Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Accélérer l’innovation pour changer l’agriculture »
Hugues Meili, P-DG de l’entreprise Niji et président de Bretagne développement innovation (BDI), estime que les outils numériques sont également un enjeu majeur pour l’avenir du monde agricole.
Hugues Meili, P-DG de Niji et président de Bretagne développement et innovation
Vous, qui êtes PDG d’une entreprise high-tech et président de Bretagne développement innovation (BDI), comment observez-vous la crise que traverse actuellement le monde agricole ?
Si l’on regarde au- delà des revendications, je crois qu’il va falloir travailler à renouveler l’image de l’agriculteur et arrêter de considérer que c’est un Cro-Magnon. C’est un chef d’entreprise dont les pans de métiers qu’il doit maîtriser sont extrêmement nombreux.
En quoi l’innovation numérique pourrait-elle apporter des solutions à l’agriculture ?
La réalité, c’est que depuis longtemps, les agriculteurs sont au coeur des innovations. Ils se sont approprié des techniques et des outils très innovants mais avec une démarche très parcellaire. Le métier global d’exploitant agricole embrasse une dimension beaucoup plus vaste que ce que l’on veut bien voir. L’enjeu est de tout mettre en perspective dans une logique d’exploitation du futur. Elle sera différente selon qu’on est dans une exploitation d’élevage ou de légumes. Il faut faire parler les initiatives les unes avec les autres.
Bretagne développement innovation (BDI) que vous présidez, pourrait-elle s’emparer du sujet ?
Depuis huit ans, au sein de BDI, nous avons un grand programme stratégique baptisé « Agretic », qui concerne la transformation de l’agriculture et de l’agroalimentaire par des technologies du numérique. Tous les ans, dans le cadre du CFIA (Carrefour des fournisseurs de l’industrie agroalimentaire, NDLR), on « implante » une usine du futur de l’agroalimentaire sur une thématique donnée. C’est le résultat d’une coopération, année après année, d’un nombre croissant d’entreprises bretonnes. Et puis au Space (Salon international de l’élevage pour toutes les productions animales, NDLR), nous avons un espace où nous présentons des innovations qui proviennent soit de jeunes entreprises qui se créent autour d’idées ayant trait à l’évolution de l’agriculture par le numérique, soit des innovations portées par des entreprises déjà établies. Cela peut être du machinisme agricole, des entreprises éditrices de logicielle spécialisés pour l’agriculture…
La nouvelle génération d’agricul
teurs devrait aussi permettre d’accélérer sur les transitions…
C’est un enjeu majeur qui n’est pas simple parce qu’il y a encore beaucoup de pénibilité et des durées de travail importantes sur les exploitations. Les jeunes ne veulent plus cela. C’est pour cela que l’utilisation des nouvelles technologies facilitera la transmission des exploitations parce qu’on réduira la pénibilité, on augmentera la productivité et la rentabilité. Au moment des transmissions d’exploitation, un audit de l’état de l’exploitation devrait être fait pour que le financement intègre le coût et l’échelonnement de la mise à jour de l’exploitation. C’est aussi ce que veulent les agriculteurs.
Ils demandent aussi qu’on allège les normes et les réglementations.
L’Europe comme la France ont des réponses à apporter en simplifiant et purgeant la liste des réglementations, sans renoncer non plus à l’écoresponsabilité. Il reste aussi à digitaliser et automatiser la collecte des données fondamentales à partir desquels les agriculteurs doivent rendre compte. Tous ces paramètres font que l’agriculteur est un authentique chef d’entreprise, bien plus accaparé dans la gestion qu’au seul acte technique de cultiver, d’élever ou de collecter.
Cette crise telle qu’elle s’exprime n’aborde pas du tout la question de l’innovation. Vous le regrettez ?
On ne donne pas à l’innovation la place qu’elle pourrait avoir si l’on accompagnait davantage les agriculteurs dans l’acquisition de ces technologies. Mais cela nécessite du conseil et cela coûte de l’argent. Il y a des écosystèmes à mobiliser pour inventer des offres de financement et d’accompagnement. Les banques, notamment mutualistes, pourraient travailler sur des produits et services qui faciliteraient l’accès à l’innovation pour le monde agricole avec des conseils pour aider les agriculteurs à faire
le bon choix. Tous les équipementiers se sont déjà approprié le numérique depuis pas mal de temps. L’agriculteur est l’opérateur de ces technologies plus innovantes et digitalisés.
Vous avez une vision prospective quand les agriculteurs, eux, veulent des réponses immédiates à leurs problèmes…
On éteint des incendies, mais il n’y a pas de vision de l’agriculture du futur et c’est regrettable. On nous oppose souvent que nos exploitations agricoles, qui sont globalement de taille moyenne et petite en France, sont moins adaptées à l’innovation. Mais il n’y a pas que les énormes moissonneuses-batteuses bourrées de numériques et autonomes. Le champ de l’innovation est bien plus vaste !
Quels exemples ?
Des outils numériques pour la gestion des stocks, des puces pour la détection précoce de maladies, des capteurs pour la surveillance des animaux, la surveillance des cultures avec un drone et des satellites pour cartographier l’état des cultures et appliquer la bonne dose de traitement au bon endroit, la régulation de l’hygrométrie, la surveillance de l’usage des prairies…
On est loin du geste premier de l’agriculteur sur ses cultures végétales ou ses productions animales.
Tout à fait. Quand un agriculteur utilise des intrants, il peut les compléter par des solutions technologiques embarquant des capteurs pour observer au plus près l’effet de la substance sur les animaux ou les plantes. On est déjà dans cette logique avec un mix entre produits et service. Pour la semence, les grands fabricants ont depuis longtemps investi le terrain de la donnée pour permettre une utilisation optimale en fonction des sols.
Vous parlez aussi de computer vision (« vision par ordinateur », NDLR). N’est-ce pas de la science
fiction pour la majorité des agriculteurs ?
Encore une fois, ce monde n’est pas archaïque. Il s’est déjà approprié l’innovation. Mais il faut accélérer. La computer vision, permet l’analyse fine d’images qui indiquent par exemple qu’une plante commence à avoir les stigmates de telle ou telle maladie. Le sujet, ce n’est pas la caméra, c’est toute l’intelligence qu’il y a derrière. Cela permet d’anticiper, prévenir et enrayer des épidémies, par exemple. Pour cela, il faut développer l’appropriation de ces outils par l’exploitant agricole. Progressivement les investissements des exploitants iront de plus en plus vers de l’immatériel aux dépens de l’hyper matériel. C’est le sens de l’histoire.
Si la Bretagne est une terre d’expérimentation et d’innovation pour l’agriculture, que peut-elle faire ?
La région peut porter en partie cette vision prospective pour une agriculture moderne et qu’il en découle un plan d’action. BDI pourrait être mandaté, en tout ou partie, pour piloter et coordonner une mise en oeuvre collective. C’est ce qu’on fait déjà dans la cybersécurité, dans les énergies marines renouvelables et dans l’hydrogène. On est beaucoup dans l’univers des données, de la data. Ces données peuvent être utiles à tout l’écosystème. Pourquoi n’aurionsnous pas, à l’échelle de la Bretagne, une plateforme de données qui soient structurées et validées, à disposition de tous ceux qui peuvent les utiliser pour apporter des solutions plus pertinentes aux agriculteurs. La Banque des territoires, dont la mission est de financer des infrastructures utiles à l’aménagement du territoire, pourrait être en partie financeur. Pour que ce type de projet soit mené, il doit être intégré à une vision de l’agriculture et une stratégie de déploiement de cette vision.