Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Je sens sa force couler dans mes veines »

Série. À quatre mois des JO de Paris 2024, Ouest-France revient sur les traces des champions sacrés dans la Ville Lumière en 1924. Premier épisode avec le petit-fils du nageur star, Johnny Weissmulle­r.

- France.fr/ Christophe PENOIGNON.

Adam se promène souvent avec son épouse et ses chiens sur les bords du lac Nacimiento, où il respire l’air californie­n à pleins poumons. Cet agent immobilier de 57 ans a grandi un peu plus au nord, dans la ville côtière de Santa Cruz. C’est là-bas qu’il est tombé amoureux de l’eau. Et pour cause : il a appris à nager avec son grand-père, Johnny Weissmulle­r.

Si Adam est un anonyme, son aïeul l’est beaucoup moins. Johnny Weissmulle­r est une légende. Quintuple champion olympique (trois médailles d’or à Paris en 1924, deux en 1928 à Amsterdam), ce nageur prodige est ensuite devenu le Tarzan le plus mythique de l’histoire du cinéma, interpréta­nt le célèbre homme de la jungle dans douze films.

La dernière fois qu’Adam a vu son grand- père, c’était en 1977. Juste avant que sa santé déclinante ne l’oblige à finir sa vie dans des hôpitaux psychiatri­ques. L’un avait 10 ans, l’autre 73. Outre ses inoubliabl­es leçons de natation, les souvenirs de son aïeul sont rares. « J’ai quelques flashs, mais j’étais trop jeune pour lui demander quoi que ce soit, et je le regrette car si je le pouvais, je lui poserais tant de questions ! »

Adam a appris à connaître son grand-père en tant que Tarzan sur le petit écran bien avant de découvrir le nageur aux 28 records du monde. « Quand j’étais gosse, tout ce qu’on avait à regarder à la télé le dimanche, c’était Tarzan. Au début, je pensais que tous les papys du monde passaient à la télé, je trouvais ça normal (rires). Ma mère vantait ses succès en natation, mais ça me parlait moins. Je n’ai compris que plus tard, à l’arrivée d’Internet. »

Sur la toile, Adam se met à faire ses propres recherches pour rembobiner la vie de son grand-père. C’est une révélation. « Je me suis rendu compte que sa vie est une succession d’histoires plus rocamboles­ques les unes que les autres ! »

La première, c’est cette visite décisive chez un médecin qui lui conseille la natation pour soigner sa polio. Johnny Weissmulle­r a 9 ans. Il se met alors à faire ses premières coulées dans l’immense lac Michigan et guérit de la maladie. Mieux : quelques années plus tard, un homme repère son talent et change sa vie à jamais. « Johnny travaillai­t comme portier dans un hôtel de Chicago. Quand Bill Bachrach l’a vu nager, il lui a dit : « Donne- moi un an de ta vie, et je ferai de toi un champion du monde ». À la fin de cette année d’entraîneme­nt, mon grand-père a commencé à nager en compétitio­n et n’a jamais perdu une course de sa vie. »

Puis vient l’épisode de la falsifica

tion de son acte de naissance qui l’a mené vers Paris et la gloire. Avant ces JO, Johnny Weissmulle­r est apatride. Le nord de la Roumanie, où il est né en 1904 d’un couple d’immigrés allemands, faisait jadis partie de l’Autriche- Hongrie. Lors de la chute de l’empire, le nageur a perdu sa nationalit­é. « Pour qu’il puisse participer aux Jeux, ses parents ont trafiqué son acte de naissance en l’échangeant avec celui de son petit frère Peter, né en 1905 en Pennsylvan­ie, à leur arrivée sur le sol américain. »

Le risque en valait la chandelle. Premier homme à passer sous la minute sur le 100 m nage libre, Johnny Weissmulle­r prive Duke Kahanamoku d’un troisième titre consécutif sur la distance aux JO 1924. À Paris, il ajoute deux autres médailles d’or, sur 400 m et sur le relais 4x200 m. Il con

servera ses titres quatre ans plus tard, à Amsterdam, sur 100 m et sur le relais. Et quelques- uns de ses 28 records du monde subsistero­nt longtemps, comme celui du 100 m nage libre (57’’40), établi en 1924 et battu qu’en 1934. Et dire que tout ça, Johnny Weissmulle­r l’a fait en nageant la tête hors de l’eau. Une autre époque… « S’il avait mis sa tête sous l’eau, il aurait nagé encore plus vite ! », se marre son petit-fils.

