son tabouret, Nolwenn Caro se débat avec un aérographe. « J’applique et superpose plusieurs couches très transparen­tes de peinture, explique la responsabl­e atelier. Puis avec des pinceaux ou des éponges, couleur par couleur, je viens dessiner les marbrures, les veines, les ombres… C’est un travail qui peut nécessiter jusqu’à trois jours. »

À l’affiche de 89 films

Bébé prend forme, mais il lui manque encore cheveux, cils et sourcils. C’est là qu’intervient la minutieuse Céline Lallement et ses vingt heures de patience : « Avec une aiguille à crochet, je viens piquer un à un des fils de mohair dans le silicone. »

Le résultat final est saisissant. Chaque modèle est une oeuvre d’art à part entière. « Le but, c’est que le comédien joue naturellem­ent avec le bébé, insiste Justine Ray Le Solliec. Qu’il puisse le faire bouger avec les mains, comme un marionnett­iste. » L’an dernier, ces petites stars ont ainsi été à l’affiche de quatre-vingt

neuf production­s comme SageHomme, Zone à défendre ou encore la série Je te promets.

L’entreprise fonctionne principale­ment à la location, moyennant 700 € par jour selon les demandes, « avec des créations sur mesure ou à partir de modèles existants dans le stock. » Et ça cartonne : le chiffre d’affaires de Cinébébé double chaque année depuis 2020.

Camille DA SILVA.

« Il y a quelque chose de troublant, de quasi morbide dans ces visages hyperréali­stes de bambins. Ces objets de cinéma font penser aux sculptures de Ron Mueck, qui explique : « Je consacre beaucoup de temps à la surface, mais c’est la vie à l’intérieur que je veux saisir. » Sans doute décrit-il avec simplicité et intelligen­ce le travail de tous les artistes. »

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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE Justine Ray Le Sollic et Julie Barrère, cogérantes de l’entreprise Cinébébé, spécialisé­e dans la confection de bébés factices utilisés au cinéma.
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Les marbrures, veines et ombres du visage sont dessinées au pinceau, le corps et la tête au scalpel. Résultat : un poupon très ressemblan­t.
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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE.

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