Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Au Rwanda, les églises meurtries par le génocide
Les églises n’ont pas été épargnées lors du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994. Ces lieux de culte chargés d’histoire rappellent aux Rwandais des souvenirs encore douloureux.
Le 13 avril 1994 « a été le jour le plus terrible de ma vie. Il m’a marqué pour toujours », confie doucement monseigneur Oreste Incimatata, en se replongeant trente ans en arrière.
Il était alors le curé de la paroisse de Kabarondo, ce jour tragique où les milices Interahamwe sont arrivées dans le village de l’ouest du pays, pour chasser les Rwandais tutsi. Le génocide de cent jours fera près d’un million de victimes.
« Les gens affluaient des villages alentour pour se réfugier dans mon église. J’en ai répertorié à peu près 2 800. Ils se pensaient protégés », se souvient l’ecclésiastique. Les vieillards, les mères et leurs enfants sont mis à l’abri dans l’église. Mais vers 9 h, lorsque les milices du gouvernement hutu arrivent, des grenades sont lancées à l’intérieur du bâtiment.
Des églises catholiques lieux de massacre
Aujourd’hui encore, l’évêque se sent coupable. « Je pensais les protéger. Mais pour ces hommes-là, il n’y avait plus rien de sacré. Même pas la vie des gens », souffle-t-il. Lui par
vient à se réfugier dans ses appartements. « Les gens à l’intérieur de l’église se sont mis à chanter, à prier aussi fort qu’ils ont pu. Puis j’ai entendu les cris. »
L’église de Kabarondo n’est pas le seul lieu sacré profané durant le génocide. Un rapport de l’État rwandais datant de 1995 établit qu’un tiers des grandes tueries se sont déroulées dans des établissements religieux. Une cinquantaine d’églises catholiques ont ainsi été témoins de massacres.
Après le génocide, le débat s’installe. Que faire de ces lieux ? En plus d’avoir été le théâtre d’une violence extrême, ils sont aussi, aux yeux de
certains, le symbole d’une Église catholique n’ayant pas protégé ses fidèles ou, pire, les ayant parfois dénoncés aux milices Interahamwe.
À Kabarondo, le rapport des villageois envers leur église reste compliqué. « Chaque fois que je viens y prier, je manque de perdre ma foi, se désole Sandrine, née après le génocide. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut y prêcher la parole de Dieu, qui demande de prendre soin des autres, dans un endroit où on a tué tant d’innocents », poursuit- elle, le visage dur.
« Le devenir des églises a tout de suite été un enjeu, explique Rémi Korman, maître de conférences en
Histoire contemporaine à l’Université catholique de l’Ouest, à Angers. L’État rwandais souhaite transformer certaines de ces églises en lieux mémoriels. » Seules trois églises ont finalement été transformées, à Nyamata, Ntarama et Kibeho. Les autres ont été purifiées lors de cérémonies, pour que le culte puisse y reprendre.
« J’étais là, en 1994, réfugié chez moi, témoigne Jean-Baptiste, 54 ans. Aujourd’hui, je continue de venir exercer ma religion ici, parce que la seule chose que je peux faire, c’est offrir ma prière aux innocents qui y sont morts. »