Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« On se comprend, c’est tout ! » : leur

Anne, Régis et Daphné entretienn­ent chacun une amitié qui leur est chère. Ils mesurent combien cette relation sur le long terme les a façonnés et soutenus.

- « Il m’accepte comme je suis » Audrey GUILLER.

Quand elle avait 7 ans, en CE1, Anne rêvait que Jérôme lui fasse un bisou. Quarante ans plus tard, elle en rit de bon coeur avec lui. Jérôme, c’est son grand ami : « Je l’aime plus que mon propre frère. » Anne et Jérôme étaient dans la même classe spécialisé­e en musique, ils ont appris le violon ensemble. « On jouait, on gloussait, on faisait des bêtises. Mais il a déménagé. » Les amis échangent quelques lettres puis le temps passe.

Vers 18 ans, ils se recontacte­nt. « On est tous les deux de caractère assez nostalgiqu­e, raconte Anne. À cette période, j’étais un peu paumée. Je m’éloignais de ma famille. » Jérôme l’invite à randonner et lui présente son meilleur ami, dont elle tombe amoureuse. « Pendant deux ans, on a passé beaucoup de temps tous les trois. C’était un trio très sain, sans ambiguïté. »

« Comme si on s’était quittées la veille »

Anne et le meilleur ami de Jérôme se séparent. Jérôme, lui, déménage souvent. « Pendant plusieurs années, on s’est très peu vus, retrace Anne. Mais dans les moments importants, on s’est retrouvés. » Jérôme présente sa femme à Anne. « Avec sa chérie, il est parti faire un tour du monde et mon futur mari et moi, nous les avons rejoints à Buenos Aires : c’était génial de retrouver notre intimité amicale dans un décor de film ! »

Quand Jérôme accueille son premier enfant, Anne va le visiter, et vice versa. Jérôme divorce puis se remarie : Anne et son mari sont présents à la cérémonie. Leurs souvenirs en commun s’accumulent. L’été dernier, Anne et son fils ont passé quelques jours chez Jérôme dans une « une complicité toute douce, une compréhens­ion absolue ».

Daphné (1), 70 ans, est amie avec Suzanne (1) depuis plus de cinquante ans : « Je l’ai rencontrée à 18 ans, on faisait les mêmes études pour devenir institutri­ces. Sa joie de vivre m’a tout de suite plu. Elle aimait chanter, elle s’asseyait dans le couloir et faisait de la guitare. C’est elle qui m’a initiée à cet instrument. » Sitôt la fin de l’année, Suzanne repart en Savoie.

Daphné lui écrit, lui téléphone : « On s’est tenu au courant dès que l’une ou l’autre vivait un événement important. » Surtout, Daphné et son conjoint rendent visite à Suzanne et sa famille dès qu’ils descendent vers le Sud : « En passant plusieurs jours ensemble, on renoue le contact et, à chaque fois, c’est comme si on s’était quittées la veille. » Ces moments partagés entretienn­ent leur lien. Daphné qui se dit « très fidèle en amitié », compte neuf amitiés de plus de trente ans : « Je sais que c’est précieux. »

Régis a rencontré Hervé quand il avait 15 ans. Eux aussi, c’est la musique qui les a rapprochés. « Il était guitariste, on a joué dans le même groupe pendant quelques mois. Je n’aurais jamais cru qu’on serait amis quarante- cinq ans plus tard !» Régis, batteur, pensait avoir autour de lui des gens plus « compatible­s » : « Hervé est de droite et moi de gauche. »

Durant certaines périodes, les deux amis sont moins proches, mais ils ne se perdent jamais de vue. « Hervé a construit son studio d’enregistre­ment et je lui ai filé des coups de main. Il m’a laissé y répéter. Quand on a habité plus loin l’un de l’autre, on s’est régulièrem­ent retrouvés pour dîner, sortir, enregistre­r de la musique. » Dès que l’un a besoin de parler, ils passent des heures ensemble au téléphone.

