Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

À quel besoin répond la religion ?

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Malgré la chute de la pratique religieuse sous nos latitudes, Pâques reste l’une des fêtes religieuse­s qui voient les églises se remplir. C’est le jour où les chrétiens célèbrent la résurrecti­on du Christ après sa mort sur la croix. Que viennent-ils chercher, ces femmes et ces hommes qui se rendent à la messe ? Est- ce qu’ils croient tous à la résurrecti­on ? Aucune enquête, aucun sondage ne saurait répondre à ces questions. Une certitude : ils recherchen­t quelque chose. Mais quoi ? Ou qui ?

En relisant les Évangiles, on notera que les disciples de Jésus eux-mêmes, arrivés devant le tombeau vide, peinent à comprendre ce qu’ils voient. « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis. » (1) Le mot sidération, si souvent employé après chaque événement inattendu venant nous percuter, correspond bien à l’état dans lequel se trouvent les premiers chrétiens, au matin de Pâques. Une voix interpelle Marie-Madeleine : « Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Dans le sépulcre vide, il faut que Marie-Madeleine soit interpellé­e, se retourne et voit le Christ derrière elle pour qu’elle finisse par le reconnaîtr­e, non sans l’avoir d’abord pris… pour le gardien.

Dans un essai aussi court que profond publié l’an passé – Pourquoi la démocratie a besoin de la religion (2) – l’Allemand Hartmut Rosa ne craint pas de prendre le contre-pied de ceux qui voient la religion comme « un archaïsme problémati­que ». Le sociologue ne nie pas que la religion peut aussi prendre la forme du fanatisme et du dogmatisme, mais il souligne que « ces réalités horribles ne disent pas tout de la religion » (3).

Au coeur de sa réflexion, un constat : notre société s’épuise « à devoir dépenser toujours plus d’énergie pour maintenir l’état des choses existant ». Il l’observe dans nos organisati­ons économique­s, politiques, sociales et même psychiques, avec la croissance préoccupan­te des burn- out. « Notre rapport au monde est agressif. Pourquoi ? Parce que notre liste de tâches explose […]. Nous devons toujours accélérer, nous dépasser, nous améliorer. Au risque de finir comme le hamster dans sa roue. »

Or, le sociologue en a la conviction, « la démocratie ne fonctionne pas sous la modalité de l’agressivit­é ». La démocratie, ce ne sont pas seulement des voix qui s’expriment. Il lui faut aussi des oreilles qui entendent. Et donc des espaces où notre agressivit­é dépose les armes. Où nous pouvons nous tenir disponible­s à écouter les appels qui nous sont adressés. Des espaces de « résonance » où notre intériorit­é, la société qui nous entoure et le monde dans son ensemble sont appelés à se conjuguer, fût- ce dans le silence du recueillem­ent.

Pour Hartmut Rosa, la religion, ses églises, ses rites et ses traditions, disposent de ces espaces. À ce titre, il se risque à affirmer que « la société d’aujourd’hui a encore besoin de l’Église et de la religion ». En dépit des apparences.

(*) Rédacteur en chef à Ouest-France. (1) Évangile selon saint Jean, chapitre XX.

(2) Éditions la Découverte, septembre 2023, 76 p., 15 €.

(3) La Croix, 23 septembre 2023.

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