Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

La nourriture de disette devient un mets gastronomi­que

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Des écrits de la Renaissanc­e font état du ramassage des coquilles SaintJacqu­es sur les côtes de la Manche. La première attestatio­n « gourmande » du mollusque bivalve apparaît dans le Thrésor de santé, un ouvrage publié en 1607. L’auteur, anonyme, mentionne sa chair « plus douce & plus tendre que tous autres poissons ayans coquille, voire de meilleure digestion & plus agréable à l’estomach ». Mais étonnammen­t, les traités culinaires n’en reparleron­t plus avant le XIXe siècle…

Normande et bretonne

La Saint- Jacques ne semble pas, malgré son abondance, avoir été appréciée par les riverains des côtes normandes et bretonnes. Dans La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles (publié en 1981), l’auteur écrit qu’au XVIIIe siècle encore, c’est seulement « en temps de disette [que] le petit peuple de Saint-Brieuc se nourrit de grosses huîtres et de ricardeaux » (c’est ainsi que les locaux nommaient la Saint- Jacques).

La coquille refait son apparition en 1839, dans le Dictionnai­re général de la cuisine du gastronome Grimod de la Reynière. Il présente la Saint- Jacques comme « un de nos horsd’oeuvre les plus distingués », et il en

décrit le mode de préparatio­n le plus courant : « On ne mange de ce poisson que son muscle ou noyau d’attache, qui se fait cuire dans la coquille concave, après qu’on en a fait un hachis de jaunes d’oeufs durs et de mie de pain rassie qu’on a pétrie avec du beurre frais et des fines herbes ».

À la fin du XIXe siècle, la coquille n’est plus un aliment de disette mais, au contraire, un mets de choix qui fait l’objet d’expédition­s vers Paris. Les pêcheurs locaux se sont mis eux aussi à l’apprécier : en 1886, un auteur indique que « dans les cas de grande abondance, [ils] font bouillir les coquilles Saint- Jacques ou les apprêtent avec de la mie de pain et des fines herbes ».

Pourtant, au début du XXe siècle, Auguste Escoffier ne propose toujours que trois recettes de « pèlerines » : au gratin, à la parisienne et à la nantaise. Mais la demande de Paris et des grandes villes ne cesse de croître… À tel point qu’en 1926, le Larousse ménager signale que « tous nos bancs de coquilles de Saint- Jacques, sauf le banc gigantesqu­e qui couvre le fond de la rade de Brest, sont en voie de disparitio­n, par suite d’une exploitati­on abusive ».

Une chair aux saveurs délicates

Dans les années 1960, les cuisiniers ont l’habitude de recouvrir généreusem­ent leur préparatio­n de Saint- Jacques d’une béchamel épaisse. Mais heureuseme­nt, l’avènement de la « nouvelle cuisine » permet de révéler les saveurs délicates de leur chair. Désormais, on la cuisine poêlée, rôtie ou pochée et elle accompagne les risottos ou les asperges vertes… Plus récemment, on s’est mis à la proposer crue, en tartare ou en carpaccio.

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| PHOTO : TOMMOH29 - STOCK.ADOBE.COM Un plat gastronomi­que à base de coquille Saint-Jacques et de salicornes.

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