Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Haude et Gurguy, les deux saints de Trémazan

Légendes et fantômes de l’Ouest. Au VIe siècle, ces frère et soeur ont marqué les esprits. Vénérés dans le Finistère, ils font aujourd’hui l’objet d’un culte à l’abbaye deSaint-Mathieu.

- Françoise SURCOUF.

Les statues qui les honorent ne se comptent plus dans le Finistère et le pays du Léon, à la pointe nord-ouest du départemen­t. Le souvenir des deux saints demeure vivace au Conquet et à la pointe Saint-Mathieu, à Plougonvel­in. Ils sont également vénérés dans la chapelle de Kersaint, à Landunvez. Mais qui sont donc cette Haude céphalopho­re (portant dans ses mains sa tête tranchée) et ce Gurguy à l’air triste et lointain comme frappé d’une douleur intérieure ?

À proximité de la chapelle de Kersaint, un château, qui existe encore, n’est aujourd’hui plus que ruines. Toutefois l’ombre des grands qui l’habitèrent le hante toujours. Si son accès est désormais interdit – les risques de chutes de pierres étant trop importants –, on peut l’admirer depuis le belvédère. Son histoire, reproduite dans un texte du seigneur de Trémazan, daté du XVe siècle, ainsi que dans un écrit d’Albert Le Grand en 1637, rappelle la tragédie qui se déroula entre ces murs au début du VIe siècle.

Une enfance dorée

Le château de Trémazan est intimement lié au destin de la famille du Chastel. Ses membres construisi­rent cette forteresse qui resta leur principale demeure durant plusieurs siècles. Si l’origine de leur ascendance reste inconnue, ils devinrent très vite des seigneurs importants dont la renommée gagna bientôt toute la région du Léon. Ils prirent rang dans la haute aristocrat­ie bretonne. Hélas, la fin du XVIe siècle verra leur déclin puis, faute d’héritier mâle, leur extinction.

Au VIe siècle, quelque temps après la fin du règne de Clovis, le seigneur Golon de Trémazan épousa Florence, fille d’Honorius, prince de Brest. La nouvelle dame du château était belle, pieuse, cultivée, gaie. Son époux lui ressemblai­t en tout point et leur union promettait d’être des plus heureuses. Le jeune couple, très amoureux, eut deux enfants : une fille, Haude, et un garçon, Gurguy.

Hélas, l’hiver qui suivit le huitième anniversai­re de leurs noces, la peste fit des ravages dans le pays. Et, pour le plus grand malheur des siens, la douce Florence en mourut, laissant derriè

re elle un mari effondré et deux enfants en bas âge. Golon, inconsolab­le, ne parvenait pas à retrouver l’envie de vivre. C’est Douce, leur marraine, qui se chargea alors de l’éducation des petits.

Mais la brave femme n’était plus jeune et, sentant sa fin approcher, elle conseilla à Golon de se chercher une nouvelle épouse, qui l’aiderait à éduquer les enfants et lui redonnerai­t le goût du bonheur. À contrecoeu­r, il entreprit de visiter ses voisins à la recherche d’une nouvelle promise. Malheureus­ement, aucune ne lui sembla digne de succéder à sa défunte compagne.

Une belle-mère indigne

Sans enthousias­me, il finit par accepter la propositio­n d’un seigneur de Grande-Bretagne, venu s’installer dans la région du Léon et dont la soeur souhaitait elle aussi s’y établir. Elle était belle, austère, et cachait sous son image douce et sage une avidité qui lui fit d’emblée détester les héritiers de son mari. Sitôt les noces célébrées, elle jeta le masque. Arrivée à Trémazan, elle fit

chasser Douce, l’accusant de sénilité, puis commença à humilier et maltraiter les enfants. Leur père, toujours plongé dans la mélancolie, se désintéres­sait des petits et lui en laissait la totale responsabi­lité. Pendant huit longues années, elle les brutalisa, espérant leur mort et celle de leur père, ce qui lui permettrai­t de jouir seule d’une immense fortune. Lorsque Gurguy, l’aîné, atteignit l’âge d’homme, il finit par demander congé à son père. Devenu militaire, il rejoignit la cour du roi Childebert, où il demeura douze ans.

Golon, épuisé par le chagrin et muré dans le souvenir de sa défunte épouse, se laissait mourir, errant en luimême comme un voyageur égaré. Haude, désormais une jeune femme, était la future héritière de grands biens. Nombre de seigneurs, séduits tant par sa beauté que par sa fortune, vinrent la demander en mariage. Mais la marâtre, jalouse, la contraigni­t à se cacher sous un habit de servante dans une ferme voisine et fit courir le bruit qu’elle avait dû la chasser en raison de sa conduite et de ses moeurs dévergondé­es.

De retour, Gurguy revint incognito à Trémazan et s’enquit de la présence de sa soeur. La marâtre, persuadée de faire face à un nouveau prétendant, lui conta la même fable qu’aux autres pour le décourager. Fou de rage et bien décidé à punir les fautes de sa soeur, il se mit à sa recherche et la trouva près d’une fontaine. Haude ne le reconnut pas et s’enfuit. Gurguy prit cette fuite pour un aveu et, l’ayant rattrapée, lui trancha la tête. Attirés par les cris, des voisins accoururen­t et lui révélèrent à quel point il s’était trompé et combien Haude était sage et vertueuse.

Gurguy devient Tanguy

Abasourdi, Gurguy se présenta chez son père, se fit reconnaîtr­e et avoua son crime. Les deux hommes pleuraient dans les bras l’un de l’autre quand, soudain, Haude se présenta devant eux, tenant dans ses mains sa tête, qu’elle posa sur son cou où elle se ressouda. Puis, se tournant vers sa marâtre, elle lui dit qu’elle serait punie par Dieu. Sitôt qu’elle eut prononcé ces paroles, la mauvaise femme fut foudroyée par un éclair divin. Après avoir pardonné à son frère, le fantôme de la jeune fille s’évanouit dans les airs…

Gurguy choisit de se repentir auprès de l’évêque saint Pol et entama, sur ses conseils, une longue pénitence. Celleci le transforma et c’est auréolé d’une couronne de feu, symbole de pureté retrouvée, qu’il rejoignit l’évêque. Le prélat le rebaptisa alors du nom de Tanguy de « Tan » (feu), mena la vie d’un saint et fonda l’abbaye SaintMathi­eu, à Plougonvel­in.

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| PHOTO : DOMAINE PUBLIC Le château de Trémazan, où est née la légende d’Haude et son frère Gurguy.
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| PHOTO : DOMAINE PUBLIC L’abbaye Saint-Mathieu fut un haut lieu de pélerinage.

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