Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
L’Europe « sous-traite » les migrants à l’Égypte
Après la Turquie, la Libye, la Tunisie… Ce dimanche, c’est avec l’Égypte que la Commission européenne s’apprête à passer un accord très controversé. À coups de milliards.
Loin des yeux. Pour ne pas laisser les migrants atteindre l’Union européenne, la Commission s’apprête à nouer, ce dimanche, un accord avec l’Égypte. À charge pour ce pays d’empêcher les départs et de récupérer ses ressortissants entrés illégalement en Europe…
Rien de gratuit. Au Caire, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, n’arrivera pas les mains vides. Le ministre égyptien des Finances, Mohamed Maait, a déjà évoqué un chèque de 5 milliards d’euros. Plusieurs sources, à Bruxelles, parlent plutôt de 7,4 milliards.
La droite promet de multiplier ces paces
Un pactole bienvenu pour ce pays, le plus peuplé du monde arabe avec 104 millions d’habitants, et qui dit abriter 9 millions de migrants. Poussés à l’exil par les conflits en Syrie, au Yémen, au Soudan, etc., tous ne rêvent pas d’Europe. « 60 % d’entre eux résident ici depuis une dizaine d’années et 37 % ont un emploi stable », observait mi-janvier le ministre de la Population, Khaled Abdel Ghaffar. En outre, les départs de migrants, rares depuis le littoral égyptien déjà très contrôlé, se font plutôt via la Libye…
L’argent européen vise aussi à soutenir un pays essoré par la crise :
deux Égyptiens sur trois vivent en situation de pauvreté. Plus que le verrouillage de l’économie par le régime militaro- politique d’Abdel Fattah al- Sissi, c’est son bafouement des droits humains qui inquiète. Mardi, l’eurodéputé écologiste français Mounir Satouri, rapporteur pour le Parlement européen sur l’Égypte, a écrit à Ursula von der Leyen pour lui rappeler « la situation catastrophique de la démocratie » dans ce pays.
L’Égypte se situe au 135e rang, sur 140, du classement de l’État de droit du World Justice Project. Depuis le retour des militaires au pouvoir, en 2013, la répression n’a cessé d’enfler. D’abord contre les militants islamistes et désormais contre toute voix dissidente : le pays compte plus de 60 000 détenus politiques.
« Comment peut- on continuer de conclure des accords avec des dictateurs ? » fulmine l’eurodéputé italien Pietro Bartolo (social- démocrate), qui fut durant trente ans « médecin des migrants » à Lampedusa. Sur cette petite île, porte d’entrée dans l’UE, il a été le premier témoin de la torture et des viols infligés aux migrants dans les camps libyens, puis plus récemment en Tunisie.
Libye, Turquie, Tunisie… Et aujourd’hui l’Égypte. Depuis 2015, les États membres et l’UE multiplient les accords migratoires avec ces pays aux dirigeants peu fréquentables.
Sous pression, alors que se profile une poussée de l’extrême droite aux élections européennes du 9 juin, la droite promet de multiplier encore ces pactes. Le Parti populaire européen, dont font partie Les Républicains français et l’Allemande Von der Leyen, a inscrit dans son programme le transfert des demandeurs d’asile « vers des pays tiers sûrs ». Il y a deux ans, les mêmes s’offusquaient pourtant de voir le Britannique Boris Johnson vouloir en faire autant, en refoulant les migrants vers le Rwanda…