Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Valeriia Liubimova, l’espoir venu de Russie
Installée à Montpellier depuis l’automne 2022 pour divergence d’opinions avec le régime du Kremlin, Valeriia Liubimova, 19 ans, a incorporé l’équipe de France de BMX freestyle.
Jusqu’aux Jeux olympiques de Paris, Ouest- France vous présente régulièrement des sportifs français dont vous pourriez entendre parler, cet été. Nouvel épisode avec Valeriia Liubimova, membre de l’équipe de France de BMX freestyle. Dans une discipline où la seule tricolore à tirer son épingle du jeu s’appelle Laury Perez, l’arrivée de cette Russe de 19 ans, qui dispose depuis août 2023 d’un passeport français, peut changer la donne.
Son sourire masque les souffrances qui fouettent encore son coeur. Malgré ses 19 ans, Valeriia Liubimova a appris à dompter les tourments de la vie. Ses désirs suspendus aux anneaux olympiques lui ont déjà fait parcourir un long chemin depuis Ekaterinbourg où elle a grandi jusqu’à ses 11 ans avant de déménager à Moscou.
Au nom de convictions, par peur de représailles du régime du Kremlin, pour ne pas subir le sort réservé aux opposants à Vladimir Poutine, la jeune Russe s’est exilée avec toute sa famille en Géorgie au tout début du conflit avec l’Ukraine. « On ne soutient pas la guerre, c’est une position assumée mais dangereuse. Beaucoup peuplent les prisons… On a ni liberté de penser, ni possibilité de discuter si on ne soutient pas ce gouvernement. La guerre est quelque chose d’horrible. Je ne comprends pas comment et pourquoi les gens peuvent en arriver à une telle issue. Le dire en Russie, c’est risqué… Je n’avais pas envie d’être emprisonnée sous prétexte que je n’ai pas le même avis. »
La France saute sur l’occasion
Le talent vaut dévouement. En Russie, Valeriia avait déjà l’étiquette de promesse du BMX freestyle qu’elle a découverte à ses 14 ans. Ses parents avaient envisagé un autre destin que celui d’un déménagement précipité pour le Caucase. Ils n’ont pas voulu briser le rêve de l’aînée d’une fratrie de trois enfants. « On a essayé de trouver une solution afin que je puisse poursuivre le sport de haut niveau et mes études. On a pris deux semaines à écrire des mails en anglais à différentes fédérations en expliquant ma situation et mon parcours. La question était invariablement la même : Pouvez-vous nous aider ou nous conseiller ? »
La France s’est montrée très rapidement intéressée par ce petit bout de femme au sourire malicieux. « Ils m’ont d’abord demandé d’en dire un peu plus puis nous avons commencé à échanger régulièrement durant six ou sept mois par visio, avec notamment le DTN, Christophe Manin, Florian Rousseau (directeur
de la très haute performance de la FFC) et Patrick Guimez (l’ancien head coach de l’équipe de France). »
En septembre 2022, Valeriia Liubimova débarquait seule à Montpellier afin de s’entraîner avec les athlètes du Pôle France. « Il y avait juste un visa pour moi. » Florian Rousseau raconte la suite. « Très rapidement, cela a matché et nous avons enclenché les démarches en interne à la FFC mais aussi avec les institutions, le CNOSF et l’UCI, mais également sur le plan administratif avec la Préfecture afin qu’elle puisse disposer d’un passeport français. Il y avait un premier challenge, c’était de parler notre langue. »
À écouter Valeriia s’exprimer dans un français bluffant, il a été remporté haut la main. « C’était un défi, je suis trop contente. C’est beaucoup de changements dans ma vie, je n’ai pas forcément les mots pour l’expliquer mais représenter la France en compétition internationale me ravit. Ce rêve est aussi mérité, il est la concrétisation de tout ce que j’ai entrepris pour en arriver là. »
Depuis le 4 décembre 2023, Valeriia Liubimova est surtout éligible à la sélection en équipe de France pour les Jeux olympiques 2024. Une aubaine pour une discipline en plein développement mais qui souffre d’un manque de densité chez les femmes, comme le reconnaît Florian Rousseau. « La concurrence internationale est vertueuse et notre objectif est
que la France puisse rayonner aux Jeux de Paris. »
Dire que l’Héraultaise Laury Perez, double médaillée européenne, candidate toute désignée pour représenter la France aux JO, a accueilli ce baiser de Russie sans broncher serait mentir. « Cela ne s’est pas fait naturellement, avoue Florian Ferrasse, nouveau head- coach des tricolores. L’autre athlète française l’a pris comme une concurrente directe mais petit à petit, on partage un peu plus et elles commencent à s’entendre. C’est sûr que ça change la donne mais il faut être prête à avoir de la concurrence, même dans sa propre nation. Il faut juste être meilleure, s’entraîner, travailler dur. »
Une place pour deux
Deux tournois de qualification olympiques en Chine, au mois de mai, puis en Hongrie, en juin, serviront de juge de paix. Ils offriront un billet nominatif aux six premières. Seul problème mais de taille, la France ne comptera qu’un seul représentant à chaque fois, comme d’ailleurs lors des JO de Paris. « Pour l’instant, elles sont pour moi sur un pied d’égalité, avec un niveau équivalent », avance Florian Ferrasse, qui entraîne au quotidien Valeriia Liubimova au BMX Park de Grammont alors que la Biterroise Laury Perez s’est exilée dans l’autre usine à champions du freestyle tricolore, à Sérignan.
« Les Jeux, c’est un objectif », martèle celle qui en a été privée en 2021 alors qu’elle était déjà la meilleure
Russe sur le papier (8e des Mondiaux dès sa première participation à 17 ans). En attendant, Valeriia profite de son nouvel environnement. « J’aime la mentalité des gens, l’architecture, le soleil du sud… C’est un gros changement pour moi que d’entendre : « bonjour, comment allez-vous, au revoir, bonne journée ». C’est comme une petite discussion là où personne ne sourit en Russie. »
En ce jour de media- day organisé par la FFC, la petite fille de l’Est touche les esprits même si on n’est pas certain que ses nouveaux concitoyens soient tous aussi prévenants à la sortie des boutiques. Elle raconte ses premiers pas à l’Université PaulValéry de Montpellier. « Je suis inscrite en langues étrangères, anglais et russe, c’est pour moi l’occasion d’aider d’autres étudiants car le russe, c’est vraiment compliqué. »
En décembre dernier, depuis le coeur du vélodrome de Saint- Quentin, Valeriia Liubimova avait entendu résonner la Marseillaise. Elle était jouée en l’honneur de sa rivale, Laury Perez, championne de France de BMX freestyle pour la cinquième fois d’affilée. Légèrement blessée à une main, Valeriia avait pris place sur la deuxième marche. « Je n’ai appris qu’une petite partie de la Marseillaise pour mon examen en Préfecture mais je me suis promis de la connaître par coeur maintenant ! »
Au fond, c’est peut- être un signe du destin si le BMX freestyle a choisi le Trocadéro et le parvis des droits de l’homme pour se montrer au monde.