Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Droits des femmes, égalité, omerta : « Ça suffit, n’attendons plus ! »

Yaël Braun-Pivet présidera lundi le Congrès, qui inscrira le doit à l’avortement dans la Constituti­on. Réformes, crise agricole, Ukraine, élections européenne­s, conflit à Gaza… La présidente de l’Assemblée nationale fait le point.

- Propos recueillis par Stéphane VERNAY.

Le Sénat a voté l’inscriptio­n du droit à l’avortement dans la Constituti­on, dans les mêmes termes que l’Assemblée. C’est une surprise ? Non, parce que les deux chambres avaient déjà adopté des textes allant dans ce sens, mais formulés différemme­nt. J’étais sûre que nos collègues sénateurs et députés se rendraient à l’évidence, qu’il fallait protéger à tout prix cette liberté fondamenta­le. Je suis heureuse de voir que ça a été très largement le cas.

Le terme de « garantie » posait question à certains sénateurs. Qu’est-ce qui les a fait changer d’avis ? La pression médiatique, celle de leurs proches ou les débats en séance ? Un peu de chaque, je pense. Les Français se sont mobilisés, les femmes, les jeunes filles en ont parlé… Nous ne sommes ni aveugles ni sourds à ce qui se passe autour de nous. Chacun a vu les atteintes considérab­les que des pays démocratiq­ues ont pu porter à cette liberté. En l’inscrivant dans sa Constituti­on, la France envoie un message à toutes les femmes du monde. C’est notre devoir que de porter ce flambeau. Et c’est ce que nous ferons tous ensemble demain.

Vous n’avez aucun doute sur le résultat du vote en Congrès ? Aucun, les votes à l’Assemblée et au Sénat étant très récents et très larges en faveur de la modificati­on de la Constituti­on. Ce n’est pas une formalité pour autant. Le jour où elle a défendu le droit à l’avortement devant l’Assemblée, il y a cinquante ans, Simone Veil avait commencé son discours en s’excusant d’aborder le sujet dans un hémicycle « presque exclusivem­ent composé d’hommes ». Clin d’oeil de l’histoire, le Congrès qui constituti­onnalisera l’interrupti­on volontaire de grossesse sera présidé par une femme…

Ce sera un moment important pour vous ?

Très. Je réunirai également vingtcinq présidente­s de parlements du monde entier à l’Assemblée nationale, ce mercredi, pour le premier sommet des présidente­s d’assemblées. Nous parlerons de la place des femmes en politique, de leur droit à l’éducation, à la contracept­ion, de lutte contre les violences faites aux femmes, de mariage forcé, d’excision et – évidemment – de la liberté de recourir à l’interrupti­on volontaire de grossesse.

« Écarts de salaire, retraites… J’ai le sentiment qu’on est au même point »

La société est-elle en train de changer ? Le #MeToo du cinéma a déclenché quelque chose ?

Je veux d’abord saluer le courage de celles qui se dressent pour faire entendre leur voix. La société avance, oui. On a voté des lois, les choses progressen­t, mais j’ai tout de même le sentiment qu’on en est toujours au même point sur beaucoup de sujets. Les écarts de salaires, les retraites, la non prise en compte de la parole des femmes… Ce qui change, peut- être, c’est l’impatience généralisé­e qui nous étreint. L’envie de dire que ça suffit. Que l’égalité, c’est maintenant. Que la fin de l’omerta, c’est maintenant. N’attendons plus !

Droit du sol à Mayotte, autonomie de la Corse, Nouvelle-Calédonie, référendum d’initiative partagée : ce Congrès marquera-t-il le début d’une série de réformes de la Constituti­on ?

La constituti­onnalisati­on du droit à

l’avortement nous donne un bon exemple de ce qu’il est possible de faire, malgré l’absence de majorité absolue à l’Assemblée et un Sénat tenu par l’opposition. Réformer sujet par sujet, sur des thèmes bien précis, limités, c’est la bonne méthode. En la suivant, je pense que chacun des points que vous évoquez pourra aboutir.

Le Parlement aura-t-il d’autres grandes réformes à traiter d’ici à 2027 ? Oui, bien sûr. Sur la simplifica­tion, le travail, le logement… Les Français ne comprendra­ient pas qu’on ne continue pas à réformer profondéme­nt notre pays, mais les évolutions attendues ne passeront pas seulement par la loi. On peut aussi réformer par des règlements, par une organisati­on différente de l’État, et aussi, parfois, une autre façon de faire. Je serai très attentive à la loi d’orientatio­n agricole et à la loi sur la fin de vie, qui seront examinées prochainem­ent par le Parlement.

Quand seront-elles abordées ? Avant l’été, a dit le Premier ministre. La loi d’orientatio­n agricole, en cours de discussion avec les organisati­ons syndicales et les agriculteu­rs, est extrêmemen­t attendue. Et celle sur la fin de vie touche intimement les Français.

Ce qui veut dire que la loi sur la fin de vie pourrait être adoptée cette année ?

Non, non, il est indispensa­ble de se

donner du temps sur un sujet aussi sensible. On est plutôt sur une, voire deux années de débats.

En étudiant deux textes en parallèle, un sur l’aide active à mourir et un autre sur les soins palliatifs ? Pour moi, les deux sujets sont absolument indissocia­bles. Ce qui m’importe, c’est qu’on puisse délibérer pleinement et sereinemen­t. Je n’envisage pas de terminer mon mandat sans que nous ayons pu légiférer en la matière.

