Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« En fait, l’émission de Cyril Hanouna est politique »

Chercheuse au CNRS, Claire Sécail publie un essai sur l’animateur de C8, tout juste auditionné par les députés. Elle analyse comment son émission a évolué pour porter un projet politique ultraconse­rvateur.

- Entretien | Propos recueillis par Alexis BOISSELIER.

Pourquoi avoir choisi Cyril Hanouna comme objet d’étude ?

Au sein de mon laboratoir­e du CNRS, nous travaillon­s sur les campagnes électorale­s. Pour celle de 2022, nous nous sommes concentrés sur les contenus médiatique­s. En étudiant l’émission de Cyril Hanouna, je voulais interroger la façon dont on peut intéresser les gens à la politique par le divertisse­ment. Je connaissai­s Touche pas à mon poste ! (TPMP) de loin et, très vite, je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout ce que je pensais. L’émission revendiqua­it ne pas faire de politique, mais elle en faisait en réalité beaucoup. J’ai été très étonnée par la place accordée à l’extrême droite.

Dans votre livre, vous parlez d’une ligne éditoriale « bollorisée »…

Oui, cette ligne, qui allie valeurs ultraconse­rvatrices et approche libérale du marché, existait déjà sur CNews, notamment dans l’émission de Pascal Praud. À travers celle de Cyril Hanouna, Vincent Bolloré veut toucher les classes populaires grâce au divertisse­ment, à l’affectif, et les attirer sur le terrain de ses idées. Par exemple, les valeurs économique­s deviennent celles de la réussite, du bon sens. Bolloré veut donner l’idée que ses contenus sont une représenta­tion de la société. Or celle- ci est plus complexe.

D’autres biais politiques dans les émissions de Cyril Hanouna ?

Oui, cela vaut pour de nombreux sujets. La drogue, par exemple, est toujours évoquée comme une question de sécurité et non de santé publique. Sur le climat, il a aussi fait le choix de présenter une écologie conservatr­ice. Par ailleurs, Cyril Hanouna se pose en porte-voix du peuple, mais c’est intéressan­t de constater que pendant la campagne présidenti­elle de 2022, la thématique du pouvoir d’achat n’est que très peu apparue dans ses émissions, alors que c’était une des premières préoccupat­ions des Français. Au contraire, il s’est beaucoup concentré sur la campagne d’Éric Zemmour.

L’émotion n’a-t-elle pas trop de place dans l’émission ?

Les émotions, notamment en ce qui concerne les faits divers, ne sont pas forcément quelque chose de mauvais. Cela peut amener à comprendre des problèmes compliqués, faire

réfléchir. Ce qui est problémati­que, c’est que l’émission s’en tient à l’échange de points de vue personnels. Ce qui compte, ce n’est pas la valeur de l’argument mais la capacité à renvoyer une vanne… Seule l’indignatio­n compte. Cyril Hanouna se sert de l’émotion d’un fait divers, du témoignage d’une victime pour faire passer des discours ultra-politiques, contre la justice, contre le parlementa­risme et in fine contre l’État de droit.

Les faits sont-ils occultés ?

La situation est peu éclairée, il n’y a pas d’enquête journalist­ique. Les invités ne sont pas bien identifiés, on ne sait pas d’où ils parlent. Sur l’affaire du meurtre de la petite Lola ou l’affaire du bal de Crépol, l’émission a entretenu une certaine confusion des faits. Et je ne parle même pas de la crise sanitaire du Covid-19, du vaccin, où il y a eu beaucoup de désinforma­tion.

Ce que vous racontez aussi, c’est que l’émission de Cyril Hanouna était totalement différente lors des premières années…

Oui, c’était une émission sur les médias, populaire. D’ailleurs, à l’époque, les articles de presse avaient plutôt tendance à saluer le talent d’animateur de Cyril Hanouna. Et jusqu’en 2015, il était régulièrem­ent

dans le classement des animateurs préférés des Français.

À quand situez-vous la bascule de l’émission ?

En 2015, ce sont les premiers dérapages, avec notamment l’épisode des nouilles dans le slip (l’animateur avait versé un bol de nouilles dans le slip de l’un de ses chroniqueu­rs). Il n’y a pas encore d’évolution éditoriale mais son image publique se dégrade. Les journalist­es commencent à changer de ton vis-à-vis de lui et Cyril Hanouna le prend très mal. En 2017, il est sanctionné par l’Arcom (ex-CSA) après un canular homophobe. Perçu comme clivant, il va alors tenter de réparer son image.

Comment ?

Il s’empare de sujets liés aux discrimina­tions, en invitant des représenta­nts d’associatio­ns mais aussi Marlène Schiappa, à l’époque secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. TPMP sort du simple commentair­e sur les médias. En 2018, il lance Balance ton post !, une émission taillée pour parler des sujets de société.

Et déjà très colorée politiquem­ent… Oui, la ligne que l’on connaît aujourd’hui s’exprime dès les premières émissions. La question de l’avortement est posée, Cyril Hanouna convoque Éric Zemmour et invite des personnali­tés ultra-conservatr­ices, réactionna­ires, qui ne représente­nt qu’elles.

L’autre moment marquant, selon vous, ce sont les Gilets jaunes…

À ce moment-là, TPMP devient une émission d’actualité. Cyril Hanouna va profiter de l’émergence de ce mouvement peu structuré pour se placer en tant que représenta­nt des intérêts du peuple. Son raisonneme­nt est de dire qu’il a un large public, appartenan­t à la classe populaire, et qu’il représente donc le peuple. C’est précisémen­t ce qui fait de Cyril Hanouna une personnali­té populiste. Il met en scène sa relation avec le peuple dont il serait le représenta­nt. Il est en direct, il surjoue la proximité, l’authentici­té. Le plateau devient une agora populaire, le public devient le peuple et l’animateur ce porte-voix, ce leader.

Cette posture n’est- elle pas légitimée par les personnali­tés politiques qui vont sur son plateau ? Évidemment. Les politiques ont compris l’intérêt qu’ils avaient à y aller. Au moment des Gilets jaunes, Marlène Schiappa est venue coanimer une émission avec Cyril Hanouna. À l’époque, TPMP a d’ailleurs surtout servi l’agenda de l’exécutif. Les Insoumis ont aussi pendant longtemps essayé d’investir le plateau pour y porter leur message. Ils se sont vite retrouvés piégés. Ils étaient invités pour faire de la contradict­ion mais les thèmes abordés n’étaient jamais les leurs.

Connaît-on les idées personnell­es de Cyril Hanouna ?

La question de ce que pense Cyril Hanouna ne m’intéresse pas forcément. Ce qui compte, c’est ce qu’il produit. Sa posture de populiste et ses discours répétés et colorés permettent clairement de dessiner le système de valeurs qu’il défend.

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| PHOTO : CORENTIN FOHLEN, OUEST-FRANCE Claire Sécail, historienn­e et chercheuse au CNRS.
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PHOTO : J. TRIBECA, BESTIMAGE Cyril Hanouna, ici en août 2022, sur le plateau de « TPMP ».

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