Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Le cap de la Hague, la demoiselle et le monstre
Légendes et fantômes de l’Ouest. La péninsule et ses brumes normandes sont depuis toujours terres de légendes. On y croise d’étranges créatures damnées et des monstres venus du fond des temps…
Dans le département de la Manche, on conte la présence de dames blanches, milloraines (fées) ou encore « demoiselles », attisant toutes les curiosités. Dans les années 1950, des chercheurs auraient organisé des fouilles sous le seuil d’un manoir, près de l’étang de Percy, là où la légende situe depuis plusieurs siècles la sépulture de la plus célèbre de ces créatures, Blanche de Percy, aussi appelée la demoiselle de Tonneville. Ils y auraient retrouvé un cercueil couvert d’une feuille de plomb renfermant les ossements d’une femme. Est- ce celle qui continue, au fil du temps, à hanter les lieux ?
Unique héritière d’une immense fortune, Blanche résidait seule dans un manoir en bordure de la route de Cherbourg, à Beaumont. Éconduisant tout prétendant, elle étudiait la magie noire…
Une demoiselle solitaire
Un jour, un procès l’opposa aux habitants de la commune voisine, à propos de la possession d’une partie de la lande. Chacun plaida avec acharnement. La demoiselle, comme tous l’appelaient, perdit. Elle prononça alors ces paroles : « Si, après ma mort, j’avais un pied dans le ciel et un autre dans l’enfer et qu’il fallût mettre les deux en enfer pour avoir la lande toute à moi, je n’hésiterais pas ! » Elle répéta plusieurs fois ce propos. Finalement, ses voisins la laissèrent seule, sur son quant-à- soi.
Elle ne se maria pas et vécut ainsi, solitaire, brouillée avec famille et entourage. Vint le jour où, gravement malade, elle appela à son chevet, de mauvais gré, le curé qui vint pour la préparer à la mort. Alors qu’il lui demandait de songer aux fautes qu’elle avait pu commettre et de se préparer à faire face à son Créateur, elle lui répondit qu’elle était prête et n’avait pas besoin de son intervention. Il l’exhorta à se réconcilier avec ses ennemis et à revenir sur ce qu’elle avait dit au sujet de la lande mais elle refusa énergiquement et répéta son imprécation. Jamais elle ne renoncerait à sa terre, dusse-t- elle être maudite pour cela. Le prêtre, presque effrayé par cette obstination à la fois
impie et farouche, tenta en vain de lui faire entendre raison. Elle mourut dans l’impénitence totale.
Le jour de son enterrement, il fut impossible de sortir le cercueil de la propriété. Arrivés auprès de la porte extérieure, les porteurs furent obligés de s’arrêter et de le déposer tant il était subitement devenu lourd. Les hommes les plus robustes furent inutilement appelés. Contraints de renoncer à l’inhumation en terre sainte, les villageois enterrèrent la demoiselle sous le seuil même de la porte cochère.
Diaphane et vêtue de blanc
Son souhait d’encourir les foudres de l’enfer ne tarda pas à se réaliser. À en croire la tradition, elle est aujourd’hui bel et bien maîtresse incontestée de sa terre. Depuis lors, on la croiserait la nuit tombée, sur les landes de Tonneville et Flottemanville, ou près du petit lac de son ancien manoir.
Dès qu’il fait nuit, le promeneur s’expose à la rencontrer, diaphane et vêtue de blanc. Le plus souvent, elle
s’amuse à l’égarer, à lui faire perdre le droit chemin, à l’entraîner à sa suite et à le troubler si intensément, qu’au lieu de parvenir à destination, il parvient près de l’étang de Percy, où d’un coup brusque, la demoiselle le précipite. Son rire explose alors, aigu, sarcastique et lugubre, déchirant les profondeurs de la nuit.
Sept têtes hideuses
À Flamanville, au coeur des falaises qui dominent la mer, s’ouvrait naguère une caverne profonde et naturelle : le trou Baligan (le terme étant synonyme de « Diable ») . L’entrée de cette faille, qui s’enfonçait sur une centaine de mètres sous le granit, était étroite et légèrement inclinée. Les anciens racontent que la grotte se poursuivait, pratiquement jusque sous l’église du village. Les eaux, en s’y engouffrant, émettaient des bruits terrifiants.
Ce tumulte inspira une légende. On prétend que vivait dans cette grotte, il y a plus de 1 500 ans, un animal extraordinaire, serpent ou dragon, qui terrorisait la population. La bête possédait, semble-t-il, sept têtes hideuses, un corps sinueux et des pattes griffues. Une fois par semaine, le monstre sortait et venait terrifier hameaux et maisons, se nourrissant des enfants qu’il trouvait sur son chemin.
Afin de modérer ses débordements aveugles, il fut décidé de lui sacrifier une victime hebdomadaire, désignée au hasard, pour assouvir son appétit. Il l’emportait alors dans son antre et n’en ressortait que sa digestion achevée.
Un matin, alors que les villageois amenaient devant l’entrée un nouvel enfant, ils virent s’approcher du rivage une embarcation à l’étrange équipage. Un homme se tenait debout à la proue, une crosse à la main, une mitre sur la tête. Il s’agissait de saint Germain à la rouelle, ainsi nommé parce qu’il avait, pour rejoindre le Cotentin, traversé la Manche depuis l’Écosse sur une roue.
Le sauroctone (tueur de dragons) fila droit vers l’antre de la bête. À sa vue, le monstre tenta de se terrer au fond de sa cachette mais le saint l’en débusqua et lui assena un coup de crosse bien placé. La bête se contorsionna alors de douleur puis se figea, s’incrustant dans un bloc de granit. On pouvait encore l’y voir jusqu’au début du XIXe siècle. La construction de la centrale nucléaire de Flamanville en 1979 a définitivement obturé le Trou Baligan.