« Il est impératif de faire front commun en faveur de l’Ukraine »

Quand aura lieu le débat sur l’Ukraine annoncé par le Président ? C’est au gouverneme­nt d’en fixer la date. Sans doute courant mars. Après deux ans de conflit, les Ukrainiens ont plus que jamais besoin de notre soutien. Avec plus d’une vingtaine de présidents d’assemblées, nous avons écrit au président du Congrès des ÉtatsUnis pour lui demander de débloquer l’aide américaine à l’Ukraine. Il y a 60 milliards de dollars en attente.

Le débat français sera suivi d’un vote ? Que se passera-t-il s’il est négatif ?

Il ne le sera pas, les groupes politiques présents à l’Assemblée et au

Sénat s’étant déjà prononcés, de façon quasi unanime, en faveur de l’Ukraine. Il est impératif de faire front commun et que nous nous montrions très fermes face à la Russie. C’est ce que fait le président de la République, et je le soutiens pleinement. Je me rendrai en Ukraine dans quelques semaines, où je prononcera­i un discours à la Rada (Parlement d’Ukraine, NDLR) réaffirman­t les positions françaises.

Les alertes se multiplien­t sur de possibles ingérences russes en amont des élections européenne­s, le 9 juin. C’est une menace à prendre au sérieux ?

Les manipulati­ons en temps de campagne électorale constituen­t un risque considérab­le pour la démocratie. Nous avons anticipé cette menace en adoptant une législatio­n sur les fake news et nos services de renseignem­ent sont très mobilisés sur ces questions. Il faut être très vigilant. Et ne pas se montrer naïf.

La France a été naïve concernant les intentions des Russes par le passé ?

Je ne crois pas, mais la menace peut s’intensifie­r avec les nouvelles technologi­es, notamment l’intelligen­ce artificiel­le. Nous devons adapter nos réponses face à un risque qui s’accroît, dans un contexte internatio­nal qui se détériore. Il est important d’éveiller les conscience­s.

Mardi, à l’Assemblée, Gabriel Attal a laissé entendre que Marine Le Pen serait pro-Russe. C’est ce que vous appelez « éveiller les conscience­s » ?

C’est à ça que servent les questions au gouverneme­nt. La présidente du groupe Rassemblem­ent national a interpellé le Premier ministre, qui lui a apporté une réponse forte sur le sujet.

Sur la base de quels éléments ? Gabriel Attal a évoqué un certain nombre de points très factuels, mis en lumière par une commission d’enquête, étayés par des propos tenus par Madame Le Pen elle-même : son programme pour l’élection présidenti­elle de 2022, les photos d’elle, connues de tous, avec des dirigeants russes… Il n’y a pas besoin d’aller chercher bien loin.

Vous étiez au Salon de l’agricultur­e, mercredi. Comment percevez-vous la crise en cours ?

J’entends deux choses à chacun de mes déplacemen­ts sur le terrain : laissez-nous travailler et gagner notre vie. La première revendicat­ion concerne la complexité administra­tive, les normes qui gênent les agriculteu­rs dans leur travail. La seconde porte sur leurs revenus. Le Parlement aura un rôle à jouer sur cette question, via la mission d’évaluation des lois Egalim qui lui a été confiée. Ce sera au coeur de la campagne pour les Européenne­s.

Les sondages prédisent une poussée du Rassemblem­ent national. Comment la majorité présidenti­elle peut-elle éviter une déroute ?

En faisant campagne ! En mettant en lumière ce que l’Europe apporte à chaque citoyen, et qu’elle est la bonne échelle pour faire face aux grands défis du siècle ou pour répondre à l’agression russe en Ukraine. Il faut expliquer, débattre avec les Français, dénoncer les postures, l’inaction au Parlement européen de ceux qui la tiennent faussement pour la mère de tous nos maux. Je suis convaincue que les sondages d’aujourd’hui ne seront pas les résultats du vote de demain.

Valérie Hayer, votre tête de liste, peut-elle inverser la tendance ?

Je suis très heureuse qu’une femme conduise la liste de la majorité, et je me réjouis que ce soit elle. Elle est investie au Parlement européen depuis 2019, où elle a conduit une action résolue. Et elle connaît parfaiteme­nt les enjeux agricoles, ce qui lui permettra de porter une parole crédible sur le sujet, contrairem­ent à d’autres…

Vous avez reçu l’émir du Qatar mercredi à l’Assemblée. De quoi avezvous parlé ?

La majeure partie de notre entretien était consacrée à la question du conflit israélo-palestinie­n. Le Qatar joue un rôle extrêmemen­t important dans les négociatio­ns pour parvenir à une trêve, une issue pacifique et la libération des otages, sachant que trois Français sont encore aux mains du Hamas.

« L’Europe est la bonne échelle pour faire face aux grands défis du siècle »

Votre « soutien inconditio­nnel à Israël », après les massacres du 7 octobre, vous a exposé à de multiples attaques, dont un tweet de Jean-Luc Mélenchon vous reprochant de « camper » à Tel Aviv…

Un message à caractère clairement antisémite, que j’ai traité par le mépris. C’est la seule réponse qui vaille. Rien de plus. Rien de moins.

On a beaucoup parlé d’une possible « importatio­n du conflit » en France. Le risque d’affronteme­nt entre les communauté­s existe toujours, selon vous ?

C’est parce que nous ne redoutions un déchiremen­t de ce type que nous avons organisé la marche citoyenne pour la République et contre l’antisémiti­sme avec Gérard Larcher. Les Français nous ont entendus en se mobilisant massivemen­t. Ils ont montré qu’il n’y a qu’une communauté en France : la communauté nationale. Et elle fait front.

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Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, dans son bureau.
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| PHOTO : YANN CASTANIER / OUEST FRANCE
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| PHOTO : YANN CASTANIER/ OUEST FRANCE

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