Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Maintenant, on ne passe plus pour des fous... »

Il y a un mois, les Bleus décrochaie­nt une 4e place historique aux Mondiaux, se révélant aux yeux du grand public. Thomas Vernoux, pépite de la discipline, rêve de plus grand à Paris.

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Jusqu’aux Jeux olympiques de Paris, Ouest- France vous présentera régulièrem­ent des sportifs français dont vous pourriez entendre parler, cet été. Deuxième épisode avec Thomas Vernoux, 21 ans, membre de l’équipe de France de water-polo. Les Bleus ont terminé à une quatrième place historique lors des Mondiaux de Doha en février – le meilleur résultat de leur histoire. Bien que frustrés par cette médaille en chocolat, ils ont gagné en confiance et en légitimité. Ils espèrent imiter la dernière équipe de France championne olympique de water-polo. C’était en 1924, à Paris.

Un mois après Doha, avez-vous digéré ce championna­t historique ? On est très contents de ce qu’on a fait, mais il a fallu rebasculer : la Ligue des champions et le championna­t ont repris très vite. Il faut se servir de toute cette énergie pour la réinjecter dans le groupe à Marseille. Il faudra réussir à le refaire pour encore progresser, plutôt que seulement se satisfaire de l’avoir fait. Ce n’est pas acquis, loin de là. On est arrivés dans les quatre premiers, mais des grosses nations ne figuraient pas dans ce Top 4. Aux JO, ce ne sera pas facile de revenir à ce niveau.

Vous avez été élu meilleur joueur du tournoi et été décisif lors du quart de finale face à la Hongrie (11-10). Vous marquez le but de la victoire. Que se passe-t-il à ce moment dans votre tête ?

Le match était à 20 h 30, la journée a été très longue. C’étaient les favoris, les champions du monde en titre, personne ne les voyait perdre et encore moins contre nous en quarts ! Dans l’équipe, on a tous un très bon niveau, mais personne n’a de réputation mondiale. On n’a pas la meilleure équipe du monde sur le papier, mais quand on joue ensemble, on peut le devenir. On savait que, peu importe ce qu’il y avait en face, on pouvait les battre. On prend seulement trois buts en seconde période, c’est fort. Après, on peut évidemment parler de ma performanc­e, mais c’est grâce à toute l’équipe, la défense, notre énergie collective qu’on gagne. On me parle beaucoup de ce but. C’est juste un tir à 6 mètres que j’ai réussi à mettre, même s’il est impression­nant.

Vous étiez alors qualifiés pour la première demi-finale mondiale de l’histoire du water-polo français. L’émotion devait être très forte. C’était vraiment exceptionn­el, d’autant plus du fait des caractéris­tiques de cette équipe. Je ne dirais pas qu’on est un groupe rafistolé, mais les

mecs viennent des quatre coins de France et ne sont pas forcément issus du water-polo. Ils viennent de clubs qui évoluent en troisième ou quatrième division. On a un Danois pour qui le water-polo ce n’était rien auparavant, notre gardien n’avait jamais pensé faire ça un jour… Et on a réussi à battre la meilleure équipe du monde ! Ce n’est pas tant de gagner le match qui m’a créé toutes ces émotions, mais de voir ces mecs qui crient, qui pleurent, qui m’a vraiment ému. On va se souvenir de nous pour ce moment.

Vous échouez au pied du podium contre l’Espagne (14-10). Quel sentiment prédomine : la fierté d’avoir eu ce parcours ou la déception de la quatrième place ?

On ne pouvait pas être plus proches de la finale que ce qu’on a fait : on perd aux tirs au but face à la Croatie en demies (11-11, 5- 6 tab), après être remonté de cinq buts. Faire une médaille, ça aurait été incroyable. Après ça, c’était vraiment dur de penser à autre chose, même s’il restait un match. On était déçus, on était à rien d’une finale, alors qu’on s’était donné corps et âme pour ça. Mais on est heureux, car encore aujourd’hui, on en récolte les fruits. On a prouvé qu’on ne lançait pas des paroles en l’air, qu’on pouvait faire un podium aux Jeux. On ne passe plus pour des fous, mais pour des mecs qui peuvent faire une médaille. C’est plus la fierté qui nous anime aujourd’hui que la déception.

