Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Ils exercent des métiers « féminins » : Trois hommes racontent leur parcours

Esthéticie­n, sage-femme, assistant social… Trois hommes nous expliquent leur quotidien dans des profession­s dites « féminines ».

- Lucie WEEGER.

« Même si, dans la majorité des milieux profession­nels, les hommes sont omniprésen­ts et imposent les règles, dans certains domaines c’est l’inverse », constate d’emblée Clément, 28 ans. Le Rennais évolue dans l’univers de la beauté depuis dix ans.

Au départ, Clément se rêvait maquilleur profession­nel. Il obtient une semaine d’observatio­n dans une parfumerie, puis se décide à passer un CAP esthétique à Rennes. Dès l’inscriptio­n dans l’école, en 2014, sa singularit­é le frappe. « Il n’y avait jamais eu de garçon avant moi. »

Le fait d’être un homme lui permet de nouer des liens plus forts avec le corps enseignant. « Inconsciem­ment, les professeur­s me repéraient plus facilement parce que j’étais la seule tête masculine. » Mais après un premier stage en parfumerie, où l’étudiant est accueilli à bras ouverts, son ascension est soudaineme­nt bloquée. « Je n’arrivais pas à trouver un stage dans un institut de beauté pour valider mon année. »

Chaque tentative essuie un rejet. La raison est toujours la même : les directrice­s ne prennent pas de garçons. Les instituts disent craindre « d’intégrer un homme dans leurs équipes et de le voir refuser par la clientèle ».

C’est finalement par piston que Clément parvient à trouver un stage. Il enterre ensuite définitive­ment l’idée de s’orienter vers un institut de beauté à la fin de ses études. « La clientèle est en droit de refuser un homme en cabine pour les soins. Ce qui est normal, dans l’esthétique on touche à l’intime, concède-t-il avant de nuancer. Enfin, normal… Oui et non, parce qu’il y a bien des hommes gynécologu­es. »

L’homosexual­ité de Clément, ajoutée à sa profession dite féminine, n’a pas rendu ses plans toujours faciles. Après plusieurs années en tant que vendeur en parfumerie, il décide en 2022 d’ouvrir la sienne. Un projet mêlant soins du visage et produits de beauté dans une petite ville de campagne, Montauban- de-Bretagne (Illeet-Vilaine). Sa parfumerie en ruralité a failli ne jamais voir le jour, tant les investisse­urs redoutaien­t qu’elle ne prospère pas. Pourtant, 2 000 clients franchisse­nt chaque année la porte de l’institut du sourcil et de la parfumerie, Toi beauté, de Clément. Une victoire pour l’ancien citadin, qui souhaite ouvrir les esprits dans son nouveau lieu de vie.

À 39 ans, la profession de sage-femme coule dans les veines de Rémy. Aujourd’hui, il arpente les couloirs du service des grossesses à risques du Centre hospitalie­r universita­ire (CHU) de Pontchaill­ou à Rennes avec assurance.

Rémy entame ses études de médecine sans imaginer se lancer dans la maïeutique. Son classement, en fin de première année, rebat les cartes. Il intègre des études de sages-femmes et tombe en amour de cette profession. Rémy reconnaît évoluer dans un milieu majoritair­ement féminin. Au CHU de Pontchaill­ou, ils sont cinq hommes pour 110 sages-femmes. Sa différence, il l’expériment­e aussi à travers des refus de soins occasionne­ls de la part de la patientèle. Certains sont francs, « pour motif religieux », d’autres plus subtils, dus à « des antécédent­s de violences ».

Dans les deux cas, Rémy fait appel à une consoeur, privilégia­nt le bien- être de la patiente à son ego. « Je suis là en tant que profession­nel de soin. Je ne suis pas refusé en tant que personne. Et puis les patientes se projettent différemme­nt sur le profession­nel si c’est un homme ou une femme. Par exemple, elles demandent à mes consoeurs si elles ont déjà eu des enfants. On ne m’a jamais posé cette question. »

Nombre de ses consoeurs n’ont pas le statut de mères. « Mais comme ce sont des femmes, la perception n’est pas la même », elles sont en capacité de tomber enceintes.

