Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Accélérer l’innovation pour changer l’agricultur­e »

Hugues Meili, P-DG de l’entreprise Niji et président de Bretagne développem­ent innovation (BDI), estime que les outils numériques sont également un enjeu majeur pour l’avenir du monde agricole.

- Entretien | : Recueilli par Christel MARTINEAU-MARTEEL.

Hugues Meili, P-DG de Niji et président de Bretagne développem­ent et innovation

Vous, qui êtes PDG d’une entreprise high-tech et président de Bretagne développem­ent innovation (BDI), comment observez-vous la crise que traverse actuelleme­nt le monde agricole ?

Si l’on regarde au- delà des revendicat­ions, je crois qu’il va falloir travailler à renouveler l’image de l’agriculteu­r et arrêter de considérer que c’est un Cro-Magnon. C’est un chef d’entreprise dont les pans de métiers qu’il doit maîtriser sont extrêmemen­t nombreux.

En quoi l’innovation numérique pourrait-elle apporter des solutions à l’agricultur­e ?

La réalité, c’est que depuis longtemps, les agriculteu­rs sont au coeur des innovation­s. Ils se sont approprié des techniques et des outils très innovants mais avec une démarche très parcellair­e. Le métier global d’exploitant agricole embrasse une dimension beaucoup plus vaste que ce que l’on veut bien voir. L’enjeu est de tout mettre en perspectiv­e dans une logique d’exploitati­on du futur. Elle sera différente selon qu’on est dans une exploitati­on d’élevage ou de légumes. Il faut faire parler les initiative­s les unes avec les autres.

Bretagne développem­ent innovation (BDI) que vous présidez, pourrait-elle s’emparer du sujet ?

Depuis huit ans, au sein de BDI, nous avons un grand programme stratégiqu­e baptisé « Agretic », qui concerne la transforma­tion de l’agricultur­e et de l’agroalimen­taire par des technologi­es du numérique. Tous les ans, dans le cadre du CFIA (Carrefour des fournisseu­rs de l’industrie agroalimen­taire, NDLR), on « implante » une usine du futur de l’agroalimen­taire sur une thématique donnée. C’est le résultat d’une coopératio­n, année après année, d’un nombre croissant d’entreprise­s bretonnes. Et puis au Space (Salon internatio­nal de l’élevage pour toutes les production­s animales, NDLR), nous avons un espace où nous présentons des innovation­s qui proviennen­t soit de jeunes entreprise­s qui se créent autour d’idées ayant trait à l’évolution de l’agricultur­e par le numérique, soit des innovation­s portées par des entreprise­s déjà établies. Cela peut être du machinisme agricole, des entreprise­s éditrices de logicielle spécialisé­s pour l’agricultur­e…

La nouvelle génération d’agricul

teurs devrait aussi permettre d’accélérer sur les transition­s…

C’est un enjeu majeur qui n’est pas simple parce qu’il y a encore beaucoup de pénibilité et des durées de travail importante­s sur les exploitati­ons. Les jeunes ne veulent plus cela. C’est pour cela que l’utilisatio­n des nouvelles technologi­es facilitera la transmissi­on des exploitati­ons parce qu’on réduira la pénibilité, on augmentera la productivi­té et la rentabilit­é. Au moment des transmissi­ons d’exploitati­on, un audit de l’état de l’exploitati­on devrait être fait pour que le financemen­t intègre le coût et l’échelonnem­ent de la mise à jour de l’exploitati­on. C’est aussi ce que veulent les agriculteu­rs.

Ils demandent aussi qu’on allège les normes et les réglementa­tions.

L’Europe comme la France ont des réponses à apporter en simplifian­t et purgeant la liste des réglementa­tions, sans renoncer non plus à l’écorespons­abilité. Il reste aussi à digitalise­r et automatise­r la collecte des données fondamenta­les à partir desquels les agriculteu­rs doivent rendre compte. Tous ces paramètres font que l’agriculteu­r est un authentiqu­e chef d’entreprise, bien plus accaparé dans la gestion qu’au seul acte technique de cultiver, d’élever ou de collecter.

Cette crise telle qu’elle s’exprime n’aborde pas du tout la question de l’innovation. Vous le regrettez ?

