Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Mon grand-père a nagé avec Tarzan ! »

Rencontre avec Laurence Padou, petite-fille d’Henri, vedette de l’équipe de France de water-polo sacrée aux JO de Paris 1924. À Tourcoing, où Laurence a grandi, il est resté une légende.

- Les lettres de Johnny Weissmulle­r Christophe PENOIGNON.

« Quand vous m’avez contacté, je me suis rappelé que c’était il y a 100 ans… » Un brin de nostalgie dans la voix, Laurence Padou pense au temps qui passe, qui emporte tout sur son passage, si ce n’est le souvenir. Cette Tourquenno­ise de 64 ans promène son carré blond et ses lunettes écaille du nord au sud, entre Roncq, à quelques kilomètres de la frontière belge, et Juan-les- Pins, où elle aime venir « prendre le soleil » de la Côte d’Azur.

C’est devant l’ancienne piscine de Tourcoing, un magnifique bâtiment en briques rouges, que nous avons choisi de la retrouver, ce mercredi 3 janvier. Elle est accompagné­e de son petit-fils, Come. Pas par hasard, nous le découvriro­ns plus tard… Le lieu non plus n’est pas anodin. C’est dans cette piscine qu’a longtemps sévi Henri Padou, son grand-père, champion olympique avec l’équipe de France de water-polo (112 sélections) à Paris, il y a cent ans.

Le père de Laurence s’appelait aussi Henri Padou, était également poloïste (47 sélections en Bleu) et nageur émérite, médaillé de bronze sur le 4x200 m des JO de Londres 1948. « Ils furent tous deux capitaines de l’équipe de France, précise- t- elle avec fierté. J’ai vu mon père jouer. J’étais petite, mais j’adorais. »

À Tourcoing, les Padou sont connus comme le loup blanc. Dans les bassins, le père et le fils ont été le fer de lance des Enfants de Neptune, club le plus titré de l’Hexagone en sports collectifs avec 46 titres de champion de France (dont 26 de suite entre 1925 et 1950). « C’était aussi les plus gros bouchers du coin. On allait faire nos courses chez eux », se souvient Albert Masson, qui apprit à jouer avec le père de Laurence.

« Quand je dis mon nom à Tourcoing, on me demande : « C’est de famille avec les bouchers ou avec les nageurs ? ». Je réponds : « Les deux ! », rigole Laurence. Le nom Padou parle toujours aux plus âgés, mais plus à la nouvelle génération malheureus­ement. »

À Tourcoing, les piscines se sont succédé. La première, celle où a tant brillé son grand-père, a été restaurée pour accueillir l’Institut du monde arabe. La deuxième, qu’a bien connue son père, a été détruite. La troisième trône aujourd’hui en plein centre-ville. Mais peu importe le bassin, la natation a toujours été « une histoire de famille » chez les Padou. « Mon père m’a mise très vite à la piscine, confie Laurence. Je nageais plutôt bien, mais il n’y avait pas de water-polo pour les femmes à l’époque. » Une passion présente dans de nombreux foyers tourquenno­is. « Quand me

père me punissait, il me privait de piscine, confie Albert Masson. Je m’allongeais, je criais… Une journée sans piscine, c’était inconcevab­le. »

Aujourd’hui délégué de la Fédération sur les matches Élite de water-polo, il explique cet engouement local : « Gustave Dron, maire de l’époque, a rendu la natation obligatoir­e à l’école. On est la première ville au monde à l’avoir fait. Et les maîtresnag­eurs, tous anciens joueurs de water-polo, recrutaien­t à partir des écoles, donc il n’y avait que des Tourquenno­is qui jouaient aux Enfants de Neptune. C’est pour ça qu’on était champions de France tous les ans ! D’ailleurs, lors de la finale des JO 1924, qu’on gagne 4-3 contre notre voisin belge, il y avait sept Tourquenno­is sur les onze joueurs de la feuille de match… »

