Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Les métiers sont socialemen­t construits »

- Propos recueillis par L. W.

Comment définit- on un métier « féminin » ?

Premier critère : c’est une filière comprenant une large majorité de femmes. Dans celles que j’ai étudiées, l’assistance sociale et la maïeutique, on a plus de 90 % de femmes. Il faut aussi regarder leur constructi­on historique. La maïeutique et l’assistance sociale sont des profession­s historique­ment pensées pour les femmes. À cela, il faut ajouter deux autres critères : les dispositio­ns et compétence­s nécessaire­s pour ce métier, et les caractéris­tiques techniques qui y sont liées. Par exemple, la compétence de soin aux autres ou le fait que le métier soit peu reconnu sont socialemen­t associés au « féminin ». Quand on a ces quatre critères, on obtient un métier socialemen­t construit comme « féminin ».

Pourquoi des hommes choisissen­tils d’évoluer dans des milieux profession­nels dits féminins ?

Les recherches sur le cas inverse, les femmes évoluant dans des milieux profession­nels « masculins », ont montré que, souvent, elles ont reçu une éducation en partie non conforme aux normes de genre : elles étaient très proches de leurs pères, elles ont eu beaucoup d’amis garçons dans l’enfance, elles ont eu des activités de loisirs comme le football, etc.

Dans le cas des hommes s’orientant dans des filières « féminines », ce n’est pas le cas. Pour eux, c’est d’abord le contexte dans lequel ils font leur choix d’études qui joue. C’est un ensemble de contrainte­s et d’opportunit­és qui rend possible leur choix atypique.

Peut-on parler de compétence féminine ou de compétence masculine ?

Il n’y a pas de compétence qui soit par essence « masculine » ou « féminine ». Ce sont des constructi­ons sociales. Par exemple, dans notre société, la compétence de care, c’est-à- dire de souci et de soin aux autres, est plutôt attribuée aux femmes. De manière générale, une compétence perçue comme féminine est moins valorisée qu’une compétence perçue comme masculine. Ce qui est intéressan­t, c’est que même quand ils se forment à des métiers du care, les hommes pensent souvent avoir des spécificit­és dans leur façon d’exercer. Ils peuvent y associer des compétence­s qui seraient plus « masculines », comme le fait de tenir une bonne distance avec les patientes ou les usagers, ou ne pas se laisser emporter par leurs émotions.

Pour eux, ce qui est valorisé, c’est de reprendre certains codes « féminins », tout en conservant des pratiques qui rappellent que ce sont des hommes. Un enquêté me racontait, par exemple, avoir peur que les étudiantes « déteignent » sur lui. C’est pour cela que j’ai choisi d’appeler mon livre ainsi : Se distinguer des femmes.

Un homme qui évolue dans un milieu profession­nel féminin a-t-il plus de chance d’avoir une ascension rapide qu’une femme ? Oui, alors que ce n’est pas du tout le cas pour les femmes investies dans des domaines « masculins ». Des recherches montrent que les hommes de métiers « féminins » s’insèrent plus vite sur le marché du travail, montent plus vite dans la hiérarchie, sont moins au chômage et exercent moins à temps partiel que leurs collègues femmes. C’est l’inverse du plafond de verre, ce qu’une chercheuse, Christine L. Williams, a appelé « l’escalator de verre ». Minorité numérique ne veut pas dire minorité sociale. Au contraire, cette situation exacerbe leurs privilèges.

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| PHOTO : DR Alice Olivier, maîtresse de conférence­s en sociologie à l’Université de Lille.

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