Cette technique de nage a fait le bonheur de l’équipe américaine de water-polo lors des Jeux de 1924. « Un des joueurs est tombé malade et ils n’avaient pas de remplaçant. Johnny était grand (1,95 m) et savait déjà jouer. Au final, ils ont gagné la médaille de bronze. N’est- ce pas fou ? Je ne sais pas si c’est la vie qui était différente ou si les gens étaient juste plus forts. Certaines personnes sont touchées par la grâce. Il était de cette caste. »

« Je pensais que tous les papys du monde passaient à la télé ! »

« Vous êtes là pour Tarzan vous aussi ? »

Commence alors son invraisemb­lable carrière d’acteur, qui s’étalera de 1932 à 1954. Adam raconte comment son grand-père est devenu, par hasard, le premier Tarzan parlant de l’histoire du cinéma : « Il avait rencontré Errol Flynn (acteur hollywoodi­en). Un jour, il voulait venir le saluer dans les studios de la Metro Goldwyn Mayer. Il y avait une queue devant les studios. Une fois au bout, la sécurité lui a demandé : « Vous êtes là pour Tarzan vous aussi ? » Et il a répondu « tout à fait », sans savoir de quoi il s’agissait (rires). »

Après avoir gagné près de deux millions de dollars, Johnny Weissmulle­r accumulera dettes et procès à cause de ses cinq mariages, et se retrouvera ruiné. Devenu représenta­nt pour une marque… de piscine, il mourra d’un oedème pulmonaire à 79 ans.

« Une fois que j’ai découvert sa vie, j’ai senti comme une force envahir mes veines, confie son petit- fils. Sans le savoir, il a fait de moi une meilleure personne. Ça m’a vraiment aidé dans ma vie. » Alors que la dernière femme de la star avait vendu bon nombre de ses effets personnels à un collection­neur de Tarzan, la fille de ce dernier a tout donné à Adam lorsqu’elle a hérité de cette collection.

Il découvre alors une quantité astronomiq­ue d’objets, de documents, de vieilles photos où on le voit poser avec Bill Bachrach, son frère Peter ou Duke Kahanamoku, d’autres prises à la piscine Molitor lorsqu’il s’y entraîna quelques semaines en 1929 en échange de piges comme maître-nageur. Et puis il y a les trophées, les médailles, dont celles remportées aux Jeux de 1924. « Ce n’est pas quelque chose qui doit être gardé par une famille donc on les a confiés au Hall of Fame de la natation. »

Aujourd’hui, Adam Weissmulle­r reste très « fier des succès de (son) grand-père. » Le retour des Jeux à Paris, cent ans après, vient raviver sa flamme olympique à lui, celle de la mémoire. « Ça me fait chaud au coeur. Les personnes qui ne savent pas regarder en arrière n’ont pas d’avenir. On doit prendre conscience qu’on se tient sur les épaules de géants. Si on casse cette chaîne, on perd tout sens des réalités. »

Des JO de Paris 2024 naîtront sans doute d’autres Adam Weissmulle­r qui, cent ans plus tard, perpétuero­nt à leur tour le devoir de mémoire.

À lire en intégralit­é sur www.ouestsport/prolongati­on/

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| PHOTO : DR ADAM SCOTT WEISSMULLE­R Johnny Weissmulle­r au bord du bassin en 1924 (à gauche) et dans l’un des films Tarzan (en haut à droite). En bas, son petit-fils, Adam.
 ?? | PHOTO : DR – ADAM SCOTT WEISSMULLE­R ?? Adam Scott Weissmulle­r aux côtés de son grand-père, Johnny Weissmulle­r, nageur triple champion olympique aux JO de Paris 1924.
| PHOTO : DR – ADAM SCOTT WEISSMULLE­R Adam Scott Weissmulle­r aux côtés de son grand-père, Johnny Weissmulle­r, nageur triple champion olympique aux JO de Paris 1924.

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