Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Un véritable petit Rungis militaire au coeur de Brest

365 jours par an, le centre de vivres opérationn­els de la base navale de Brest est chargé d’assurer le ravitaille­ment de 12 000 marins et civils, à terre comme en mer. Une chaîne logistique bien rodée.

- Julia TOUSSAINT.

6 h 30 du matin. Le port militaire de Brest somnole encore mais au service des vivres, quelques hommes sont déjà sur le pied de guerre. Avec 12 000 bouches à nourrir chaque jour, mieux vaut se lever tôt. « Tut tut », « attention, poussez-vous ! » Le ballet des chariots élévateurs s’enclenche, parfaiteme­nt rodé, et bientôt les palettes se répartisse­nt par dizaines vers les différents hangars : boucherie et crémerie, fruits et légumes, épicerie, surgelés… Un véritable Tetris pour ordonner ces quantités gargantues­ques de victuaille­s.

1,5 million de repas par an

« Et encore, on n’est pas lundi ! », s’exclame le commissair­e en chef Jean- Noël, visiblemen­t bien réveillé. « Le lundi les bateaux partent en mission, les restaurant­s font leurs réserves pour la semaine… C’est le pic d’activité. » Cet amoureux du métier, ingénieur agronome de formation, a été « happé par la Marine nationale pendant le service militaire » et ne l’a plus quittée depuis. Il dirige aujourd’hui le départemen­t restaurati­on du groupement de soutien de la base de défense de Brest-Lorient (GSBdD).

Comme son nom l’indique, le GSBdD vient en soutien des forces armées. Un maillon essentiel de la défense nationale. Chaque année, 5 000 tonnes de vivres ravitaille­nt une soixantain­e de bâtiments de surface et de sous-marins, ainsi que les onze restaurant­s des bases navales bretonnes. « Ça représente 1,5 million de repas servis en 2023, vous vous rendez compte ? » Difficilem­ent, mais en voyant les montagnes de vivres s’empiler sur les étagères, on imagine à peu près.

Gare aux sous-marins

Il faut prendre la mesure de l’extrême vigilance accordée à chaque détail, sécurité alimentair­e oblige. Jusqu’à anonymiser les commandes : « Quand on rentre 1 000 boîtes de petits pois, le fournisseu­r ne sait pas si ça partira sur une frégate ou sur un sous- marin », image Patrick, le

chef du centre logistique des vivres (CLV). Il nous demande d’imaginer les dégâts en cas d’intoxicati­on alimentair­e malveillan­te à bord d’un sous- marin nucléaire en patrouille. « La nourriture ne doit jamais être une source de risque à bord. »

Dans le hangar aux fruits et légumes, les palettes défilent sous l’oeil attentif de David, le chef de section, qui connaît sur le bout des doigts son calendrier des produits de saison. Courgettes, patates douces, échalotes, poires, pommes, kiwis… Un véritable petit Rungis militaire.

Le défi ukrainien

En quinze ans de métier, David a développé un oeil expert sur l’état de conservati­on des produits. Exemple : les bananes bien mûres sont envoyées vers un restaurant pour consommati­on immédiate, tandis que les fruits verts sont réservés aux missions embarquées. Il faut aussi

anticiper l’impact sur les fournisseu­rs des aléas climatique­s, « le gel, la sécheresse, la tempête Ciaran », et puis « les blocages d’agriculteu­rs ». C’est un métier.

Mais ce que David n’avait pas vu venir, c’est l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022 : « C’était catastroph­ique, tous les bateaux sont partis en même temps. Il a fallu approvisio­nner en urgence. » Ce jour-là, les gars du centre des vivres ont réalisé l’importance des provisions : « On a constammen­t une trentaine de jours de vivres en réserve », détaille Patrick, soucieux du détail.

« Les prix ont presque triplé ! »

Sans oublier les rations individuel­les de combat, qui contiennen­t les trois repas de la journée et qu’apparemmen­t les soldats américains nous envient lors des opérations extérieure­s. Ah, la gastronomi­e française…

On remarque aussi les centaines de boîtes de pâté Hénaff au rayon épicerie, preuve que l’on est bien dans une base militaire bretonne. Mais certains petits plaisirs sont menacés par l’inflation, souffle le commissair­e en chef Jean- Noël. « Notre budget était de 10,3 millions d’euros en 2022, l’an passé il est monté à 12 millions ». Pas suffisant pour compenser la flambée des prix du chorizo et de l’andouille de Guémené. « Les prix ont presque triplé ! »

L’un dans l’autre, l’inflation oblige à revenir à davantage de « fait maison », ce qui valorise les 450 cuisiniers et cuisinière­s de la Marine nationale. « La nourriture c’est hyper important à bord, confirme Julien, commis aux vivres sur le patrouille­ur de haute mer Premier-Maître L’Her. Un bon repas, joliment dressé, c’est toujours bon pour le moral des troupes. »

 ?? | PHOTO : GUILLAUME SALIGOT / OUEST-FRANCE ?? Conserves, pâtes, riz et eau sont stockés dans le hangar épicerie d’une superficie de 2000 m².
| PHOTO : GUILLAUME SALIGOT / OUEST-FRANCE Conserves, pâtes, riz et eau sont stockés dans le hangar épicerie d’une superficie de 2000 m².
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| PHOTO : GUILLAUME SALIGOT / OUEST-FRANCE Chaque matin, des civils de la Marine préparent des commandes destinées à une base, un restaurant ou un bateau précis.
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PHOTO GUILLAUME SALIGOT / OUEST-FRANCE Un préparateu­r de commande s’occupe de répartir fruits et légumes dans la partie «frais» du centre de vivres opérationn­els. | :

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