Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Letout jetable, c’est fini » : le credo dupat

Oui, on peut fabriquer, en France, des produits qui soient réparables. Seb, dans la même famille depuis sept génération­s, en a fait une règle. Ses appareils font partie de notre quotidien.

- Propos recueillis par Patrice MOYON.

Vous avez fêté l’an dernier les 70 ans de la cocotte-minute Seb. Elle n’a pas pris une ride ? Absolument ! C’est un produit qui, depuis 1953, se vend dans le monde entier. Il est absolument increvable. Ceux qui l’achètent le gardent parfois vingt, trente ans. Nous l’améliorons en permanence depuis soixante- dix ans.

Quelle est la recette de ce succès ?

Comprendre le besoin du consommate­ur. L’autocuiseu­r offre la rapidité des plats faits maison. Cette cuisine traditionn­elle qui était une évidence revient aujourd’hui en force. Les gens ont besoin de savoir qu’ils cuisinent des matières premières qu’ils ont achetées eux- mêmes. La cuisson est rapide et donc économe en énergie. Enfin, ce produit offre une sécurité totale.

Qu’est-ce qui a changé ?

Nous avons fait évoluer la fermeture. Vous avez sans doute encore en mémoire ce geste de la main pour ouvrir l’autocuiseu­r. Pas vraiment pratique si j’ai un enfant dans les bras. Aujourd’hui, il suffit d’appuyer avec un doigt.

On peut donc toujours fabriquer en France ?

Oui. Nous avons quatorze sites industriel­s en France, avec 7 000 salariés. Mais il faut aussi être réaliste. Dans le métier du petit équipement de cuisine, on ne peut plus fabriquer en France et en Europe les produits basiques : cafetières filtres de base, les bouilloire­s de base ou un grillepain. Nos coûts de production sont beaucoup trop élevés par rapport au prix auquel se vendent ces produits. Nous avons fait le choix de nous installer dans des pays émergents et en particulie­r en Chine, où sont fabriqués 90 % des appareils d’électromén­ager dans le monde. Dans le même temps, nous avons spécialisé nos usines françaises sur des produits à forte valeur ajoutée : fers à repasser et générateur­s de vapeur près de Lyon, les robots et machines à café full auto à Mayenne. Vous appuyez sur un bouton et vous choisissez café latte, expresso… C’est là que nous inventons et innovons.

« Nous avons quatorze sites industriel­s en France »

Comment faciliter la réindustri­alisation ?

Toute baisse des impôts de production est importante. Nous avons apprécié que ces impôts aient baissé en France. Espérons que cela continuera. Il va aussi être de plus en plus important à l’avenir de sécuriser les matières premières. Et ça, on n’en parle jamais. D’autres pays sont plus engagés sur cette question. C’est le cas de la Chine. Pour maintenir une production en France, il faut aussi recréer des filières. De nombreux composants ne sont plus fabriqués en France ou en Europe.

Vous avez des exemples ?

On ne trouve plus, par exemple, de thermostat. On peut aussi penser que, dans quelques années, tous les appareils que vous avez dans votre cuisine soient sans fil. Et pour cela, il faut des batteries. Il n’y en a plus en Europe en ce qui concerne notre secteur. Autre élément clé, celui des normes. L’industrie ne se réinvente pas du jour au lendemain. Nous avons besoin de savoir où nous allons, d’avoir des règles claires qui ne nous mettent pas en porte-à- faux par rapport à nos concurrent­s. De ce point de vue, je rends hommage à Roland Lescure, notre ministre de l’Industrie.

Qu’est-ce qui se passe dans la cuisine des Français ?

Tout ce qui touche la nutrition et la santé est très important. On a vu aussi plus récemment la tendance de la cuisine plaisir. Il n’y a jamais eu autant de cours de cuisine à la télévision ou de communauté­s sur les réseaux sociaux. Beaucoup de consommate­urs ont envie de plats « faits maison ». Dans le même temps, les Français peuvent aller vers des produits qui se cuisinent très rapidement. On a des marques locales qui deviennent des marques nationales, voire internatio­nales. C’est le cas de Krampouz, en Bretagne, dont le site vient d’être agrandi à Pluguffan (Finistère). Cette marque est devenue la référence pour les crêpières et se développe aussi dans les planchas.

L’obsolescen­ce programmée des appareils ménagers conduit au gaspillage. Vous comprenez que cela mette les gens en colère ? La réparabili­té, c’est un sujet auquel on croit beaucoup et depuis tou

jours. La question de l’obsolescen­ce programmée touche d’abord des gros produits ménagers comme les réfrigérat­eurs ou les machines à laver. Chez Seb, nous sommes l’anti- obsolescen­ce, notre fondateur était rétameur ambulant. Il allait dans les villages pour réparer, remettre de l’étain… Nous sommes nés réparateur­s. Et c’est resté dans notre ADN. Comme nos concurrent­s ont délocalisé en Asie, ils n’avaient plus de composants et de pièces détachées. Chez Seb, on a toujours réparé. Il y a quelques années, nous avons certifié que nos produits étaient garantis dix ans et même quinze ans désormais. Il faut savoir que c’est en amont qu’il faut penser réparabili­té.

