Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

À Plouray, les bouddhiste­s se sentent chez eux

Dans cette commune du Morbihan, les fidèles affluent du monde entier. Ils viennent accomplir des retraites dans l’un des centres spirituels bouddhiste­s les plus importants de France, érigé en 1986.

- Le dalaï-lama en personne Alan LE BLOA.

En cette fin mars, c’est jour de pleine lune, consacré à la vénération de Bouddha. Une nonne fait retentir un gong à l’entrée du temple imprégné de parfum d’encens. Elle accélère le rythme, signalant l’imminence de la méditation du soir, à 18 h. Celle du matin a lieu à 7 h. Psalmodies, chants, gros tambours, cloches, cymbales, tambourins… « C’est très sonore. Les méditation­s liturgique­s, qui peuvent parfois durer plusieurs heures, éveillent nos cinq sens », explique Jigmé Thrinlé Gyasto, 57 ans, moine novice. Ce « fils d’athées », né en Vendée sous le nom d’Yves Boudéro, est aussi un des coprésiden­ts de l’Union bouddhiste de France (UBF).

Érigée en 1986 en pleine nature, loin du vacarme du monde, la congrégati­on religieuse Dukpa a hissé Plouray

au rang de destinatio­n mondiale pour sa lignée. Car le bouddhisme « n’est pas une entité monolithiq­ue. Il est parcouru de sensibilit­és plurielles, à partir d’un socle commun qui s’est transmis de l’Inde au Japon. Des variantes ont vu le jour en Corée, en Thaïlande, au Japon, et même au Tibet. On pourra peut- être, dans le futur, voir émerger un bouddhisme occidental, ou à la française », explique Antony Boussemart, issu d’une famille protestant­e pratiquant­e, devenu coprésiden­t de l’Union bouddhiste de France en 2021.

La communauté de Plouray prospère et rayonne. Plusieurs milliers de fidèles de tous horizons y font une halte chaque année. « Des Américains, Australien­s, Vietnamien­s, Européens… » s’y retrouvent pour accomplir des retraites. Et profiter, plusieurs jours durant, des enseigne

ments des grands maîtres tibétains arrivant tout droit du Népal ou du Bhoutan. « Nos cérémonies, retransmis­es sur Internet depuis les confinemen­ts du Covid, sont aussi très regardées. En Inde, en Asie et dans le monde entier. »

En 2008, le dalaï-lama en personne a honoré la communauté de sa présence. Il a été accueilli comme un pape par l’évêque de Vannes et le maire de la commune.

Le temple breton n’a pas été bâti selon l’architectu­re traditionn­elle tibétaine. Dans le parc, en revanche, le stoupa, consacré en 1997, en respecte les contours et la parure multicolor­e. Le monument sacré, surmonté « d’un soleil et d’une lune », incarne « l’esprit du Bouddha. Il contribue à pacifier les lieux et l’esprit des êtres. On circule autour, en priant, en récitant des mantras. »

Une phase d’expansion continue

Le moulin à prières est un autre point de passage incontourn­able. La cloche retentit à chaque tour accompli. « Le mettre en mouvement, c’est mettre en activité les bienfaits du mantra de la compassion », poursuit Jigmé Thrinlé Gyasto.

Objets liturgique­s, encens, bougies, livres, étoffes… À la caisse de la boutique monastique, Thérèse, bénévole, s’affaire auprès des clients et du standard téléphoniq­ue. Au bout du fil, des interlocut­eurs la questionne­nt sur le programme des stages, des retraites ou de l’hébergemen­t, dont les tarifs varient selon les revenus. Une journée d’enseigneme­nt au tarif plein est facturée 30 € par personne, une chambre 30 €. Retraitée, Thérèse raconte

avoir quitté Londres, au moment du Brexit, pour s’installer dans l’une des petites maisons des hameaux où vivent les résidents permanents en « accord avec la pratique ».

Laëtitia, issue d’une famille catholique, y a refait sa vie il y a dix ans. Elle raconte avoir trouvé la plénitude et l’équilibre entre sa foi, son activité profession­nelle et le temps bénévole qu’elle consacre au centre. C’est « à la boutique, devant le portrait de sa sainteté, que j’ai eu un déclic. Je me suis sentie comme à la maison. Appelée et soulagée. » Laëtitia maîtrise aujourd’hui le tibétain – qu’elle traduit – et assiste le directeur spirituel du centre, Drubpön Ngawang, très sollicité à l’étranger.

La France, où le bouddhisme est reconnu comme religion par l’État, compte environ 400 centres, d’une dizaine à plusieurs milliers de membres. Elle dispose d’aumôniers en milieu carcéral et hospitalie­r, et ambitionne de créer une aumônerie militaire.

L’invasion militaire chinoise au Tibet dans les années 1950, l’arrivée dans les années 1960 « de réfugiés fuyant la guerre du Vietnam et les Khmers rouges au Cambodge », le mouvement hippie des années 1970… le bouddhisme a vécu et vit toujours, une phase d’expansion continue, affirme Antony Boussemart. La France compte entre « 800 000 et un million de pratiquant­s », estimait l’Observatoi­re de la laïcité, dissous en 2021, tandis qu’environ « 2 % de la population se déclarerai­t proche du bouddhisme ». Le profil type : « Une personne âgée de 30 à 40 ans, ayant traversé des épreuves qui l’ont amenée à se poser des questions. »

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PHOTO DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE Les moines Jigmé Dordjé et Lama Jigmé Thrinlé Gyasto sortent d’une stoupa, à Plouray.
 ?? PHOTO OUEST-FRANCE ?? Une cérémonie de méditation.
PHOTO OUEST-FRANCE Une cérémonie de méditation.

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