Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Mathieu Belezi écrit sur les horreurs de l’Algérie
Littérature. L’écrivain, qui a connu le succès avec Attaquer la terre et le soleil, republie deux autres textes sur la colonisation de l’Algérie. « Pourquoi la France n’affronte pas son passé ? » se demande-t-il.
Il est de retour à Rome après une semaine dans le tumulte parisien. Plus souvent, c’est à Nardo, son village des Pouilles, qu’il écrit. « J’habite partout et nulle part », souligne Mathieu Belezi. Un peu aussi à Plouharnel (Morbihan), près de Quiberon, chez sa belle-famille.
« Le problème, c’est que depuis un an, je n’ai pas écrit une ligne, sourit l’écrivain exilé, devenu en un an un phénomène de librairie. Une partie de moi est très heureuse de ce qui se passe. Une autre regrette la solitude et la tranquillité. »
Attaquer la terre et le soleil, lauréat du prix littéraire Le Monde 2022 et du prix du livre Inter 2023, l’a révélé au grand public. Ce roman à deux voix sur les traces des premiers soldats et colons d’Algérie va être adapté au théâtre et au cinéma. Le livre va être traduit dans de multiples langues. Une édition scolaire sortira au printemps.
« Au fond du trou »
Pourtant, il y a quelques années, Mathieu Belezi, 71 ans, était « au fond du trou ». Plus d’une dizaine de maisons d’édition avaient refusé Attaquer la terre et le soleil quand sa compagne l’envoie aux éditions du Tripode. L’éditeur indépendant Frédéric Martin, qui n’avait « jamais rien lu de tel », le rappelle dans les deux jours et rachète toute son oeuvre. « Il était tombé dans l’oubli », regrette-t-il.
Aujourd’hui, la critique encense encore deux de ses oeuvres, évoquant aussi la colonisation algérienne à partir de 1830, qui viennent d’être rééditées. Moi, le Glorieux et Le temps des crocodiles étaient parus ensemble en 2011, avec pour titre Les vieux fous, chez Flammarion. Moi, le Glorieux se classe 6e des meilleures ventes en mars.
Albert Vandel, colonne vertébrale de ces deux récits, est un capitaine de l’armée française dans Le temps des crocodiles, devenu colon surpuissant dans Moi, le Glorieux. Ce personnage de « 150 ans et 140 kg », qui ne cesse de se glorifier de cette démesure provocatrice et répugnante, est inspiré de trois grands colons de l’époque,
possédant chacun des empires. Des milliers d’hectares de terrains, des vignes, des armements de navires, etc.
Il fait la pluie et le beau temps jusqu’au sommet de l’État, à Paris. Entre autres, Albert Vandel enjoint aux « indigènes » d’être plus reconnaissants et de « cesser les révoltes ».
En lisant Moi, le Glorieux, le lecteur se glisse avec un malaise grandissant dans la peau de cet homme qu’aucune extravagance n’arrête. Marié à six femmes, alcoolique se gavant de luxe dans un pays miséreux, odieux avec tous ses domestiques, antisémite. Si détestable qu’il en est fascinant.
La ponctuation très rare vient conforter cette sidération. « Un flot, le personnage déverse sa parole. » Un rythme inspiré du réalisme magique des auteurs sud-américains comme Gabriel Garcia Marquez.
Quant au Temps des crocodiles, c’est un beau livre illustré par le dessinateur algérien Kamel Khélif. Après quelques lignes, on suffoque pourtant devant cette violence, si inouïe qu’elle semble irréelle. Mathieu Belezi n’a pourtant rien inventé, insiste- t-il. « Je ne voulais pas faire dans la surenchère. Ce que je décris est, hélas, vérifiable. » Des viols collectifs, des enfants assassinés sauvagement, des massacres, des villages brûlés.
Les douleurs et tabous de la guerre d’Algérie
Une réalité racontée dans quelques précieux documents, comme les peintures d’Eugène Fromentin, les Mémoires de Victor Hugo, les Cahiers du centenaire.
Autant l’on évoque mieux, désormais, les douleurs et les tabous de la guerre d’Algérie. Autant les cent cinquante ans qui l’ont précédée restent complètement « recouverts d’un voile », image Mathieu Belezi.
« On ne peut pas comprendre la violence de la guerre d’Algérie si l’on ne s’intéresse pas à ce qui s’est passé avant, estime-t-il. L’armée s’empare de territoires. Les colons viennent développer le pays, soidisant barbare. On prend la place des peuples autochtones, on impose notre culture. »
Alors qu’un article de loi de 2005, abrogé un an plus tard, préconisait d’enseigner le « rôle positif » de la colonisation, Mathieu Belezi se demande toujours pourquoi la France refuse à ce point de voir son passé en face et pourquoi écrire sur ce sujet semble tellement gênant.
Pour son éditeur, Mathieu Belezi est l’un de ces talents que seul le temps peut faire reconnaître à leur juste valeur. « Je pensais arrêter de publier en espérant qu’un jour, après ma mort, quelqu’un trouve mes textes dans le bac d’un libraire d’occasion, avoue modestement Mathieu Belezi. C’est ce qui s’est passé, mais je suis encore vivant ! »
Moi, le Glorieux, Le Tripode 336 pages, 21 €. Le temps des crocodiles, 160 pages, 25 €.