Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Gendarmeri­e : « Harceler les trafiquant­s, Ça produit des résultats durables »

Le directeur général de la gendarmeri­e nationale, Christian Rodriguez, juge « hyper utiles » les opérations antidrogue, baptisées « place nette », comme celle d’ampleur lancée à Marseille ces derniers jours.

- Propos recueillis par Philippe MIRKOVIC.

La majorité des crimes et délits a encore progressé en 2023, la violence augmente partout ?

Je ne suis pas certain d’une augmentati­on linéaire de la violence ces dernières années. Mais j’observe que les gendarmes sont engagés sur des faits de plus en plus difficiles à gérer. Depuis le Covid, on recense un refus d’obtempérer sur les routes toutes les trente minutes et des tirs contre nos personnels toutes les deux nuits… Nous avons bien sûr pris tout cela en compte pour renforcer la formation ou les équipement­s.

Il y a, selon vous, des effets collatérau­x de la crise sanitaire ? On l’a vu avec la hausse des violences intrafamil­iales à cette période et des hommes violents armés ciblant des gendarmes venus porter secours aux victimes. Un survivalis­te a abattu trois de nos camarades à Saint- Just (Puy- de-Dôme) en décembre 2020. Ce phénomène, exacerbé par les réseaux sociaux, on ne le connaissai­t pas avant. Des gens sans doute déjà fragiles psychologi­quement l’ont été d’autant plus pendant la pandémie, certains ayant même arrêté de se soigner. Cela explique aussi en partie, me semble-t-il, l’augmentati­on de la violence.

Et le rôle du narcotrafi­c, qui s’est développé sur tout le territoire ?

Il y a de la drogue partout. Pour les délinquant­s, c’est un moyen de s’enrichir et d’aller vers d’autres trafics. Il est certain que cela génère de la violence entre dealers, entre gangs, parfois aussi avec des gens vivant sous la terreur de ces groupes dans les quartiers. Le narcotrafi­c est le coeur de la criminalit­é organisée. On est très engagés sur ces sujets, c’est une priorité du ministre de l’Intérieur.

Les opérations antidrogue, baptisées « place nette », se multiplien­t comme celle d’ampleur lancée cette semaine à Marseille.

Elles visent à démanteler et empêcher les trafics de se réimplante­r par une action conjointe des forces durant plusieurs jours : sécurisati­on des lieux, contrôles et recherches de stupéfiant­s, enquêtes judiciaire­s avec des spécialist­es, sous l’autorité des magistrats et des préfets. En même temps, les autorités administra­tives pointent le travail illégal, les commerces pouvant servir au blanchimen­t d’argent…

Quel bilan faites-vous de ces opérations ?

Depuis leur lancement en zone gendarmeri­e, fin septembre, près de 1 157 personnes ont été interpellé­es, 143 placées en détention provisoire et 118 sous contrôle judiciaire. 413 armes ont aussi été saisies, ainsi que 89 véhicules. De même que 1,12 tonne de cannabis, 6,6 kg d’héroïne et 3,83 kg de cocaïne. Il faut ajouter à ce bilan d’autres bénéfices : des éléments captés pouvant alimenter des enquêtes plus longues ou venir grossir les dossiers de délinquant­s.

Leur efficacité à long terme est pourtant critiquée.

Moi je pense que c’est hyper utile. Concentrer les efforts permet de porter un coup d’arrêt aux trafics en place, sinon de couper rapidement les racines là où ils cherchent à s’implanter. Ce n’est évidemment pas parce qu’une équipe est neutralisé­e qu’une autre ne va pas prendre sa place. Mais dans ce cas, on revient les semaines ou les mois qui suivent. Ce type d’opération, ce n’est jamais du « one shot ». Le fait de harceler, ça produit des résultats durables.

Que faut-il améliorer dans cette lutte contre le narcotrafi­c ?

On devrait faire beaucoup plus sur la saisie des avoirs criminels. En zone gendarmeri­e, ces saisies ont représenté 443 millions d’euros en 2023, mais seulement 40 millions dans des affaires de stupéfiant­s. J’ai bon espoir que l’on progresse, avec la simplifica­tion envisagée de la réglementa­tion. Il faut aussi densifier la formation de nos enquêteurs, notamment sur les sujets de blanchimen­t, en ayant des spécialist­es des cryptomonn­aies.

Le « statut de repenti » pourrait être amélioré ?

C’est un statut intéressan­t, que l’on utilise déjà dans le cadre des dispositio­ns prévues. Nous regardons par ailleurs ce que les autres pays font en la matière. Ce sujet est particuliè­rement suivi par le ministère de la Justice.

Manque-t-il, selon vous, un volet « consommate­urs » ?

Les amendes forfaitair­es délictuell­es de 200 € pour consommati­on de drogue, voulues par le ministre de l’Intérieur, existent depuis 2020. Elles sont critiquées, mais ce n’est pas rien. Faut- il élever les montants ? Je ne

sais pas. Si ça devient démesuré, les gens ne paieront pas. Il n’y aura alors plus la vertu pédagogiqu­e de l’infraction. On doit continuer à responsabi­liser les consommate­urs.

