Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Jérôme Banctel décroche sa troisième étoile
Le chef du Gabriel à l’hôtel La Réserve Paris a rejoint, lundi, le club très fermé des établissements trois étoiles au guide Michelin. Le Rennais se raconte.
Rencontre
C’est la fin d’après- midi au 42, avenue Gabriel à Paris, à deux pas du palais de l’Élysée. La porte rouge de la Réserve détonne sur les murs haussmanniens. C’est le plus petit palace parisien, quarante clés seulement. Calme, voitures de sport, à quelques mètres de la plus belle avenue parisienne.
Mais passé la réception, l’ambiance est bouillonnante. Les quinze cuisiniers du chef Jérôme Banctel s’activent. Le chef du Gabriel, le restaurant de l’hôtel, vient de remporter sa troisième étoile au guide Michelin lundi 18 mars. Cela faisait neuf ans qu’il bataillait pour cette récompense.
Il nous reçoit dans la bibliothèque de l’hôtel, un espace intimiste, bercé par une musique de fond. Installé sur la banquette, il se souvient : « OuestFrance, c’est le premier journal que j’ai lu. Il traînait toujours chez mes parents et mes grands-parents. »
« Les premières années forgent notre cuisine »
Jérôme Banctel a grandi jusqu’à ses 17 ans à quelques kilomètres de Rennes, à Piré- sur- Seiche. À 14 ans, inspiré par la cuisine généreuse de sa grand- mère, il intègre le lycée hôtelier Notre- Dame de Saint- Méenle- Grand (Ille- et-Vilaine), un établissement « bien tenu », estime le chef. « Il y avait un enthousiasme à ce moment-là pour la cuisine, ce qui se perd en ce moment. J’ai beaucoup aimé mes quatre années de formation, j’y ai trouvé une passion. »
À sa sortie d’école, Jérôme Banctel intègre le restaurant étoilé La Taupinière à Pont- Aven, dans le Finistère, puis Le duc d’Enghien, dans le Val- d’Oise, aux côtés du chef breton étoilé Michel Kéréver. « Je pense que les premières expériences professionnelles sont celles qui vont vous déterminer dans vos choix futurs. J’ai eu la chance de faire de la gastronomie dès ma sortie
avec un chef très exigeant. »
Après une courte expérience aux Pays- Bas au restaurant Vreugt, Jérôme Banctel arrive en 1993 à Paris. Il a 23 ans. « Je devais y rester un an, trente ans plus tard je suis encore là. »
Le jeune chef écume les plus belles adresses parisiennes. Le Jules Verne aux côtés du chef Alain Reix, le Crillon avec Christian Constant puis Dominique Bouchet, L’Ambroisie sous l’autorité de Bernard Pacaud. « L’Ambroisie, c’était un objectif. C’est une institution, tout le monde veut aller manger là- bas ! J’y ai appris la rigueur d’un trois- étoiles. » Il y passe dix ans, une expérience « magnifique ».
Puis naît le désir de découvrir autre chose : « J’ai eu l’opportunité de travailler avec le chef Alain Senderens. J’ai appris beaucoup sur les
accords mets et vins, sur la cuisine de voyage. C’était un avant- gardiste. Il était important pour moi d’avoir ce cheminement du classique au risque. »
En 2015, Jérôme Banctel démarre une nouvelle aventure. Michel Reybier, qu’il connaît pour avoir travaillé avec lui à l’ouverture des hôtelsrestaurants Mama Shelter, souhaite ouvrir un hôtel à Paris et lui confie la cuisine : le Gabriel est né. « On est parti de zéro. J’ai vu l’hôtel se construire, le mobilier arriver. »
2016, deux étoiles d’un coup
Cet hôtel, c’est la Réserve. Plusieurs établissements existent déjà en Europe, notamment en Suisse, mais l’adresse est inconnue des Parisiens. « Aujourd’hui, le VIIIe arrondissement [concentre le plus grand nombre] d’étoilés au monde. Vous ouvrez un établissement que personne ne connaît à quelques mètres du Bristol, du restaurant du chef Yannick Alléno, à quelques rues du Clarence, du Georges V, il faut être à la hauteur. »
Jérôme Banctel avoue avoir sacrifié quelques heures de sommeil et s’être acharné à la tâche pendant deux ans. Son bras droit Linh Nguyen l’a accompagné dans ses efforts.
Moins d’un an après l’ouverture, en février 2016, Jérôme Banctel et « son » Gabriel raflent du premier coup les deux étoiles au guide Michelin. « C’est un soulagement, cela permet d’asseoir notre nom. Bien sûr, quand vous en avez deux, vous bossez pour trois. Donc en 2018-2019, on a mis un gros coup pour aller chercher la troisième. Mais il y a eu le Covid. »
Le Gabriel se lance dans la restauration à emporter et continue de servir en chambre. « On a distribué plus de 16 000 assiettes, précise le chef. Finalement, ça a été aussi l’occasion pour nous de restructurer et de cibler mon style, de trouver une histoire. »
Deux menus voient le jour. Le premier, Virée, raconte en sept étapes les premières années de vie du chef en Bretagne, le souvenir des grandsparents, des parents, des goûts, des produits. Le deuxième, Périple, retrace son arrivée à Paris et ses voyages personnels au Japon et à travers le monde.
Jérôme Banctel impose un style complètement différent. Pourtant, il faut encore quatre ans pour aller chercher la 3e étoile. « Quand vous êtes dans la salle et que ce n’est pas votre nom qui sort, ça fait mal. Pendant quelques jours on se demande : Qu’est- ce que je n’ai pas fait ? Qu’est- ce qu’il m’a manqué ? Et puis on revient en cuisine. On accompagne, on réconforte, puis on relance la machine avec abnégation. La régularité, l’exigence et la proximité de notre service nous ont guidés. »
Reconnaissance de ses pairs
« Mon parcours a été laborieux. Je suis passé par des grandes maisons, je me suis fait repérer, j’ai évolué en interne, j’ai changé de maison. C’est comme ça que je vois le parcours de chef. » Lundi 18 mars, ses pairs l’ont ovationné au Palais des congrès à Tours. « J’ai ressenti leur reconnaissance, j’ai senti qu’on saluait mon parcours. » Le résultat d’une quête, de trente ans de carrière. « Ça a été une décharge totale, le poids de toutes ces années où j’ai couru derrière cette étoile. »