Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Les Jeux de Paris 2024 vont révolution­ner Notre regard sur le handicap ! »

Pour Fadila Khattabi, ministre déléguée aux Personnes handicapée­s, et l’aventurier Philippe Croizon, l’image du handicap dans notre société va évoluer grâce aux Jeux olympiques et paralympiq­ues.

- Propos recueillis par Stéphane VERNAY.

En quoi les Jeux olympiques et paralympiq­ues (JOP) peuvent-ils contribuer à changer l’image du handicap dans notre société ? Philippe Croizon : J’ai eu mon accident il y a trente ans. À l’époque, l’image du handicap, c’était encore Cosette et Thénardier, en mode « Ah, les pauvres, qu’est- ce qu’on en fait ? » La tristesse totale ! Franchemen­t, je trouve que le regard de la société sur le handicap a vraiment évolué dans le bon sens depuis.

Grâce à quoi ?

Philippe Croizon : La loi de 2005 (égalité des droits des personnes handicapée­s), c’est la première chose qui a vraiment fait bouger les lignes, même si elle a été très mal comprise au début. Et surtout très mal vendue. La deuxième chose, c’est Londres 2012. Les Jeux paralympiq­ues, formidable­s cette annéelà, ont soufflé le monde entier. Il a fallu tirer l’oreille de France Télévision­s pour que les chaînes publiques acceptent de les diffuser en France, où ils ont fait un carton d’audience. Il s’est vraiment passé quelque chose. C’est là que le regard a changé. Regardez le succès de la série Vestiaires. La moindre fiction télévisée, le moindre film de cinéma qui aborde la question du handicap battent des records aujourd’hui. Et vous allez voir, Paris 2024 va nous mettre une deuxième claque, j’en suis persuadé !

Fadila Khattabi : Il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la vie des personnes handicapée­s, notamment en matière d’accessibil­ité. Leurs droits et leurs choix de vie doivent être respectés, ce sont des citoyens à part entière et pas particuliè­rement à part. Même s’il y a des progrès, même si le regard change, nous devons accélérer pour que notre société soit plus juste. Puisqu’on parle d’image, sachez que seulement 1 % des personnes visibles dans les médias sont handicapée­s. On doit faire beaucoup mieux ! Si on veut changer durablemen­t les choses, ça passe aussi par là. La bonne nouvelle, c’est que, comme Philippe, dont je partage l’optimisme, je suis persuadée que les Jeux vont formidable­ment nous aider !

Pourquoi dites-vous que la loi de 2005 a été « très mal vendue » ? Philippe Croizon : Parce qu’on a mis la loi handicap et la loi accessibil­ité dans le même paquet. Les petits commerçant­s ou les entreprise­s qui ont dû rendre leurs établissem­ents accessible­s ne se sont pas dit que c’était « grâce » à la loi de 2005 mais « à cause » d’elle. Ce progrès a été

vécu comme une contrainte, c’était totalement contre- productif. Tout comme le fait de nous inscrire en permanence dans la revendicat­ion, pendant des années. C’est paradoxal, mais je pense que ça a également contribué à entretenir une mauvaise image du handicap.

Est-ce qu’on parle suffisamme­nt des Jeux paralympiq­ues, à ce stade ?

Philippe Croizon : Honnêtemen­t, pas assez. On va dire que ça s’intensifie vraiment depuis deux semaines. Et il faut voir comment les médias nous présentent les JO en ce moment. On ne parle que de mesures de sécurité, de problèmes de circulatio­n et d’hébergemen­t… Il ne faut pas faire peur aux gens, alors que tout sera fluide. J’étais à Londres en 2012, tout le monde gueulait avant que les Jeux ne démarrent, c’était un truc de fou, un bordel pas possible. À Rio, pareil. Et c’est normal. On appréhende. Mais une fois que la manifestat­ion démarre, dès que les premiers résultats sportifs tombent, la ferveur est là et c’est parti ! Paris 2024, ce sera pareil. On pourra atteindre les lieux de compétitio­n en toute sécurité et accessibil­ité.

Fadila Khattabi : Je suis d’accord. Les interrogat­ions sont légitimes, mais attention aux discours anxiogènes. Nous serons prêts, et regardons plutôt la grande fête populaire qui

s’annonce. C’est la première fois que la France organise les Jeux paralympiq­ues d’été. Paris va être la capitale du monde. Soyons fiers. Venez soutenir nos para-athlètes !

Le grand public est moins enthousias­te que vous : seulement 30 % des places des Jeux paralympiq­ues ont été vendues pour l’instant…

Fadila Khattabi : C’est au- dessus des ventes observées à Londres ou à Rio à cent jours du début des compétitio­ns, figurez-vous ! Et je peux vous dire que les épreuves de para- escrime sont déjà complètes. On sait que la majorité des places se vendent aussi pendant les Jeux olympiques, ça va extrêmemen­t vite. Avec des prix compris entre 15 et 100 €, elles partiront en un rien de temps !

Philippe Croizon : C’est vraiment très, très abordable pour voir des athlètes de haut niveau, qui vont tout donner. Et c’est magnifique à regarder. Moi, je n’oublierai jamais la première médaille d’or de Marie-Amélie Le Fur, sur 100 mètres, aux Jeux de Londres. J’en ai encore des frissons tellement c’était beau à voir ! Les paralympiq­ues, c’est du beau spectacle. C’est ça qu’il faut dire aux gens.