Cette différence biologique, le sagefemme la perçoit comme un atout. « On a une distance plus grande visà-vis du vécu des patientes, ça nous met dans une position plus objective. » Un « atout » qui se transforme en privilège à l’embauche. « Les hommes ont un gros avantage, ils n’ont pas de congé maternité, soupire le sage-femme. Et puis il y a beaucoup de préjugés. On part du principe qu’un homme s’arrêtera moins souvent pour les enfants. »

Par ailleurs, « ils ont une certaine appétence pour la technique, comme pour l’imagerie médicale ».

Rémy s’est toujours senti très bien accueilli, voire « chouchouté » au sein des équipes soignantes. Selon lui, « la présence d’hommes fait du bien, on a des gens qui ont été éduqués à réclamer un statut, un dû et à négocier. » En somme, Rémy participe à la mise en oeuvre de meilleurs salaires et à l’ouverture des activités des sagesfemme­s. Ses statuts de praticien, enseignant et chercheur, lui permet

tent un grand champ d’action au sein du CHU. « C’est un montage qui est calqué sur le fonctionne­ment des médecins, parce qu’on essaye de se rapprocher du statut pleinement médical. »

« Je ne suis pas refusé en tant que personne »

« Mes collègues m’appellent « l’assistante sociale » »

Rémy profite d’une place à part au sein de son équipe. Un statut partagé par Grégory, 44 ans, assistant social éducatif au CHU de Pontchaill­ou. Il est également en infériorit­é numérique dans son service, deux hommes

pour trente-sept employés. Sa fiche de poste se concentre sur le service de chirurgie de l’hôpital, où il accompagne les patients lors de leur sortie.

Selon lui, un bon assistant social est une personne dotée d’empathie. Une qualité qu’il refuse de réduire à la féminité. « Ça fait vingt ans que j’évolue dans des métiers dits féminins. On peut être une femme extrêmemen­t directe et franche, et un homme extrêmemen­t timide. »

Ce qui prévaut sur le genre pour Grégory, ce sont les compétence­s. Alors, il s’amuse lorsque ses collègues l’appellent « l’assistante sociale ». D’ailleurs il le fait lui-même pour désamorcer la surprise des usagers à la vision d’un homme.

Loin d’être handicapan­te, « la surprise permet une écoute différente », constate Grégory. Il se décrit comme féministe et ayant une part de féminité dont il est fier. « L’expression de la sensibilit­é, des sentiments, ce ne sont jamais des choses qui m’ont posé des difficulté­s. Je garde la barbe pour conserver un petit trait de masculinit­é », rit-il.

Blague à part, pour Grégory, être assistant social, c’est aussi montrer une autre forme de masculinit­é. « On n’est pas que des gros bourrins, qui aiment le sport et qui boivent de la bière. » Être un homme dans un milieu profession­nel majoritair­ement féminin est un privilège selon lui : « C’est beaucoup plus compliqué pour une femme de s’imposer dans un métier dit masculin. »

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| PHOTO : LUCIE WEEGER, OUEST-FRANCE Clément, dans son institut de beauté à Montauban-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine).
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| PHOTO : LUCIE WEEGER, OUEST-FRANCE Rémy est sage-femme au CHU de Pontchaill­ou à Rennes.
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| PHOTO : LUCIE WEEGER, OUEST- FRANCE Grégory, l’assistant social éducatif.
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Ces hommes qui travaillen­t dans des secteurs ma
 ?? | PHOTO : ORANA TRIKOVNA, OUEST-FRANCE ?? ajoritaire­ment féminins grimpent souvent plus rapidement dans la hiérarchie que leurs homologues femmes.
| PHOTO : ORANA TRIKOVNA, OUEST-FRANCE ajoritaire­ment féminins grimpent souvent plus rapidement dans la hiérarchie que leurs homologues femmes.

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