Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
La fraise de Plougastel, savoureux mé
La fraise de Plougastel (comme toutes les fraises que nous consommons) vient en réalité du Chili. On doit son introduction en France à un espion du roi en 1714.
Le modeste petit fruit rouge a longtemps fait la fortune des producteurs de la presqu’île de Plougastel-Daoulas dans le Finistère. Le microclimat très doux (le Gulf Stream passe à proximité) et le sol siliceux bien drainé ont favorisé localement la culture de la fraise. À la fin du XIXe siècle, grâce à l’arrivée du chemin de fer en 1865, Plougastel fournissait aux consommateurs parisiens trente tonnes de fraises par jour pendant la pleine saison ! La production connut son apogée en 1952 : 1 500 ha lui étaient consacrés et tous les paysans la cultivaient en complément de la pêche à pied de coquillages pratiquée durant l’hiver.
Mais dix ans plus tard, les surfaces avaient chuté à 450 ha ! L’Angleterre qui constituait un débouché important s’était mise à produire elle-même des fraises, suivie par d’autres pays européens (Espagne) et d’autres régions françaises. Aujourd’hui, 1 200 tonnes de fraises sont encore commercialisées chaque année et la filière locale emploie 2 000 personnes. Afin de protéger et de valoriser l’appellation « fraise de Plougastel », une demande d’IGP (Indication géographique protégée) a été déposée en 2022.
La fraise, toute une histoire
Jusqu’au XVIIe siècle, la seule fraise que consomment les Français est la minuscule fraise des bois. Mais tout au long du Moyen Âge, les nobles ne tiennent pas en grande estime ce petit fruit qui pousse au ras du sol. En effet, dans la vision du monde de l’époque, la terre est le moins noble des quatre éléments constitutifs de l’univers (le feu, l’air, l’eau et la terre). Tous les végétaux qui poussent sous la terre ou à sa surface pâtissent de cette image négative.
Un fruit raffiné et aphrodisiaque
La culture de la fraise des bois, dans les jardins, ne commence vraiment qu’à la fin du XVe siècle. Les mentalités ont évolué : fascinés par l’Italie de la Renaissance, les nobles français veulent imiter leurs voisins de la Péninsule. Or, les Italiens raffolent des fruits. Du coup, les fraises deviennent très prisées : elles acquièrent le statut d’aliment raffiné et on leur prête même des vertus aphrodisiaques. En conséquence, leur culture s’accroît fortement.
Dans la première moitié du XVIe siècle, l’explorateur Jacques Cartier découvre en Amérique du Nord une autre espèce de fraises. Les botanistes la nomment « fraise de Virginie ». Mais en France, leur culture reste confidentielle. Jusqu’au siècle suivant où elle bénéficie du goût immodéré de Louis XIV pour ce petit fruit rouge issu d’outre-Atlantique.
En 1714, un officier spécialiste des fortifications portuaires est envoyé en mission d’espionnage au Chili. Sur place, il remarque des cultures de fraises : elles sont très grosses mais ont une couleur blanchâtre et un goût bien moins délicat que les petites fraises des bois. L’ingénieur explorateur espion porte un patronyme prédestiné : Amédée-François Frézier ! Il parvient à rapporter à Brest quelques plants. Des paysans du village voisin de Plougastel les installent à proximité de leurs fraisiers de Virginie : ils constatent alors que les plants chiliens donnent des fruits très intéressants. Les pieds mâles de fraisiers de Virginie ont en effet pollinisé les fleurs femelles des fraisiers chiliens, donnant naissance à une nouvelle espèce hybride. Celle- ci réunit les qualités de ses parents : ses fruits sont gros comme ceux des fraisiers chiliens, et rouges et délicieux comme les fraises de Virginie ! La culture de la nouvelle espèce fera la prospérité des agriculteurs locaux : au début du XXe siècle, Plougastel produit une fraise française sur quatre !