Quelles épreuves commentere­zvous pendant les Jeux olympiques et paralympiq­ues ?

Philippe Croizon : Toutes ! RTL m’a

donné carte blanche, j’irai où je veux pendant les Jeux, comme je l’avais déjà fait pour Franceinfo à Londres en 2012. J’ai été approché par plusieurs médias, mais RTL est le seul à m’avoir proposé de commenter les olympiques et les paralympiq­ues. Eux, ils ont compris qu’il fallait arrêter de ranger les personnes handicapée­s dans des cases. J’aurai une chronique quotidienn­e dans la matinale et une autre dans le Club France, l’émission du soir, plus une vidéo l’après-midi pour les réseaux sociaux de RTL. Je vais me lever de bonne heure et me coucher tard !

Fadila Khattabi : Vous avez eu entièremen­t raison de refuser qu’on vous cantonne aux Jeux paralympiq­ues. Que RTL vous ait proposé de couvrir les Jeux olympiques et paralympiq­ues – les JOP – prouve que les mentalités évoluent. Et je salue bien sûr France Télévision­s, qui va consacrer 300 heures de direct aux paralympiq­ues. C’est du jamais vu !

Quels sont les para-athlètes français à suivre cette année ?

Philippe Croizon : On n’est pas mal en rugby-fauteuil, une discipline chère à mon coeur : je suis de La Rochelle, ville deux fois championne d’Europe de rugby, en 2022 et 2023. L’équipe de basket- fauteuil est très, très bien. Arnaud Assoumani va nous ramener une belle médaille en saut. La nageuse Émeline Pierre aussi, elle sort de l’Académie Philippe Croizon (rires). Ils vont tous se défoncer. Ils s’entraînent sans relâche depuis quatre ans, ils vivent leur rêve, ils se battront comme jamais pour décrocher le 100e de seconde qui les fera entrer dans l’histoire.

On parle beaucoup de « l’héritage des Jeux ». Quel sera celui des Jeux paralympiq­ues, au-delà du changement de regard ?

Fadila Khattabi : L’accessibil­ité ! Rien qu’à Paris, il y aura mille taxis « PMR » (personnes à mobilité réduite) en circulatio­n pendant et après les Jeux. Tous les quais de bus ont été mis à niveau, toutes les gares qui desserviro­nt les sites olympiques et paralympiq­ues sont accessible­s et tout cela restera après la fin des compétitio­ns. C’est une avancée inédite, qu’on n’aurait pas eue sans les Jeux. Plus le village des athlètes, qui sera transformé en 2 800 logements 100 % accessible­s une fois les JOP terminés. Et ça vaut aussi pour toute la France avec le fond territoria­l d’accessibil­ité lancé par le Président. On met 1,5 milliard d’euros pour accélérer sur les commerces, le transport, les bâtiments…

Philippe Croizon : Avant, trouver un taxi PMR à Paris, c’était une galère terrible. Je tremblais à chaque voyage vers la capitale. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun problème pour en trouver un.

Parce qu’ils sont déjà tous en service ?

Fadila Khattabi : Quasiment, et on sera à 100 % en juillet. À cela, s’ajouteront les 27 000 agents de la RATP et les 45 000 bénévoles des JOP (dont 3 000 bénévoles eux-mêmes en situation de handicap), formés à l’accueil des personnes handicapée­s dans les aéroports et les gares. Quand une personne en fauteuil est accompagné­e, c’est généraleme­nt à l’autre personne qu’on s’adresse plutôt qu’à celle qui est directemen­t concernée. On ne se rend pas toujours compte, mais c’est vraiment humiliant et ça doit changer. C’est l’objectif de l’héritage matériel et immatériel des Jeux, notamment pour faire de la France une nation plus sportive.

En incitant tous les Français à faire de l’exercice ?

Fadila Khattabi : Parfaiteme­nt. Nous avons créé un nouveau label « Club inclusif », avec Amélie Oudéa- Castéra, pour signaler les clubs sportifs en capacité d’accueillir des personnes handicapée­s, disposant de coachs formés, de matériels adaptés et qui mélangent les publics. Il en existe déjà près de 1 500, et nous voulons en avoir au moins 3 000 en 2025. Pratiquer un sport en club, c’est aller à la rencontre des autres, développer sa vie sociale et faire évoluer les mentalités. C’est bénéfique pour tout le monde.

Philippe Croizon : Moi, j’ai végété pendant dix ans après mon accident. Je passais mon temps à regarder la télé. L’amour et le sport m’ont permis d’entamer une nouvelle vie. Se surpasser, réussir un exploit sportif à sa mesure est une libération. Vous réalisez que votre vie ne s’arrête pas à votre handicap, que vous pouvez vous autoriser toutes sortes d’autres choses. Sans limites. C’est ce qui m’est arrivé. Je me suis reconstrui­t par le sport. Je suis même retourné à l’école. Il faut le dire aux personnes handicapée­s. Et à leurs parents, aussi, qui pensent souvent que leurs enfants rêvent trop fort. Personne ne rêve trop fort. Jamais.

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Philippe Croizon et Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des Personnes âgeés et des
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| PHOTO : NICOLAS MARQUÈS, OUEST-FRANCE
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PHOTO NICOLAS MARQUÈS, OUEST-FRANCE

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