Une autre priorité de la gendarmeri­e reste par ailleurs la lutte contre les violences sexuelles, qui continuent d’augmenter (+ 8 % en moyenne l’an passé) ?

Ça reste un point d’attention très fort. Cette hausse est peut- être liée à une augmentati­on du phénomène lui-même, mais elle s’explique aussi par une écoute attentive et empathique à l’égard des femmes victimes. Je pense également à un meilleur accueil et un meilleur suivi des gens qui viennent déposer plainte.

Dans le bilan de la délinquanc­e 2023, les cambriolag­es continuent de progresser : + 3 %. Comment pouvez-vous y faire face ?

La zone gendarmeri­e, c’est 95 % du territoire et un peu plus de la moitié de la population. Comme on ne peut pas être partout en même temps, et que l’on privilégie les atteintes aux personnes, on cible donc les lieux où les gens se retrouvent : le littoral quand il fait beau par exemple. Nous

avons toutefois développé des algorithme­s pour optimiser notre présence sur le terrain, là où des cambriolag­es sont susceptibl­es de se produire. Les gendarmes disposent aussi de matériels numériques et ne sont plus bloqués à la brigade pour prendre une plainte par exemple, mais peuvent le faire chez nos concitoyen­s, durant des patrouille­s.

La présence sur la voie publique est-elle la meilleure réponse ?

Cela permet de prévenir les actes de délinquanc­e et de rassurer la population. Cela veut dire aussi avoir des contacts avec les élus, les habitants des communes, qui savent beaucoup de choses. En ce sens, les 239 nouvelles brigades fixes ou mobiles annoncées en octobre dernier par le président de la République permettent de remailler le territoire. On en avait perdu 500 en vingt ans. Cette fois, on remet entre quinze et quarante gendarmes supplément­aires dans chaque départemen­t. Du jamais vu ! L’objectif, c’est d’assurer un contact jusqu’au « dernier kilomètre » au plus près de la population.

Où en est-on du déploiemen­t ?

Dix- sept brigades ont déjà ouvert leurs portes. Environ quatreving­ts seront opérationn­elles d’ici à la fin de l’année.

Et le recrutemen­t ?

La loi d’orientatio­n et de programmat­ion du ministère de l’Intérieur (Lopmi) prévoit la création de 3 500 postes jusqu’en 2027, dont plus de 2 000 pour les nouvelles brigades. Le budget est inscrit aussi pour augmenter de 35 000 à 50 000 les effectifs de la réserve.

Quels profils sont particuliè­rement recherchés ?

Des personnes avec une appétence pour le numérique. Nous avons durci notre recrutemen­t de scientifiq­ues parce qu’on est à l’ère de l’intelligen­ce artificiel­le générative. La transforma­tion numérique, c’est une obsession chez nous, donc on fait beaucoup de choses. Et bien sûr pour lutter contre la cyberdélin­quance qui continue de se développer (rançongici­els, vols de données personnell­es, escroqueri­es…), c’est plus facile ! Pour autant on a besoin de plein de bonnes volontés. Donc, tous les profils nous intéressen­t.

Gérald Darmanin a annoncé en 2022 l’objectif d’effectifs formés aux atteintes à l’environnem­ent dans chaque brigade. Où en est-on ?

Nous avons atteint l’objectif avec 4 000 gendarmes formés. Et nous allons continuer, car l’enjeu est important (dépôts de déchets sauvages, feux de forêt, pollutions…). Le respect de l’environnem­ent est une attente forte de la population, et aussi chez nous, en interne.

Cette année, il y a le défi des Jeux olympiques pour les gendarmes… Nous préparons la projection de 14 000 personnels pour les Jeux, en plus des traditionn­els renforts saisonnier­s en bord de mer et en montagne. On a donc limité les vacances pour pouvoir remplir toutes les missions. La première débutera en mai avec la sécurisati­on du relais de la flamme. C’est le premier challenge important.

Quelles sont les menaces ?

La menace terroriste d’abord, très suivie par les services de renseignem­ent. Un immense travail est réalisé. Bien sûr aussi la lutte contre les dro

principale­s

nes, pilotée par l’armée de l’Air. Tous les moyens de détection et neutralisa­tion sont mis en place, avec une veille constante sur les évolutions techniques. Je citerais enfin la lutte contre le risque cyber, à laquelle nous contribuon­s. Il y a des attaques en permanence, donc il s’agit d’être prêt à réagir pour protéger nos systèmes.

Ce sera votre dernière grande mission ?

Oui, j’ai été prolongé dans mes fonctions jusqu’au 29 septembre. J’en suis très content, ce que je fais me passionne. Je suis très fier aussi de l’engagement formidable des gendarmes, au risque de leur vie. Le 24 mars, il y a six ans, Arnaud Beltrame (mortelleme­nt blessé après s’être substitué à une otage lors de l’attaque terroriste du 23 mars 2018 à Trèbes (Aude), NDLR) a été jusqu’au bout dans sa conviction de gendarme et d’homme. On doit saluer sa mémoire et penser à ses proches.

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Christian Rodriguez : « On devrait faire beaucoup plus sur la saisie des avoirs criminels. »
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| PHOTO : STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE
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PHOTO STÉPHANE GEUFROI, OUEST-FRANCE

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