Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
L’erreur judiciaire, une mécanique implacable
La justice reconnaît peu d’erreurs judiciaires. Jeudi, à Paris, magistrats et avocats ont débattu de la mécanique qui aboutit à de mauvaises décisions et à des vies parfois brisées.
Qu’est- ce que l’erreur judiciaire ? « C’est de juger vrai ce qui est faux et de juger faux ce qui est vrai », aussi bien lors de procédures civiles que pénales, a résumé jeudi d’une formule limpide Natalie Fricero, professeure des universités et ancienne membre du Conseil supérieur de la magistrature. Elle participait à un colloque consacré à cette question, à l’École nationale de la magistrature.
Au pénal, peu d’erreurs sont reconnues par la Cour de révision. Deux à trois par an après des jugements erronés devant les tribunaux correctionnels pour un délit. Encore moins en matière criminelle. Depuis 1945, seuls douze condamnés ont vu leur innocence reconnue. Patrick Dils est l’un des plus connus d’entre eux : il a passé près de quinze ans en prison après avoir avoué, au bout de trente heures harassantes de garde à vue, les meurtres de deux garçons, à Montigny-lès-Metz, en Moselle, en 1986. Il n’avait que 16 ans au moment de ses faux aveux.
« Le piège de la certitude »
Frédéric Descorps-Declère, docteur en droit, concède « une prudence » des juges à réviser les condamnations. Pour qu’un condamné soit innocenté, il faut en effet qu’il puisse présenter un fait nouveau de nature à susciter le doute sur sa culpabilité.
Une volonté politique de ne pas trop réviser existe sans doute aussi. Boris Bernabé, professeur à l’université de Paris- Saclay, rappelle que tout au long de l’histoire, les États ont toujours eu pour préoccupation « de ne pas porter atteinte à l’autorité de la chose jugée et aux juges ».
Reste que si le nombre d’erreurs judiciaires est méconnu, les mécanismes pouvant les générer sont davantage identifiés. Il y a, par exemple, « les erreurs de représentation », détaille le sociologue Christian Morel. Dans le double meurtre de Montigny-lès-Metz,
« les juges ont été totalement fascinés par les aveux de Patrick Dils et ont fini par réinterpréter la réalité ». Cet adolescent avait déclaré avoir tué les deux garçons en début de soirée, vers 18 h 30, alors que cet horaire ne correspondait pas aux constatations du médecin légiste…
Il y a encore « le piège de la certitude », indique Nathalie PrzygodzkiLionet, professeure de psychologie appliquée à la justice. Au fait de se fier, par exemple, à un témoin, trop sûr de lui. Or, « des études ont montré que la corrélation entre la certitude du témoin et la réalité des faits est très faible ». Et les juges les plus expérimentés
ne sont pas à l’abri de telles erreurs. D’une manière générale, « ce sont les gens les plus chevronnés qui les commettent, car ils font moins attention et ne mettent plus en place de démarche analytique », poursuit la chercheuse.
Débriefings au tribunal ?
Alors que faire pour réduire leur nombre ? La juriste Natalie Fricero veut croire au renforcement des procédures collégiales et contradictoires. Le sociologue Christian Morel se demande s’il ne faudrait pas instaurer des débriefings dans les tribunaux. « Cela se pratique dans les activités à risque. Les militaires et les pilotes d’avion le font systématiquement. »
Une certitude : l’erreur judiciaire provoque des blessures psychologiques souvent irréparables. Le journaliste Mathieu Delahousse, auteur du livre La chambre des innocents, reste marqué par ces personnes qui demandent à un tribunal une réparation financière pour avoir été incarcérées à tort : « Elles ne voulaient pas qu’on donne un trop grand écho à leur innocence car cette audience leur rappelait en creux la culpabilité à laquelle elles avaient été confrontées. »