C’est-à-dire ?

Il faut concevoir le produit pour qu’il soit réparable. Il faut aussi que la réparation puisse se faire à un coût modique. Les pièces détachées doivent être à un prix raisonnabl­e. On a même mis en place un forfait. Le consommate­ur sait que son pro

duit sera réparable pour moins du tiers du prix d’achat. Cette chaîne, longue à mettre en place, nous donne aujourd’hui satisfacti­on. Nous sommes devenus le leader de la réparabili­té comme nous sommes aussi le leader de la recyclabil­ité. Le consommate­ur n’était pas attentif à ces sujets il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, il plébiscite cette démarche. Nous sommes convaincus que c’est l’avenir. Et même en Chine, où nous sommes le leader de notre métier. Le tout jetable, c’est fini.

La Chine justement, comment y avez-vous vécu le Covid-19 ? Nous avons une usine à Wuhan où a démarré la pandémie. On y vend des cuiseurs à riz, des appareils pour faire du lait de soja et des woks qui servent à préparer de la cuisine chinoise. Elle a été arrêtée pendant deux mois. On a maintenu les salaires. L’année 2020 a été très difficile.

Comment se porte l’économie chinoise ?

Elle souffre de l’effondreme­nt de l’immobilier. Sur le long terme, nous restons très optimistes. Nous nous adressons aux classes moyennes. Même si la population a tendance à baisser, le nombre de ménages augmente.

Le climat fait partie de vos préoccupat­ions ?

La meilleure façon de décarboner, c’est encore de produire en France. On limite le transport. Et on est sûr de ce qu’on fait. Comme nous ne sommes pas très émetteurs de dioxyde de carbone, nous travaillon­s sur la consommati­on de nos produits. Ils sont de plus en plus économes en énergie. La Chine a les mêmes préoccupat­ions. Nos sept usines chinoises sont à un très haut niveau de normes et de décarbonat­ion. Nous sommes basés à Hangzhou, une ville de 10 à 11 millions d’habitants à deux heures de Shanghai. Nous avons fait l’acquisitio­n de cette société en 2007. Pendant des années, je n’ai pas vu de ciel bleu. C’était un ciel gris plombé. Aujourd’hui quand il ne pleut pas, le ciel est dégagé. J’y vois le bleu et du soleil. Ça va mieux, même à Shanghai. La Chine travaille sur les questions environnem­entales et va nous surprendre. Elle fait évoluer les choses dans le bon ordre. Ça progresse très vite.

C’est difficile de faire des affaires en Chine. Comment avez-vous réussi ?

On est chinois en Chine. Je pense que nous sommes la seule société au monde à avoir été autorisée à prendre le contrôle d’une société cotée. Nous avons un peu plus de 80 % du capital de cette société. Nous avons aussi plus de 15 000 actionnair­es chinois. Toutes nos équipes sont chinoises et travaillen­t à destinatio­n du marché chinois. Nous faisons partie du patrimoine. Notre marque Supor est très connue en Chine.

On vous imaginait moins révolution­ner le brossage de dents avec Y brush ?

Cette brosse à dents est assez ludique pour les enfants. Et elle nettoie tout en même temps, de façon très intelligen­te et très rapide. Il y a beaucoup de sociétés très innovantes. Et je crois que c’est comme ça qu’on gagnera la bataille contre la décarbonat­ion. On voit de petites sociétés brillantis­simes sur des sujets très pointus. Il faut les aider à se développer. C’est le rôle des grands groupes. Si on veut créer un vrai tissu de petites et moyennes entreprise­s, il faut s’en donner les moyens. En France, ces sociétés sont revendues trop vite.

« Il faut concevoir le produit pour qu’il soit réparable »

« Il faut toujours garder l’esprit pionnier »

Que faites-vous pour aider ces start-up ?

Nous avons une société dans le groupe qui s’appelle Seb Alliance. Elle a pour vocation de prendre des participat­ions minoritair­es dans des start- up. Notre première participat­ion a concerné Ethera, à Grenoble, qui a inventé une formule pour détruire un polluant, le formaldéhy­de, qu’on trouve dans les colles de moquettes ou les papiers peints. On a aussi pris une participat­ion dans une société qui a inventé un système permettant une navigation à peu près parfaite pour les robots aspirateur­s. Nous prenons aussi des start- up innovantes dans le marketing. C’est le cas dans le Chef club qui fait des recettes de cuisine, avec 2,5 milliards de vues sur Facebook par mois. Plus on grossit, plus il y a le risque de croire qu’on sait tout. Il faut toujours garder l’esprit pionnier.

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À Pluguffan (Finistère), le patron de Seb, Thierry de La Tour d'Artaise, était présent pour
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| PHOTO : THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE
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| PHOTO : THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE l’inaugurati­on de l’extension de l’usine Krampouz.
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PHOTO THIERRY CREUX, OUEST-FRANCE

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