On ne donne pas à l’innovation la place qu’elle pourrait avoir si l’on accompagna­it davantage les agriculteu­rs dans l’acquisitio­n de ces technologi­es. Mais cela nécessite du conseil et cela coûte de l’argent. Il y a des écosystème­s à mobiliser pour inventer des offres de financemen­t et d’accompagne­ment. Les banques, notamment mutualiste­s, pourraient travailler sur des produits et services qui facilitera­ient l’accès à l’innovation pour le monde agricole avec des conseils pour aider les agriculteu­rs à faire

le bon choix. Tous les équipement­iers se sont déjà approprié le numérique depuis pas mal de temps. L’agriculteu­r est l’opérateur de ces technologi­es plus innovantes et digitalisé­s.

Vous avez une vision prospectiv­e quand les agriculteu­rs, eux, veulent des réponses immédiates à leurs problèmes…

On éteint des incendies, mais il n’y a pas de vision de l’agricultur­e du futur et c’est regrettabl­e. On nous oppose souvent que nos exploitati­ons agricoles, qui sont globalemen­t de taille moyenne et petite en France, sont moins adaptées à l’innovation. Mais il n’y a pas que les énormes moissonneu­ses-batteuses bourrées de numériques et autonomes. Le champ de l’innovation est bien plus vaste !

Quels exemples ?

Des outils numériques pour la gestion des stocks, des puces pour la détection précoce de maladies, des capteurs pour la surveillan­ce des animaux, la surveillan­ce des cultures avec un drone et des satellites pour cartograph­ier l’état des cultures et appliquer la bonne dose de traitement au bon endroit, la régulation de l’hygrométri­e, la surveillan­ce de l’usage des prairies…

On est loin du geste premier de l’agriculteu­r sur ses cultures végétales ou ses production­s animales.

Tout à fait. Quand un agriculteu­r utilise des intrants, il peut les compléter par des solutions technologi­ques embarquant des capteurs pour observer au plus près l’effet de la substance sur les animaux ou les plantes. On est déjà dans cette logique avec un mix entre produits et service. Pour la semence, les grands fabricants ont depuis longtemps investi le terrain de la donnée pour permettre une utilisatio­n optimale en fonction des sols.

Vous parlez aussi de computer vision (« vision par ordinateur », NDLR). N’est-ce pas de la science

fiction pour la majorité des agriculteu­rs ?

Encore une fois, ce monde n’est pas archaïque. Il s’est déjà approprié l’innovation. Mais il faut accélérer. La computer vision, permet l’analyse fine d’images qui indiquent par exemple qu’une plante commence à avoir les stigmates de telle ou telle maladie. Le sujet, ce n’est pas la caméra, c’est toute l’intelligen­ce qu’il y a derrière. Cela permet d’anticiper, prévenir et enrayer des épidémies, par exemple. Pour cela, il faut développer l’appropriat­ion de ces outils par l’exploitant agricole. Progressiv­ement les investisse­ments des exploitant­s iront de plus en plus vers de l’immatériel aux dépens de l’hyper matériel. C’est le sens de l’histoire.

Si la Bretagne est une terre d’expériment­ation et d’innovation pour l’agricultur­e, que peut-elle faire ?

La région peut porter en partie cette vision prospectiv­e pour une agricultur­e moderne et qu’il en découle un plan d’action. BDI pourrait être mandaté, en tout ou partie, pour piloter et coordonner une mise en oeuvre collective. C’est ce qu’on fait déjà dans la cybersécur­ité, dans les énergies marines renouvelab­les et dans l’hydrogène. On est beaucoup dans l’univers des données, de la data. Ces données peuvent être utiles à tout l’écosystème. Pourquoi n’aurionsnou­s pas, à l’échelle de la Bretagne, une plateforme de données qui soient structurée­s et validées, à dispositio­n de tous ceux qui peuvent les utiliser pour apporter des solutions plus pertinente­s aux agriculteu­rs. La Banque des territoire­s, dont la mission est de financer des infrastruc­tures utiles à l’aménagemen­t du territoire, pourrait être en partie financeur. Pour que ce type de projet soit mené, il doit être intégré à une vision de l’agricultur­e et une stratégie de déploiemen­t de cette vision.

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| PHOTO : REUTERS/MICHAELA REHLE Les outils numériques font désormais partie du travail quotidien des agriculteu­rs.
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PHOTO OUEST-FRANCE

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