Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Le Portugal n’échappe pas à l’extrême droite 2.0 »
Plus de neuf millions de Portugais votent ce dimanche aux législatives anticipées, après la démission du socialiste Costa. Les populistes feront une percée notable, analyse le spécialiste Yves Léonard.
Yves Léonard, historien du Portugal, enseignant à Sciences Po, membre de son Centre d’histoire (CHSP).
Le Parti socialiste est en tête dans certains sondages. Comment estce possible après le scandale de corruption qui a débouché sur la démission du Premier ministre ? L’affaire a un peu fait « pschitt » depuis novembre 2023. Le ministère public a avoué s’être trompé de Costa (nom courant au Portugal) dans des écoutes téléphoniques de proches du Premier ministre Antonio Costa, soupçonnés de favoritisme dans l’attribution de marchés publics.
Les socialistes ont pourtant plongé…
En partie. Le PS engrangeait plus de 40 % en 2022, obtenant la majorité absolue à l’Assemblée ; il obtiendrait moins de 30 % selon des sondages ce dimanche. Mais les socialistes conservent un fort maillage territorial et le nouveau chef de file, Pedro Nuno Santos, a fait une campagne dynamique. Il est jeune (46 ans), plutôt charismatique. Issu de l’aile gauche du PS, il peut attirer les votes de toute la gauche dans une logique de vote utile.
La droite avait un boulevard, elle n’a pas su en profiter ?
Rien n’est joué. L’alliance des droites (AD) menée par Luis Montenegro est même créditée d’une légère avance dans les tout derniers sondages, un peu au- dessus de 30 %. Mais son leader, par ailleurs président du Parti social- démocrate (PSD, centre droit) a peiné à rassembler. Il a aussi
été confronté aux bons chiffres économiques issus des politiques de Costa. Il lui faut aussi convaincre les nombreux indécis.
L’extrême droite de Chega, en revanche, a progressé…
C’est le fait politique le plus notable de ces dernières années. Avant le populiste Andre Ventura, un transfuge du PSD qui a voulu faire carrière rapidement en créant Chega en 2019, l’extrême droite portugaise était réduite à quelques nostalgiques de la dictature salazariste (19331974). La Révolution des OEillets, dont on célébrera le cinquantième anniversaire le 25 avril, et la Constitution qui a fondé la démocratie ont longtemps servi de cordon sanitaire.
Ce n’est plus le cas ?
En créant Chega « Ça suffit » en portugais, Ventura a rejoint l’extrême droite dite « 2.0 » par le chercheur Steven Forti. Très forte pour attirer les jeunes sur des réseaux comme TikTok, maîtrisant les algorithmes. Ventura utilise le langage de la rue, malgré son doctorat en droit. Il s’est fait connaître comme commentateur de football, l’autre religion portugaise. Il illustre la banalisation de l’extrême droite actuelle.
Ce « cordon sanitaire » peut-il tomber ?
C’est l’enjeu de ces élections. Montenegro a affirmé qu’il ne gouvernerait pas avec Chega – crédité de 16 % –, alors qu’il ne disposera pas de majorité absolue. Ventura, lui, entend bien participer à un gouvernement et dicter l’agenda politique.