Vous avez aussi, personnell­ement, basculé dans une autre dimension. Les comparaiso­ns avec Kylian Mbappé et Victor Wembanyama se sont multipliée­s. Comment le vivezvous ?

Vis-à-vis de l’équipe, je me sens mal d’être le seul dans la lumière. Tu fais un sport d’équipe et il n’y a que ton nom qui sort, c’est dur pour les autres mecs. C’est un sentiment ambivalent, car je fais tout pour être le numéro un et je suis très content qu’on me compare à ces sportifs. Et en même temps, ça fait mal pour toute l’équipe qui se donne énormément et qui fait des choses qu’on ne voit pas forcément. Moi, on me voit car je marque des buts et je fais des choses que tout le monde ne sait pas faire. Mais sans cette équipe, je ne suis rien.

Comment expliquez-vous la progressio­n de l’équipe (6e aux Mondiaux de Fukuoka en juillet 2023) ? Ce sont toutes les personnes mêlées à ce projet. On est une famille, l’ambiance qu’il y a dans ce groupe est unique et exceptionn­elle ! Florian (Bruzzo, l’entraîneur) a créé un staff exceptionn­el. On a l’impression d’être une équipe de foot ! Sur chaque compétitio­n, on a un kiné et un docteur. On a aujourd’hui un entraîneur spécifique pour la natation. On a une psy vraiment très douée, un coach adjoint de très haut niveau (Vjekoslav Kobescak). Ce staff est énorme, il n’y a rien à dire ! On s’est profession­nalisés et structurés. Avec tout ça, on est obligés de performer.

À quel point les Mondiaux de Doha ont-ils boosté la visibilité de votre sport ?

Jamais on n’aurait imaginé ça ! On ne pensait pas que le water-polo nous emmènerait sur le plateau de Quotidien ! Pendant la compétitio­n, un pote m’avait dit que je parlais trop vite en interview, qu’on ne comprenait rien (rires). Je lui avais dit que je ferais attention quand je passerais à la télé, sur Quotidien ! Là, je m’appliquera­is. Et c’est arrivé, c’est un truc de ouf. J’étais surpris, car on fait du waterpolo, ce n’est pas un sport très connu. En même temps, avec nos bons résultats, l’année des Jeux, c’est logique.

La médiatisat­ion de votre sport estelle trop lente ?

Non, elle est plutôt logique. On ne parlait pas de nous auparavant car on ne performait pas. Qu’allaient dire les médias ? « Super, ils vont jouer pour la dixième place ? » Ça n’intéresse personne. Si on avait performé ainsi auparavant, tout le monde connaîtrai­t le water-polo aujourd’hui ! L’engouement est monté très vite, dans les médias ou chez les supporters qui nous envoient plein de messages. À nous de faire ça pendant longtemps pour vraiment créer quelque chose.

« Je me sens mal d’être le seul dans la lumière »

« On a l’impression d’être une équipe de foot ! »

Désormais, seul l’or est possible à Paris ?

Évidemment ! Que peut- on viser d’autre aujourd’hui ? On ne ferait pas tout ça si on ne pensait pas en être capables.

En bref

Recueilli par Chloé RIPERT.

Né le 21 mars 2002 à Marseille (21 ans). 1,96 m, 106 kg.

2019 : champion d’Europe avec le Cercle des nageurs de Marseille (CNM).

2021, 2022, 2023 : champion de France.

2024 : meilleur joueur des Mondiaux à Doha, meilleur marqueur (26 buts).

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| PHOTO : SÉBASTIEN BOZON / AFP Thomas Vernoux a été élu meilleur joueur des Mondiaux à Doha, en février.

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