Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Les médailles, c’est un petit médicament »

En or à Rio, en argent à Tokyo, la véliplanch­iste Charline Picon a changé de registre en passant sur un bateau, le 49er, pour ses derniers Jeux. Animée par le challenge, qui la nourrit.

- Recueilli par Virginie BACHELIER.

Jusqu’aux Jeux olympiques de Paris, Ouest- France vous présentera régulièrem­ent des sportifs français dont vous pourriez entendre parler, cet été. Premier épisode avec Charline Picon. Championne olympique à Rio, médaillée d’argent à Tokyo, la maman de Lou (6 ans et demi) a rangé sa planche à voile en 2021 pour se lancer un dernier défi : Paris 2024, en 49er, un bateau en double qu’elle ne connaissai­t pas. Repartie de zéro avec sa coéquipièr­e Sarah Steyaert, la Rochelaise de 39 ans dispute du 5 au 10 mars les Mondiaux de Lanzarote (Espagne), qui compteront, avant l’annonce de la sélection pour les JO par la Fédération française de voile.

Charline, quand vous avez pris la décision de vous lancer dans ce projet, vous auriez imaginé que le chemin serait aussi complexe ? Non ! Les 49er, je les côtoie depuis de nombreuses années, mais je ne m’étais pas forcément intéressée à ce que c’était de naviguer dessus. Je trouvais ça chouette de l’extérieur, je suis partie là- dedans sans vraiment savoir ce que ça allait être. On sait qu’il y aura des hauts et des bas, mais on n’y pense pas trop.

Sur vos premières vidéos avec Sarah, on vous voit tomber du bateau. Vous êtes repartie de zéro parce que la flamme de la compétitio­n brûlait encore ? Vous aviez d’autres choses à aller chercher ?

Personnell­ement, deux médailles, ça m’a pas mal apaisée. Une troisième, ça finirait le travail. Et le challenge… Parce que revenir en étant maman et décrocher ma deuxième médaille, c’était déjà énorme, mais qu’est- ce qui peut être encore plus énorme que ça ? Je pense que je suis animée par le challenge. Les Jeux olympiques, c’est ma vie et c’est avec ça que je me suis construite en tant que femme, en tant qu’athlète, en tant que personne. J’avais encore une petite flamme pour une aventure Paris 2024.

Cette âme de challengeu­se, vous l’avez toujours eue ?

Jeune, j’avais besoin de gagner. À l’école, avoir des bonnes notes, être félicitée par les parents. La voile, au début, c’était juste un sport passion. Après, il y a eu les compétitio­ns, je devais avoir 12, 13 ans. Je pense que c’était simplement ma façon de m’exprimer, parce que j’étais quelqu’un de très introverti. Et ma façon d’exister, tout simplement.

C’est pour ça que vous continuez ?

C’est ce qui me nourrit. Tant que mon corps, ma tête et cette énergie sont là, pourquoi je m’arrêterais ? Effectivem­ent, j’aurais pu m’arrêter après une médaille d’or olympique, sur une bonne note, et puis voilà. Le moment d’arrêter une carrière n’est jamais simple. Est- ce que je vais faire l’olympiade de trop ? Il ne faut pas en sortir démoli. On a eu ce genre d’exemples au sein de la Fédé. Je ne veux pas sortir fâchée. Mes deux olympiades médaillées m’ont fait beaucoup de bien en tant que personne. C’est un petit médicament, en plus du travail mental et personnel que j’ai fait sur ces deux olympiades.

Du coup, c’est effectivem­ent se mettre en danger de finir moins bien. De toute façon, la probabilit­é de finir mieux, elle reste quand même faible. Ça voudrait dire qu’il faudrait que je refasse une médaille d’or. Dans cette olympiade, l’idée, c’était aussi de m’ouvrir à de nouvelles compétence­s, de nouvelles choses qui me font encore grandir en tant que personne.