Dont Henri Padou premier du nom, le « Grand Canard » comme il était surnommé. Laurence a eu le temps de connaître son grand-père, décédé en 1981. « À l’époque, il n’y avait pas école le jeudi après-midi et on allait déjeuner chez lui avec mon petit frère. C’était mon parrain. »

Des Jeux olympiques, Laurence Padou en a davantage discuté avec son père. Mais elle a tout de même

gardé une médaille « reçue par (son) grand-père à l’ancienne piscine », ainsi qu’une photo de lui avec Henri Padou fils, lorsqu’ils avaient joué un match ensemble. Le reste des souvenirs se trouvent chez son frère, HenriXavie­r – « Ma mère en a eu marre des Henri et a ajouté Xavier », rigole Laurence (son arrière- grand-père s’appelait aussi Henri Padou).

Un cahier bien singulier traîne aussi là-bas… « Mon père y collait tous les articles de presse relatant ses victoires. Un jour, j’étais tellement fière que je l’ai embarqué à l’école sans qu’il s’en aperçoive. Je l’ai montré à mes copines et la maîtresse me l’a confisqué. Je me suis dit : « Mince, je vais me faire tuer »(rires). Mais quand elle a vu ce que c’était, elle me l’a rendu. Je ne sais même pas si je l’ai déjà raconté à mes parents… »

Une fois la boîte à anecdotes ouverte, difficile de la refermer : « Un jour, mon grand-père a reçu une enveloppe avec simplement écrit dessus “Henri Padou, France”. C’était une lettre de Johnny Weissmulle­r

(nageur trois fois champion olympique à Paris puis interprète de Tarzan à douze reprises au cinéma). »

En 1924, à la piscine des Tourelles de Paris, la France affronta au premier tour du tournoi olympique les États- Unis de… Johnny Weissmulle­r, qui avait remplacé au pied levé un joueur malade. Henri Padou lui chipa la balle à quatre reprises et permit à la France de s’imposer. « Dès lors, ils sont devenus de très bons amis, assure Albert Masson. Johnny Weissmulle­r lui envoyait ses voeux pour Noël et le Nouvel an. » Laurence Padou ne cache pas sa fierté : « Aujourd’hui, je peux dire que mon grand-père a nagé avec Tarzan ! »

Cent ans après les exploits de son grand-père, le retour des Jeux à Paris ravive la flamme de son souvenir : « C’est une fierté de faire partie de cette lignée. On m’a dit au club que ce serait logique qu’un membre de la famille Padou soit invité aux JO. Ce serait un grand honneur. »

En attendant, elle coule des jours heureux en profitant de ses trois enfants, Sarah, Laura et Edouard, et de ses petits- enfants. Auprès desquels elle tente de perpétuer la tradition… « Come fait déjà le crawl et le dos crawlé à 8 ans. Tous les mercredis, je l’emmène à sa leçon et, moi, je nage à côté dans mon couloir. Je me suis dit : « Lui, je vais en faire un nageur »(rires). » Et pourquoi pas un champion de water-polo ? « Il faut déjà savoir nager », sourit- elle.

Le petit Come deviendra ce qu’il voudra. Il pourra toujours dire que son arrière-arrière- grand- père est membre du Hall of Fame internatio­nal de la natation (situé en Floride), tout comme Johnny Weissmulle­r. Et qu’il est écrit : « Henri Padou (1898-1981), plus grand joueur de water-polo de tous les temps. »

« Un jour, j’ai montré le cahier de mon père à l’école »

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| PHOTO : LE MIROIR DES SPORTS / OUEST-FRANCE Laurence Padou, ici en compagnie de son petit-fils Come, est la petite-fille d’Henri Padou, glorieux membre de l’équipe de water-polo championne olympique à Paris en 1924.
 ?? | PHOTO : LE MIROIR DES SPORTS DR ?? À gauche : l'équipe de France championne olympique de water-polo à Paris en 1924. À droite : Henri Padou père et Henri Padou fils. /
| PHOTO : LE MIROIR DES SPORTS DR À gauche : l'équipe de France championne olympique de water-polo à Paris en 1924. À droite : Henri Padou père et Henri Padou fils. /

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