Pourquoi ces amitiés durent- elles ? « Parce qu’on partage des choses. D’abord, un humour lamentable, grimace Régis. Ce regard un peu ironique sur le monde est un élément central de notre amitié. » La musique aussi : chacun a bravé l’avis de sa famille pour oser une carrière musicale. « Hervé est passionné des Beatles, il est très cultivé et m’apprend beaucoup. Et puis, tous les deux, on a des enfants, on aime l’esthétique, le design et… les voitures miniatures. »

Daphné explique qu’à chaque fois qu’elle voit Suzanne, elle a « le sentiment fort et chaleureux d’être reliée par le coeur ». Pourtant, elle sait qu’elle a changé au fil du temps. « J’ai divorcé, j’ai déménagé. Mais nos valeurs de base restent identiques. »

Anne aime discuter et réfléchir avec Jérôme. Lui apprécie ses analyses et ses conseils « de psy de comptoir », sourit- elle. « On a chacun une relation très difficile avec nos pères respectifs, ça nous a rapprochés. » L’une et l’autre sont sujets aux gros coups de blues et savent qu’ils peuvent en discuter librement ensemble. « On parle sans besoin de se justifier ni peur d’encombrer l’autre. On se comprend. »

Une empathie « assez zinzin » : voilà autre chose que Régis et Hervé partagent. Cela leur ouvre la porte à beaucoup d’échanges et de soutien mutuel. Avec les années, Régis sent aussi qu’il peut « parler cash » avec Hervé : « Pas besoin de tricher. » Il se rend compte que leur amitié a tenu parce que « lui comme moi, on a toujours veillé à ne pas se juger, à se respecter ».

Les deux amis ont parfois eu besoin de distance : « J’ai divorcé une première fois. Ça a chagriné Hervé car il aimait bien cette femme et a continué à la voir. » Quand Régis, de gauche, parle politique à Hervé, de droite, celui- ci lève les yeux au ciel. Et vice versa : « S’il y a quelque chose à défendre, on le fait, mais on voit bien que l’autre se ferme. On évite les sujets clivants. Sur le fond, on est tous deux humanistes. »

Un jour que Daphné propose à Suzanne de lui rendre visite et de séjourner chez elle, celle- ci refuse. Cela crée un froid. « En fait, elle avait des problèmes de santé. Avec la distance, on est parfois déconnecté de ce que vit l’autre. La fois suivante, j’ai hésité à l’appeler. Je l’ai fait et tout est reparti ». Aujourd’hui, Daphné est reconnaiss­ante pour la flamme de musique et de chant que Suzanne a allumée en elle, il y a cinquante ans.

Pour Régis, l’amitié avec Hervé est « un trésor ». Hervé l’émeut, lui a beaucoup appris, l’a soutenu : « Ça fait fuir la solitude. » Il y a autre chose. La fidélité à son ami est comme une fidélité envers lui-même. « S’il continue à me respecter, à me trouver intéressan­t, c’est que je ne me suis pas trahi moi-même, réfléchit Régis. C’est aussi grâce à son regard sur moi que, parfois, je me suis remis en question. »

Anne a l’impression que rien ne pourrait mettre en péril son amitié avec Jérôme : « Il y a moins d’attente que dans une relation amoureuse. Pas d’agacement du tube de dentifrice mal rebouché. On a des rêves, aller en Amérique du Sud ensemble, mais pas d’enjeu, pas d’objectif. »

Alors que la société nous inonde de modèles conjugaux idéaux, l’amitié semble moins prescrite. Daphné confirme : « Une amitié dure plus facilement qu’un amour. Sans l’enjeu de la satisfacti­on physique et du quotidien partagé, ça simplifie tout. En amitié, j’ai l’impression qu’on se sent plus vite comblé par ce que l’on partage. »

(1) Le prénom a été modifié.

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PHOTO CORINE MONNERIE, OUEST-FRANCE « Une amitié dure plus facilement qu’un amour. »
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| PHOTO : GETTY IMAGES « Un sentiment fort et chaleureux. » Illustrati­on.

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