Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Haude et Gurguy, les deux saints de Trémazan
Légendes et fantômes de l’Ouest. Au VIe siècle, ces frère et soeur ont marqué les esprits. Vénérés dans le Finistère, ils font aujourd’hui l’objet d’un culte à l’abbaye deSaint-Mathieu.
Les statues qui les honorent ne se comptent plus dans le Finistère et le pays du Léon, à la pointe nord-ouest du département. Le souvenir des deux saints demeure vivace au Conquet et à la pointe Saint-Mathieu, à Plougonvelin. Ils sont également vénérés dans la chapelle de Kersaint, à Landunvez. Mais qui sont donc cette Haude céphalophore (portant dans ses mains sa tête tranchée) et ce Gurguy à l’air triste et lointain comme frappé d’une douleur intérieure ?
À proximité de la chapelle de Kersaint, un château, qui existe encore, n’est aujourd’hui plus que ruines. Toutefois l’ombre des grands qui l’habitèrent le hante toujours. Si son accès est désormais interdit – les risques de chutes de pierres étant trop importants –, on peut l’admirer depuis le belvédère. Son histoire, reproduite dans un texte du seigneur de Trémazan, daté du XVe siècle, ainsi que dans un écrit d’Albert Le Grand en 1637, rappelle la tragédie qui se déroula entre ces murs au début du VIe siècle.
Une enfance dorée
Le château de Trémazan est intimement lié au destin de la famille du Chastel. Ses membres construisirent cette forteresse qui resta leur principale demeure durant plusieurs siècles. Si l’origine de leur ascendance reste inconnue, ils devinrent très vite des seigneurs importants dont la renommée gagna bientôt toute la région du Léon. Ils prirent rang dans la haute aristocratie bretonne. Hélas, la fin du XVIe siècle verra leur déclin puis, faute d’héritier mâle, leur extinction.
Au VIe siècle, quelque temps après la fin du règne de Clovis, le seigneur Golon de Trémazan épousa Florence, fille d’Honorius, prince de Brest. La nouvelle dame du château était belle, pieuse, cultivée, gaie. Son époux lui ressemblait en tout point et leur union promettait d’être des plus heureuses. Le jeune couple, très amoureux, eut deux enfants : une fille, Haude, et un garçon, Gurguy.
Hélas, l’hiver qui suivit le huitième anniversaire de leurs noces, la peste fit des ravages dans le pays. Et, pour le plus grand malheur des siens, la douce Florence en mourut, laissant derriè
re elle un mari effondré et deux enfants en bas âge. Golon, inconsolable, ne parvenait pas à retrouver l’envie de vivre. C’est Douce, leur marraine, qui se chargea alors de l’éducation des petits.
Mais la brave femme n’était plus jeune et, sentant sa fin approcher, elle conseilla à Golon de se chercher une nouvelle épouse, qui l’aiderait à éduquer les enfants et lui redonnerait le goût du bonheur. À contrecoeur, il entreprit de visiter ses voisins à la recherche d’une nouvelle promise. Malheureusement, aucune ne lui sembla digne de succéder à sa défunte compagne.
Une belle-mère indigne
Sans enthousiasme, il finit par accepter la proposition d’un seigneur de Grande-Bretagne, venu s’installer dans la région du Léon et dont la soeur souhaitait elle aussi s’y établir. Elle était belle, austère, et cachait sous son image douce et sage une avidité qui lui fit d’emblée détester les héritiers de son mari. Sitôt les noces célébrées, elle jeta le masque. Arrivée à Trémazan, elle fit
chasser Douce, l’accusant de sénilité, puis commença à humilier et maltraiter les enfants. Leur père, toujours plongé dans la mélancolie, se désintéressait des petits et lui en laissait la totale responsabilité. Pendant huit longues années, elle les brutalisa, espérant leur mort et celle de leur père, ce qui lui permettrait de jouir seule d’une immense fortune. Lorsque Gurguy, l’aîné, atteignit l’âge d’homme, il finit par demander congé à son père. Devenu militaire, il rejoignit la cour du roi Childebert, où il demeura douze ans.
Golon, épuisé par le chagrin et muré dans le souvenir de sa défunte épouse, se laissait mourir, errant en luimême comme un voyageur égaré. Haude, désormais une jeune femme, était la future héritière de grands biens. Nombre de seigneurs, séduits tant par sa beauté que par sa fortune, vinrent la demander en mariage. Mais la marâtre, jalouse, la contraignit à se cacher sous un habit de servante dans une ferme voisine et fit courir le bruit qu’elle avait dû la chasser en raison de sa conduite et de ses moeurs dévergondées.
De retour, Gurguy revint incognito à Trémazan et s’enquit de la présence de sa soeur. La marâtre, persuadée de faire face à un nouveau prétendant, lui conta la même fable qu’aux autres pour le décourager. Fou de rage et bien décidé à punir les fautes de sa soeur, il se mit à sa recherche et la trouva près d’une fontaine. Haude ne le reconnut pas et s’enfuit. Gurguy prit cette fuite pour un aveu et, l’ayant rattrapée, lui trancha la tête. Attirés par les cris, des voisins accoururent et lui révélèrent à quel point il s’était trompé et combien Haude était sage et vertueuse.
Gurguy devient Tanguy
Abasourdi, Gurguy se présenta chez son père, se fit reconnaître et avoua son crime. Les deux hommes pleuraient dans les bras l’un de l’autre quand, soudain, Haude se présenta devant eux, tenant dans ses mains sa tête, qu’elle posa sur son cou où elle se ressouda. Puis, se tournant vers sa marâtre, elle lui dit qu’elle serait punie par Dieu. Sitôt qu’elle eut prononcé ces paroles, la mauvaise femme fut foudroyée par un éclair divin. Après avoir pardonné à son frère, le fantôme de la jeune fille s’évanouit dans les airs…
Gurguy choisit de se repentir auprès de l’évêque saint Pol et entama, sur ses conseils, une longue pénitence. Celleci le transforma et c’est auréolé d’une couronne de feu, symbole de pureté retrouvée, qu’il rejoignit l’évêque. Le prélat le rebaptisa alors du nom de Tanguy de « Tan » (feu), mena la vie d’un saint et fonda l’abbaye SaintMathieu, à Plougonvelin.