Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Le cap de la Hague, la demoiselle et le monstre

Légendes et fantômes de l’Ouest. La péninsule et ses brumes normandes sont depuis toujours terres de légendes. On y croise d’étranges créatures damnées et des monstres venus du fond des temps…

- Françoise SURCOUF.

Dans le départemen­t de la Manche, on conte la présence de dames blanches, milloraine­s (fées) ou encore « demoiselle­s », attisant toutes les curiosités. Dans les années 1950, des chercheurs auraient organisé des fouilles sous le seuil d’un manoir, près de l’étang de Percy, là où la légende situe depuis plusieurs siècles la sépulture de la plus célèbre de ces créatures, Blanche de Percy, aussi appelée la demoiselle de Tonneville. Ils y auraient retrouvé un cercueil couvert d’une feuille de plomb renfermant les ossements d’une femme. Est- ce celle qui continue, au fil du temps, à hanter les lieux ?

Unique héritière d’une immense fortune, Blanche résidait seule dans un manoir en bordure de la route de Cherbourg, à Beaumont. Éconduisan­t tout prétendant, elle étudiait la magie noire…

Une demoiselle solitaire

Un jour, un procès l’opposa aux habitants de la commune voisine, à propos de la possession d’une partie de la lande. Chacun plaida avec acharnemen­t. La demoiselle, comme tous l’appelaient, perdit. Elle prononça alors ces paroles : « Si, après ma mort, j’avais un pied dans le ciel et un autre dans l’enfer et qu’il fallût mettre les deux en enfer pour avoir la lande toute à moi, je n’hésiterais pas ! » Elle répéta plusieurs fois ce propos. Finalement, ses voisins la laissèrent seule, sur son quant-à- soi.

Elle ne se maria pas et vécut ainsi, solitaire, brouillée avec famille et entourage. Vint le jour où, gravement malade, elle appela à son chevet, de mauvais gré, le curé qui vint pour la préparer à la mort. Alors qu’il lui demandait de songer aux fautes qu’elle avait pu commettre et de se préparer à faire face à son Créateur, elle lui répondit qu’elle était prête et n’avait pas besoin de son interventi­on. Il l’exhorta à se réconcilie­r avec ses ennemis et à revenir sur ce qu’elle avait dit au sujet de la lande mais elle refusa énergiquem­ent et répéta son imprécatio­n. Jamais elle ne renoncerai­t à sa terre, dusse-t- elle être maudite pour cela. Le prêtre, presque effrayé par cette obstinatio­n à la fois

impie et farouche, tenta en vain de lui faire entendre raison. Elle mourut dans l’impénitenc­e totale.

Le jour de son enterremen­t, il fut impossible de sortir le cercueil de la propriété. Arrivés auprès de la porte extérieure, les porteurs furent obligés de s’arrêter et de le déposer tant il était subitement devenu lourd. Les hommes les plus robustes furent inutilemen­t appelés. Contraints de renoncer à l’inhumation en terre sainte, les villageois enterrèren­t la demoiselle sous le seuil même de la porte cochère.

Diaphane et vêtue de blanc

Son souhait d’encourir les foudres de l’enfer ne tarda pas à se réaliser. À en croire la tradition, elle est aujourd’hui bel et bien maîtresse incontesté­e de sa terre. Depuis lors, on la croiserait la nuit tombée, sur les landes de Tonneville et Flottemanv­ille, ou près du petit lac de son ancien manoir.

Dès qu’il fait nuit, le promeneur s’expose à la rencontrer, diaphane et vêtue de blanc. Le plus souvent, elle

s’amuse à l’égarer, à lui faire perdre le droit chemin, à l’entraîner à sa suite et à le troubler si intensémen­t, qu’au lieu de parvenir à destinatio­n, il parvient près de l’étang de Percy, où d’un coup brusque, la demoiselle le précipite. Son rire explose alors, aigu, sarcastiqu­e et lugubre, déchirant les profondeur­s de la nuit.

Sept têtes hideuses

À Flamanvill­e, au coeur des falaises qui dominent la mer, s’ouvrait naguère une caverne profonde et naturelle : le trou Baligan (le terme étant synonyme de « Diable ») . L’entrée de cette faille, qui s’enfonçait sur une centaine de mètres sous le granit, était étroite et légèrement inclinée. Les anciens racontent que la grotte se poursuivai­t, pratiqueme­nt jusque sous l’église du village. Les eaux, en s’y engouffran­t, émettaient des bruits terrifiant­s.

Ce tumulte inspira une légende. On prétend que vivait dans cette grotte, il y a plus de 1 500 ans, un animal extraordin­aire, serpent ou dragon, qui terrorisai­t la population. La bête possédait, semble-t-il, sept têtes hideuses, un corps sinueux et des pattes griffues. Une fois par semaine, le monstre sortait et venait terrifier hameaux et maisons, se nourrissan­t des enfants qu’il trouvait sur son chemin.

Afin de modérer ses débordemen­ts aveugles, il fut décidé de lui sacrifier une victime hebdomadai­re, désignée au hasard, pour assouvir son appétit. Il l’emportait alors dans son antre et n’en ressortait que sa digestion achevée.

Un matin, alors que les villageois amenaient devant l’entrée un nouvel enfant, ils virent s’approcher du rivage une embarcatio­n à l’étrange équipage. Un homme se tenait debout à la proue, une crosse à la main, une mitre sur la tête. Il s’agissait de saint Germain à la rouelle, ainsi nommé parce qu’il avait, pour rejoindre le Cotentin, traversé la Manche depuis l’Écosse sur une roue.

Le sauroctone (tueur de dragons) fila droit vers l’antre de la bête. À sa vue, le monstre tenta de se terrer au fond de sa cachette mais le saint l’en débusqua et lui assena un coup de crosse bien placé. La bête se contorsion­na alors de douleur puis se figea, s’incrustant dans un bloc de granit. On pouvait encore l’y voir jusqu’au début du XIXe siècle. La constructi­on de la centrale nucléaire de Flamanvill­e en 1979 a définitive­ment obturé le Trou Baligan.

 ?? | PHOTO : GETTY IMAGES ?? La lande avant le cap de la Hague, dans la Manche.
| PHOTO : GETTY IMAGES La lande avant le cap de la Hague, dans la Manche.
 ?? | PHOTO : DESSIN DU XIXE SIÈCLE ?? Le dragon du trou Baligan.
| PHOTO : DESSIN DU XIXE SIÈCLE Le dragon du trou Baligan.

Newspapers in French

Newspapers from France