Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Révéler mon homosexualité ne fut pas simple »
La ministre chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, Sarah El Haïry, revient sur son parcours et évoque sa feuille de route. Elle se prononce sur la durée du futur congé de naissance.
Vous avez pris la tête du ministère de l’Enfance, de la Jeunesse et « des » Familles. C’est important ? Oui, les familles au pluriel car je regarde la société telle qu’elle est, avec ses familles plurielles. La mienne en fait partie.
Vous avez fait le choix de rendre publiques votre homosexualité et la naissance de Jeanne, il y a deux mois. Pour quelles raisons ?
Le droit a évolué, mais la société a encore besoin d’évoluer. Révéler son homosexualité n’est pas toujours simple. Les réactions peuvent être violentes, y compris au sein des familles. En tant que ministre et en raison de la vie qui est la mienne, j’ai peut- être un rôle à jouer pour faire évoluer ces mentalités. Avec ma compagne, nous formons une famille recomposée. Nous sommes une famille comme une autre, avec des difficultés, des peines et beaucoup de joies. La procréation médicalement assistée, non plus, n’est pas une démarche simple. Pour nous, ça n’a pas fonctionné du premier coup. Cela concerne plein de couples et de femmes seules. Et cela a un impact sur la vie intime, la vie sociale. Comment on gère tous les rendez-vous médicaux ? Est- ce qu’on en parle, à son employeur notamment ? C’est bien de lever ces tabous.
Comment a réagi votre famille ?
Ce ne fut pas toujours évident pour mes parents. Lorsque je leur ai annoncé mon homosexualité, ils ont eu peur que je sois victime d’homophobie, en plus du racisme. Il a fallu une dizaine d’années pour que cela devienne un non-sujet. Puis, je l’ai dit à mon frère, mais beaucoup plus tard. Révéler publiquement mon homosexualité, en tant que ministre, est aussi une manière d’inciter des familles à en parler.
Cela vous a valu des attaques ? Oui, c’est très violent, encore maintenant. Mais certains vivent seuls ces attaques et c’est encore plus difficile pour eux.
Le congé de naissance sera-t-il bien d’une durée de six mois comme l’a annoncé l’Élysée ?
La durée n’est pas calée pour l’instant. Mais je vais, bien sûr, relancer la concertation dans le sens des orientations tracées par le président de la République. Pour ma part, je serais favorable à ce que les parents aient le choix, entre l’actuel congé parental (PreParE), d’une durée de trois ans, indemnisé 428 € par mois, qui perdurerait, et le congé de naissance que nous sommes en train de finaliser, d’une durée moindre, et mieux rémunéré.
Ce congé de naissance sera indemnisé à hauteur de 50 % des revenus… Autour de 50 %. Ce sujet fera partie
de la concertation que je vais relancer. Certaines entreprises complètent déjà les congés autour de la naissance pour offrir un maintien du salaire à taux plein ou quasi. Se pose aussi la question de la prise à temps partiel du congé de naissance. Ce sont des options sur la table. Sa mise en oeuvre est prévue en 2025.
Où en est le service public de la petite enfance ?
Ce sera une de mes priorités. Une place, pour chaque parent, à un prix raisonnable. Des moyens importants ont été dégagés, des leviers nouveaux ont été construits. Ce service public de la petite enfance doit se traduire concrètement en 2025.
Il manque beaucoup de places… D’ici à 2030, 40 % des assistantes maternelles vont partir à la retraite. Soit 300 000 places en moins. Pour cela, comme l’avait déjà annoncé Élisabeth Borne, nous disposons de six milliards d’euros supplémentaires. L’objectif, c’est la création, nette, de 200 000 places.
La commission Parentalité, lancée par Aurore Bergé, a connu un démarrage chaotique, avec la démission de trois personnes. Où en est-on ?
J’y tiens beaucoup. On a repris les échanges avec ses membres et j’espère que nous réussirons, dans les tout prochains jours, à poser une lettre de mission ajustée, dans une relation de confiance. Sur toutes les questions que l’on se pose quand on est parent, j’ai besoin de l’éclairage de sociologues, de médecins, et de parents euxmêmes bien sûr !
N’était-il pas maladroit de vouloir des sanctions judiciaires pour les parents dits « défaillants », en évoquant des « travaux d’intérêt général » ?
Je ne culpabiliserai personne. Il n’y a pas une bonne et une unique façon d’être un bon parent. Il y a des parents, placés dans des situations toutes différentes, et qui pour une très grande majorité d’entre eux, font du mieux qu’ils peuvent. Et parfois, ils ont besoin d’aide. C’est encore tabou de le dire. Mais il faut dédramatiser le soutien à la parentalité. Ce n’est pas être un mauvais parent que d’avoir besoin d’un coup de main. Il y a des professionnels pour ça.
Il y a aussi des parents parfois absents, souvent des papas, qui se désinvestissent de leurs responsabilités éducatives. Certains ne trouvent pas leur place, il faut les accompagner. D’autres désertent, il faut leur rappeler que les parents ont des droits et des devoirs. Et il y a parfois des parents qui sont dépassés, à qui il faut surtout tendre la main pour proposer des solutions. Mais, je ne veux pas de politique moralisatrice.
La commission Écrans est-elle vraiment utile ? De nombreuses études montrent déjà leurs impacts…
On a besoin d’avoir une vision globale. Savoir quels écrans on utilise, comment, quels contenus sont regardés, etc. Elle rendra ses conclusions fin mars. Il ne s’agit pas de bannir ni de diaboliser, mais d’accompagner la place des écrans dans la famille, à l’école et dans la société.
Beaucoup de parents ignorent comment fonctionne Snapchat ou Onlyfans. Derrière les plateformes où l’on peut « vendre » une photo de son petit doigt de pied, ou une vidéo sexy, il y a des engrenages de prostitution des mineurs. Si les parents ignorent l’existence de ces sites, ils ne mesurent pas le danger.
Concernant la prostitution des mineurs, n’est-il pas difficile de s’attaquer à un fléau dont on ignore l’ampleur, faute d’études sur le sujet…
On a un chiffre, autour de 10 000 jeunes concernés, mais il est sans doute sous- estimé. Il y a la traite humaine, des réseaux de passeurs contre lesquels on lutte déjà. Mais un autre phénomène de société se développe dans tous les milieux, les « lover boys ». Au départ, c’est un petit copain. Il est charmant. Quelques mois plus tard, la relation se transforme, avec des phénomènes d’emprise. Et la jeune fille est mise en situation de dépendance, elle est amenée à la prostitution et le petit copain devient un proxénète. On alerte. On lance des campagnes numériques.