Être deux sur un bateau plutôt que seule sur une planche, ça change beaucoup de choses ? Clairement, ça n’a rien à voir. Déjà, il a fallu que j’accepte de lâcher certaines choses. Ce n’est pas moi qui dirige le bateau. La tactique, c’était quelque chose sur laquelle j’étais très forte en planche à voile, mais qu’aujourd’hui, je ne peux pas faire. En tout cas, quand il y a du vent, je ne me sens pas encore assez à l’aise pour pouvoir retourner la tête, et Sarah avait envie de le faire. Lâcher ça, par exemple, ça a parfois amené beaucoup de frustratio­n pour moi. On en a parlé. Quand j’étais seule, tout se passait dans ma tête. J’ai l’impression

que j’étais beaucoup dans l’intuition. Là, il faut que j’apprenne à communique­r, ce qui est plus dur pour moi, d’autant que mon profil est plutôt introverti, même si j’ai beaucoup évolué. Et puis apprendre à gérer les émotions de l’autre. Tout ça est passionnan­t et challengea­nt.

Si vous êtes sélectionn­ée pour les Jeux, peut-on vous imaginer, à la fin de l’été, retourner à votre vie de kiné ?

J’ai un autre projet. Le cabinet de kiné, on l’a créé pendant l’olympiade de Tokyo. C’était une bonne prise de risque en pleine olympiade, plein d’adrénaline, c’était cool. Mais là, entre les stages et les compétitio­ns, je vis à mi-temps avec ma fille et mon conjoint, ça fait plus de 15 ans que c’est comme ça, j’ai réellement besoin qu’on passe du temps ensemble. Et d’un challenge, évidemment (rires). Donc je vais sortir tout le monde de sa zone de confort, et on va partir en demi tour du monde en bateau, à la voile, en octobre. Ça va être la découverte du large… Le plus gros bateau avec lequel j’ai navigué, c’est le 49er (4,99 m) ! Là, c’est un gros catamaran. On va essayer de faire quelque chose d’utile, avec une associatio­n orientée protection de l’océan. Et potentiell­ement de faire un film, un peu d’aventure.

Encore un challenge, mais que vous partagerez cette fois tous ensemble.

C’est super important d’avoir, quel qu’il soit, un objectif qui va nous faire lever le matin après les Jeux. Pour moi, ça a été plus dur après Rio qu’après Londres, alors que j’avais gagné la médaille d’or. La dépression post- JO, elle existe plus ou moins pour tout le monde. Le petit moment où on retombe de cette euphorie après avoir vécu pendant deux, trois semaines des émotions intenses, médaille ou pas.

On s’est levé pendant des années avec cet objectif, et une fois qu’il est atteint, il y a un certain vide. Si ça rime avec fin de carrière, il y a aussi cette petite mort dont on parle souvent. Qui je suis réellement sans ce costume de champion ? Il faut être bien à l’aise avec ça, c’est important, et ça se prépare, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Moi, je l’ai bien compris après Rio. Pour Tokyo, j’avais préparé un plan kiné, mais je suis retournée sur un bateau plus vite que prévu. Là, du coup, on met les voiles et je pars sur autre chose pour me ressourcer.

« La probabilit­é de finir mieux reste quand même faible »

« Partir en demi tour du monde en bateau »

Charline Picon en bref

Née le 23 décembre 1984, à Royan (Charente-Maritime).

Licenciée à La Rochelle Nautique. Cinq fois championne d’Europe, et une fois championne du monde de planche à voile RS : X.

2012 : Huitième en planche à voile RS : X, aux JO de Londres.

2016 : Championne olympique de planche à voile RS : X, à Rio.

2017 : Naissance de sa fille, Lou. 2021 : Médaillée d’argent en planche à voile RS : X, aux JO de Tokyo.

 ?? | PHOTO : SAILING ENERGY / FFVOILE ?? Charline Picon (à gauche) et Sarah Steyaert visent une qualificat­ion pour les JO 2024, à Marseille. Il s’agirait des quatrièmes pour la Rochelaise de 39 ans, qui partira ensuite en bateau autour du monde avec sa famille.
| PHOTO : SAILING ENERGY / FFVOILE Charline Picon (à gauche) et Sarah Steyaert visent une qualificat­ion pour les JO 2024, à Marseille. Il s’agirait des quatrièmes pour la Rochelaise de 39 ans, qui partira ensuite en bateau autour du monde avec sa famille.

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