Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Le conte de Barbe-Bleue serait d’origine bretonne

Légendes et fantômes de l’Ouest. Si l’on identifie souvent Gilles de Rais à Barbe-Bleue, il semble que la source du conte de Perrault serait plutôt liée à la légende de sainte Tréphine.

- Françoise SURCOUF.

Il y a plus de mille ans régnait en la cité fortifiée de Vannes (Morbihan) le très sage Waroch. Ce duc avait une fille aussi jolie que gaie qu’on appelait Tréphine. Aussi Waroch eût-il mieux aimé perdre la vie que de causer la moindre peine à son enfant. Le renom de sa beauté devint si grand qu’il attira nombre de prétendant­s, mais Tréphine préférait rester auprès de son père.

Un jour, des ambassadeu­rs se firent annoncer. Ils venaient de Domnonée, royaume de Comorre. Aussitôt, la peur envahit les habitants de Vannes. Tous connaissai­ent le nom de Comorre et tous savaient qu’il n’était point sur terre de prince aussi cruel. Lorsqu’il était enfant, sa mère ellemême craignait ses colères. Quatre fois marié, Comorre était quatre fois veuf et le bruit courait qu’il avait assassiné ses épouses. Nul ne savait exactement quels moyens il avait employés mais chacun soupçonnai­t l’atroce vérité.

Les émissaires s’assirent à la table du duc et lui annoncèren­t que leur maître, venu en cachette à la foire de Vannes, avait aperçu Tréphine et en était tombé éperdument amoureux. Ordre leur avait donc été donné de demander à Waroch la main de sa fille. En cas de refus, ce serait la guerre.

Le mariage de Tréphine

Atterré, le duc argua que Tréphine était trop jeune pour se marier. Rien n’y fit. La jeune fille ne voulait pas que les gens de son pays souffrent, mais elle craignait de subir le sort des précédente­s épouses du roi. Elle partit voir saint Gildas, son parrain, qui lui remit une bague magique qui détectait le mal. Si son époux en venait à nourrir envers elle quelque mauvaise pensée, l’anneau noircirait. Rassurée, Tréphine rentra au château et convainqui­t son père qu’il ne lui arriverait rien de mal. Waroch oublia ses prévention­s et accepta Comorre pour gendre.

Le fiancé apporta maints présents et organisa, dès son arrivée, de somptueuse­s fêtes. Tous se réjouissai­ent de voir que son amour pour

Tréphine avait transformé le cruel souverain. Quant à la jeune fille, elle trouvait son époux fort séduisant. Enfin, ils regagnèren­t le château au coeur de la forêt de Carnoët (Finistère). Les mois s’écoulèrent. Les prisons restaient vides, les fourches de justice sans pendus. Les vassaux pensaient que la nouvelle reine devait avoir des charmes puissants pour tenir ainsi en laisse ce fauve…

De fait, le cruel monarque était toujours aussi amoureux de sa douce épouse et celle- ci le lui rendait bien. Toutefois, Tréphine, mue par une inquiétude sourde, allait souvent se recueillir sur les tombes des quatre malheureus­es dont Comorre était veuf.

La bague était noire

À quelque temps de là, il y eut à Rennes ( Ille- et-Vilaine) une grande assemblée de ducs et de seigneurs et Comorre s’y rendit. Il embrassa tendrement sa dame et partit. Cinq mois passèrent. Enfin, le roi fut de retour chez lui. Il y trouva Tréphine, le ventre arrondi, qui taillait dans la dentelle un petit bonnet. À ce spectacle, il sortit

sans dire mot. Tréphine baissa les yeux. Sa bague était devenue noire ! Désormais elle en était sûre, son mari allait la tuer, sans même qu’elle sache quelle pouvait bien être sa faute…

La fuite vers la forêt

Pleurant sa vie gâchée et son amour perdu, elle gagna le cimetière. Peutêtre les âmes des épouses précédente­s lui apporterai­ent- elles un peu de réconfort… Soudain, épouvantée, elle vit les quatre dalles se soulever et les fantômes des femmes de Comorre sortir de leurs tombes, drapées dans leurs linceuls. Elle voulut s’enfuir mais les spectres la retinrent et lui confièrent qu’une prophétie avait révélé au roi que son premier-né le tuerait. Voilà pourquoi il les avait assassinée­s les unes après les autres. Puis elles lui remirent les instrument­s de leurs morts, poison, corde, flamme et bâton, afin qu’ils servent à son salut. Tréphine s’arma de courage, traversa la cour, jeta aux chiens des boulettes empoisonné­es, descendit le long de la muraille, alluma son flambeau et se fraya un chemin au travers des orties. Elle entreprit de regagner le duché de son père.

Le lendemain matin, lorsqu’il s’aperçut de la disparitio­n de sa femme, le roi Comorre se lança à la poursuite de la fugitive. À bout de forces, Tréphine parvint jusqu’à l’orée de la forêt de Vannes. Là, elle sentit qu’elle

ne pourrait pas aller plus loin. Elle s’allongea dans l’herbe d’une clairière et mit au monde un fils qu’elle baptisa Tremeur. Au même moment, Comorre apparut au détour du chemin. Tréphine n’eut que le temps de cacher le bébé dans un arbre creux. Cela fait, elle fit face à son cruel époux. Rendu fou par la colère et la peur, le roi tira son épée du fourreau et, d’un seul coup, trancha la tête de sa femme. Puis il regagna sa demeure.

La fin de Comorre

Averti en songe de ce qui était arrivé à la malheureus­e, saint Gildas prévint Waroch, qui réclama la troupe. Bientôt, ils découvrire­nt le cadavre de Tréphine et, au creux de l’arbre, l’enfant vagissant. Gildas imposa alors les mains sur le corps de la jeune femme et lui ordonna : « Lève-toi ! Prends ta tête et ton fils et conduis- nous au château de Comorre ! » Là, tous virent le nouveau-né pointer un doigt malhabile vers son père. À peine avait-il fait ce geste que les murailles se fendirent et s’écroulèren­t sur le cruel roi et son armée, l’enseveliss­ant en ses murs.

Alors Gildas prit la tête de Tréphine, la reposa sur son cou et tous les chevaliers présents purent voir la reine, berçant son fils, heureuse et revenue à la vie.

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| PHOTO : ARCHIVES OUEST-FRANCE La forêt de Carnoët, près de Quimperlé, est le théâtre de la légende de sainte Tréphine.
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| PHOTO : DOMAINE PUBLIC La statue de sainte Tréphine dans la chapelle de Pontivy.

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