Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Travailleu­ses françaises dans l’Allemagne nazie

Durant la Seconde Guerre mondiale, 80 000 femmes sont parties travailler pour le IIIe Reich. La réalisatri­ce Barbara Necek, avec l’historienn­e Camille Fauroux, revient sur ce tabou.

- Propos recueillis par Sonia LABESSE.

Entretien

Barbara Necek, coautrice, avec l’historienn­e Camille Fauroux, de La honte et l’oubli, travailleu­ses françaises dans l’Allemagne nazie.

Qu’est-ce qui vous a mené à faire ce film sur ce sujet resté tabou ?

Le point de départ a été la recherche personnell­e du producteur Emmanuel Priou sur sa grand-mère maternelle et son passé de travailleu­se civile en Allemagne. Assimilées à des collaborat­rices, insultées, la tête parfois rasée, rejetées par leur famille, les « travailleu­ses civiles » ont enfoui ce secret. Rares sont celles qui ont témoigné. Le film s’appuie sur le travail de l’historienn­e Camille Fauroux, autrice de Produire la guerre, produire le genre. (éd. de l’EHESS, 2020).

Autre témoignage, celui de

Chantal Le Bobinnec, emmenée par sa mère en Allemagne…

La plupart des 80 000 travailleu­ses volontaire­s ne s’exilent pas par adhésion à l’idéologie nazie, mais par nécessité économique, familiale. Elles sont souvent jeunes, parfois mineures, issues des classes populaires. Pour certaines, c’est une expérience de liberté, sans père, sans mari. L’histoire de Chantal Le Bobinnec est singulière. Elle relate son

départ avec sa soeur cadette et leur mère, bourgeoise divorcée, séduite par la « discipline » allemande. Un parcours qu’elle a raconté dans un livre en 1995, Ma drôle de guerre à 18 ans.

Dans quel contexte ces femmes partent-elles ?

À la fin de 1940, la France compte 1,5 million de chômeurs, dont 300 000 femmes. L’Allemagne nazie promet des conditions très attractive­s, de salaire, logement, soins médicaux, temps libre, verse une prime i mmédiate de 1 000 francs. Et le régime de Vichy facilite les départs. Contrairem­ent à la loi en vigueur à l’époque, les femmes peuvent partir travailler sans l’autorisati­on de leur mari. Elles constituen­t un tiers des départs volontaire­s entre 1940 et 1942.

Quelles sont leurs conditions de vie et de travail ?

À la descente du train ou dans les baraquemen­ts, elles sont recrutées par les directeurs d’usine, dans tous les secteurs : armement, agricultur­e, restaurati­on… Les Françaises ont le droit d’aller au cinéma, au théâtre, au restaurant, peuvent flirter avec les travailleu­rs français. Au contraire des Russes, Ukrainienn­es, Polonaises, amenées de force pour travailler dans les usines les plus dangereuse­s. Le IIIe Reich d’Adolf Hitler a employé 13 millions d’étrangers.

Mais leur situation se dégrade ?

À partir de 1942, le travail en Allemagne devient obligatoir­e pour les hommes avec le STO (Service du travail obligatoir­e). Fin 1942, les travailleu­ses civiles ne peuvent plus rentrer à la fin de leur contrat, même enceintes, et sont parfois séparées de leur bébé. Maltraitée­s, violentées, certaines, soupçonnée­s de sabotage, sont envoyées dans des camps de rééducatio­n par le travail. Deux cents ont été envoyées en camp de concentrat­ion. Deux mille Françaises sont mortes en Allemagne. Les autres sont rentrées parmi un million et demi de Français rapatriés à la fin de la guerre.

France 5, 22 h 35.

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| PHOTO : BUNDESARCH­IVES Des Françaises employées dans une usine Siemens, à Berlin, en 1942.

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