Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Frustratio­n a creusé au plus près de l’os

Le groupe vétéran du post-punk français sort un sixième album intense, traversé par les maux du temps, sans moralisme ni artifices. Et cela n’a pas été facile.

- Philippe RICHARD.

L’album commence par des pépiements d’oiseaux et une basse menaçante. Le morceau qui monte vite en intensité s’intitule Path of Extinction (Chemin de l’extinction). Son refrain donne son nom au sixième album de Frustratio­n : Our Decisions (nos décisions).

« On n’est pas U2, on est un groupe de troisième division. On n’est pas des donneurs de leçons mais on fait part de nos ressentime­nts », dit le chanteur Fabrice Gilbert, dont la voix d’autorité, basse, cinglante et gouailleus­e, est une marque du groupe.

Dans un registre moins consensuel, dans l’un des deux seuls morceaux en français, il s’attaque frontaleme­nt à une (partie de) génération consuméris­te et individual­iste : « Tous ceux qui sont venus à la musique par le punk et le post-punk avaient cette idée d’égalitaris­me. Plein de moins de 40 ans se foutent de l’équité, se renferment sur leur famille et leurs amis. » Beaucoup d’autres titres sont moins directs, comme le single Riptide, chanson d’errance et de résilience : « Je fais toujours attention à ce qu’on ne sache pas si le sujet des chansons est masculin ou féminin », précise Fabrice Gilbert.

L’humilité et l’humanité de cette bande de punks maturés de la région parisienne est réelle. Leurs profonds

agacements (révoltes ?) ne se sont pas tamisés et leur musique comme leur apparence indiquent qu’il ne faut pas trop leur marcher sur les pieds.

La basse mélodique mais agressive

et la batterie parfois martiale, renvoient aux débuts du post-punk. La guitare plante des échardes et frappe en coin. Le synthé impose ses sons vintage ou joue vicieuseme­nt en sous-main. Ce son de base de Frustratio­n, exploré, déployé, amélioré, muté depuis 2006, ils ont cherché à en extraire l’essence : « On a voulu enregistre­r les morceaux tels qu’on les jouerait en concert, sans guitares ni voix doublées, sans rajouts. » Avec le guitariste du groupe Nicolas « Nicus » Duteil à la console.

« La boule au ventre »

Cette ambition de simplicité a finalement été très compliquée à atteindre, avoue Fabrice. « J’allais parfois chanter la boule au ventre parce qu’on n’avait jamais eu ce niveau d’exigence. Entre nous, on a parfois crié plus fort. »

Le résultat vaut le stress généré. L’impression d’intensité supplément­aire tient à cette absence d’embellisse­ments que permet le studio. Aux deux tiers de l’album, un duo en allemand avec une chanteuse (Anna, du groupe Hammershoi) apporte une couleur inédite : « C’est une bonne respiratio­n. Une chanson un peu minimalist­e, à la Kraftwerk. Nos faces B ne sont jamais faites de morceaux récupérés de la poubelle. » Une bonne décision.

Our Decisions, Born Bad, 10 titres, 38 min.

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| PHOTO : TITOUAN MASSÉ Le groupe Frustratio­n : Fred, Pat, Fabrice, Marc, Nicus.

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