Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Depuis 1950, 70 % de ces murs vivants ont disparu »

- Propos recueillis par C. R.

Jusque-là, vous écriviez des livres sur le féminisme. Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux haies ? J’ai eu la chance, enfant, de passer mes vacances chez mes arrièregra­nds- parents en Normandie et depuis, j’ai une passion pour le vivant. Mais c’est à l’été 2022 que j’ai pris conscience de l’importance des haies en visitant les potagers partagés, à York, en Angleterre. Quand j’ai annoncé que j’allais y consacrer un livre, il y a d’abord eu de l’incrédulit­é, puis les gens se sont mis à me raconter leur histoire avec la haie.

Vous dites avoir une « connaissan­ce intime » de la haie, mais vous êtes surtout une fine connaisseu­se de botanique et de nature…

Je suis une amatrice passionnée. Au fond de ma cour, à Paris, j’ai créé un jardin, très humble, où je mène beaucoup d’expériment­ations. J’ai aussi dévoré de nombreux livres sur la botanique, un peu comme on lit des polars.

La haie revêt-elle une dimension philosophi­que ?

C’est un mur vivant, qui est à la fois limite et écosystème. En ce sens, la haie est à la fois de droite et de gauche. Elle permet de marquer la propriété privée, comme lors du mouvement des enclosures en Angleterre, qui a, à partir du XVIe siècle, séparé les champs cultivés jusque-là par la communauté. Le bocage a alors montré qu’il n’était clairement pas du côté du peuple. Mais la haie est aussi un bien commun, une manière de sauvegarde­r l’environnem­ent.

C’est-à-dire ?

Charles Stépanoff, anthropolo­gue, dit par exemple que la Zad de NotreDame- des-Landes est le lieu le plus approprié en France pour voir ce qu’est un bocage dense préservé, puisque le projet d’aéroport « y a rendu inutiles le remembreme­nt et l’arrachage des haies connus partout ailleurs ». La haie est bienveilla­nte, car elle nourrit, fait un travail utile et fondamenta­l, mais elle aussi coercitive. Marcher le long d’une haie, c’est faire l’expérience illimitée du bord.

Que disent les haies de notre société ?

Depuis 1950, 70 % du linéaire de haies ont disparu des bocages français. Cela témoigne de notre démesure, même s’il y a une certaine prise de conscience dont on peut se réjouir, car il est plus facile de planter une haie qu’une forêt primaire. (1) Éloge de la haie, pour un désordre végétal, Philosophi­e magazine éditeur, 19,50 €.

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PHOTO OUEST-FRANCE. Sonia Feertchak, essayiste, autrice de Éloge de la haie (1).

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