Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Poutine tente de raccrocher l’Ukraine à ce qui s’est passé »

- Propos recueillis par Arnaud LE GALL.

Aude Merlin, spécialist­e de la Russie et de la Tchétchéni­e, chargée de cours en science politique à l’Université libre de Bruxelles, en Belgique.

Le pouvoir russe peut-il encore monter d’un cran en matière de surveillan­ce et de sécurité ?

Il y a toujours de la marge, la possibilit­é de monter en gradation. Ce sont aussi des questions de choix : dans quels domaines les services sont-ils mobilisés en matière d’extrême vigilance ? Il y aura peut- être un déplacemen­t des enjeux. Ces deux dernières années, les forces sont mobilisées sur le contrôle de toute forme de dissidence, traquant tout ce qui pourrait s’apparenter au « discrédit des forces armées russes » et à la diffusion de « fake news sur l’opération spéciale en Ukraine », qui tombent sous le coup de la loi depuis le 4 mars 2022. Là, il peut y avoir des consignes données pour développer une hypervigil­ance sur la question de potentiels actes terroriste­s venant de mouvances islamistes. Les ressources ne sont pas illimitées, mais les priorités peuvent être modulées. Une autre hypothèse est que le récit qu’a choisi de privilégie­r le président russe (donc en centrant sur l’Ukraine) vise essentiell­ement à prolonger la justificat­ion des agissement­s russes en

Ukraine et à généralise­r d’éventuels contrôles d’Ukrainiens résidant en Russie.

Comment les population­s musulmanes de la fédération de Russie sont-elles considérée­s ?

Nous sommes en 2024, nous ne sommes plus dans la période du silla

ge immédiat de la deuxième guerre de Tchétchéni­e (1999-2000), où il y a eu toute une politique d’ultravigil­ance et une forme d’ethnicisat­ion de la suspicion. Tout cela s’est accompagné, dans certains médias et dans l’opinion publique, d’une méfiance, avec un vocabulair­e dépréciati­f qui témoignait d’une forme de xénophobie.

Aujourd’hui, nous sommes dans une autre période. Le Kremlin a construit des images successive­s de l’ennemi. La figure du Caucasien, et notamment Nord- Caucasien, faisait l’objet d’une stigmatisa­tion. Après, en 2006, il y a eu la stigmatisa­tion des Géorgiens, après la révolution des roses, suivie d’une campagne de dénigremen­t et d’expulsion de Géorgiens. Et maintenant, on voit bien que l’Ukrainien s’est trouvé affublé du stigmate le plus efficace : celui du nazi. La figure du bouc émissaire peut déménager d’un groupe à un autre, selon le discours officiel et les événements.

Cette attaque est-elle une conséquenc­e du rôle joué par la Russie en Syrie ?

C’est trop tôt pour tirer des conclusion­s, mais si l’on prend pour plausible la revendicat­ion par l’État islamique, on ne peut que souligner le fait qu’il a son propre agenda, et qu’il ne se porte pas uniquement sur l’Occident. À ce titre, la Russie peut être une cible, le texte de la revendicat­ion de vendredi mentionnan­t explicitem­ent les chrétiens tués et certaines sources mentionnan­t en effet les agissement­s passés de la Russie contre des musulmans en Tchétchéni­e et en Syrie notamment.

 ?? | PHOTO : MAXIM SHIPENKOV, EPA/MAXPPP ?? Des Moscovites en larmes, près du Crocus City Hall, après l’attentat qui a fait au moins 133 morts vendredi soir.
| PHOTO : MAXIM SHIPENKOV, EPA/MAXPPP Des Moscovites en larmes, près du Crocus City Hall, après l’attentat qui a fait au moins 133 morts vendredi soir.

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