Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Son métier, nettoyer les scènes de crime

Il passe ses journées à désinfecte­r et débarrasse­r ces lieux où la mort rôde. Baptiste Girardet mène un combat pour les familles endeuillée­s. Il s’apprête à publier un livre.

- Pierre-Antoine LIVENAIS.

Plus qu’un simple métier, une véritable mission. Armé d’une combinaiso­n, de gants jetables, d’un masque et de lunettes de protection, Baptiste Girardet arpente les scènes traumatiqu­es : crimes, morts oubliés, suicides.

Son rôle ? Nettoyer et traiter les surfaces lésées par le sang, trier ce qui peut être réutilisé et parfois même, repeindre les murs ou refaire les sols. Sans mauvais jeu de mots, « il faut être un couteau suisse ! » assure- t- il. Et c’est plus facile lorsqu’à l’âge de 42 ans, on a enchaîné onze années chez les pompiers de Paris, trois autres dans la police scientifiq­ue et, qu’en prime, on bénéficie d’une formation d’artisan plâtrier peintre.

« On ne recule devant rien »

Sept années de pratique, « plus de 2 000 histoires planquées dans un tiroir ». En cette matinée ensoleillé­e, rendez- vous est pris à 9 h dans un appartemen­t « insalubre » de la région parisienne. Le drame, dont il ne parlera pas, a eu lieu il y a quelque temps déjà. « En moyenne, on nettoie dix- huit mois après les faits, après l’enquête de police. On s’assure auprès des services d’enquête que l’accès est autorisé. Imaginez si l’on effaçait des preuves ! »

La mission du jour nécessiter­a seize heures de travail. Huit pour Baptiste et huit pour Thomas, son collègue, plus une phase de désencombr­ement. « On va mettre trois jours à tout débarrasse­r. Mais on ne recule devant rien, c’est notre mission. »

Objets et vêtements entassés obturent les fenêtres et le passage. Les deux hommes s’affairent au nettoyage, du sol au plafond. Par terre, « des flaques et des traces de cheminemen­t », sur les murs, des projection­s. Entre les deux, des gouttes équivoques laissées sur un flanc de canapé, derrière un réfrigérat­eur…

Et parmi tout cela, des objets, du textile, de l’électromén­ager qui peuvent encore servir. « En accord avec les ayants droit, on redistribu­e tout à Emmaüs ou au Relais. En fait, je propose aux familles tous les services dont j’ai moi-même manqué en août 2003… »

En cet été de canicule, son grandoncle est retrouvé sans vie dans son logement. À l’époque, en l’absence

de société spécialisé­e, c’est Baptiste Girardet qui prend en charge le nettoyage de sa maison, avec un gant et un chiffon. « J’avais une vingtaine d’années. J’ai vu tant de détails, de choses glaçantes qui m’ont marqué à vie », se souvient- il.

L’événement agit comme un déclic. Quelques années plus tard, il lance son entreprise, Service français d’interventi­on après- sinistre ( SFIAS) dans les Yvelines. « J’ai été à la place de ces familles qui me solliciten­t, je connais l’impact psychologi­que. Lorsque tu fais face à ce que j’ai vu sans être suivi, tu ne t’en remets pas. »

Pour une mission comme celle- ci, le coût financier peut atteindre 1 800 € la journée, auxquels s’ajoutent parfois des frais de désencombr­ement et de travaux. Des montants souvent à la charge des successeur­s. « C’est injuste. Les familles doivent avoir le choix de nous appeler ou non. Cela ne devrait pas être une question d’argent. »

« Tellement d’histoires à raconter ! »

Alors, dans son « combat de vie », Baptiste Girardet a fondé l’associatio­n Sang froid pour, entre autres, créer sa propre recyclerie. « Avec l’accord des familles, on y revendrait, à bas prix, les objets réutilisab­les collectés dans les maisons. Cela permettrai­t de financer nos opérations lorsqu’on se trouve face à des personnes en difficulté financière. »

Baptiste poursuit sa lutte aussi au niveau législatif. En avril 2022, il a été à l’origine d’un décret, « pas encore assez connu », qui prévoit le nettoyage des lieux sinistrés sur frais de justice. Une petite victoire, suivie, en janvier dernier, d’une rencontre avec le président du Sénat, Gérard Larcher. « Je voudrais obliger les assurances à indemniser les familles, que ce nettoyage devienne un service public. »

Le chemin sera long, Baptiste le sait. En attendant, depuis un an, il coécrit une autobiogra­phie : Sur les scènes de crime, qui devrait paraître en juin. « Il y a tellement d’histoires à raconter ! » s’impatiente- t- il. La veille, son éditeur lui a envoyé la couverture. Il profite d’une pause fraîcheur pour enfin la découvrir. « Ah ouais, c’est beau », lui souffle Thomas.

 ?? | PHOTO : OUEST-FRANCE ?? Baptiste Girardet est nettoyeur de scènes traumatiqu­es. Il a lancé son entreprise spécialisé­e en 2017.
| PHOTO : OUEST-FRANCE Baptiste Girardet est nettoyeur de scènes traumatiqu­es. Il a lancé son entreprise spécialisé­e en 2017.

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